Pour le plaisir

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°594 Avril 2004Rédacteur : Jean SALMONA (56)

En dehors même de la “ mau­vaise musique ”, notion sub­jec­tive propre à cha­cun d’entre nous, il est des musiques que l’on écoute sans l’ambition d’enrichir son intel­lect, ou d’élever son âme, ou même de ravi­ver un sou­ve­nir éva­nes­cent ; pour le seul plai­sir de l’instant pré­sent. Tant mieux si elles sont en outre bien écrites, mais ce n’est pas là le sou­ci de notre écoute, qui vise à la seule jouis­sance immédiate.

Symphoniques : Berlioz, Verdi

Ceux qui n’aiment chez Ber­lioz que les Nuits d’été lui reprochent ses excès et il a fal­lu par exemple, pour faire accep­ter la gran­di­lo­quence de Roméo et Juliette, la cho­ré­gra­phie enga­gée d’un Béjart. L’ensemble Carpe Diem de 11 musi­ciens (qua­tuor de cordes avec basse, harpe, flûte, haut­bois, cor, cor­net, per­cus­sion) a eu l’idée de trans­crire des pièces sym­pho­niques pour orchestre de chambre1. Le résul­tat est sai­sis­sant, et l’on découvre dans Roméo et Juliette et Harold en Ita­lie une finesse d’écriture et un moder­nisme qu’une orches­tra­tion pom­peuse dissimulait.

Les opé­ras de Ver­di, contem­po­rain de Ber­lioz et par­fois com­pa­ré à lui – abu­si­ve­ment –, ont suf­fi à sa gloire. Sous le titre “ Ver­di Dis­co­ve­ries ”, Ric­car­do Chailly et l’Orchestre Sym­pho­nique de Milan Giu­seppe Ver­di ont enre­gis­tré un ensemble de pièces orches­trales incon­nues du grand public, dont quatre pre­mières mon­diales2 : une Sin­fo­nia, un Ada­gio pour trom­bone et orchestre, des Varia­tions pour haut­bois et orchestre, pour pia­no et orchestre, pour bas­son et orchestre, et des Pré­ludes inuti­li­sés. Les afi­cio­na­dos de Ver­di trou­ve­ront dans cette musique théâ­trale, agréable et datée, un pro­lon­ge­ment natu­rel de ses opéras.

Bartok, Jolivet

Bar­tok, qui était un excellent pia­niste, a enre­gis­tré en 1940 une tren­taine de ses Mikro­kos­mos, ain­si que ses Contrastes avec le vio­lo­niste Joseph Szi­ge­ti et… Ben­ny Good­man3. Les 153 Mikro­kos­mos consti­tuent un recueil à part entière qui, de même que le Cla­vier bien tem­pé­ré, dépassent de très loin leur pré­texte péda­go­gique, et le jeu de Bar­tok, au tou­cher sub­til, met en évi­dence les contre­sens de ses inter­prètes usuels, qui font du pia­no un ins­tru­ment de per­cus­sion. Les Contrastes, une com­mande du cla­ri­net­tiste de jazz Ben­ny Good­man, sont une petite mer­veille où la recherche de timbres et de rythmes nou­veaux ne dis­si­mule pas une musi­ca­li­té et une poé­sie qui les placent au niveau d’œuvres majeures.

André Joli­vet (1905−1974) a été un des grands com­po­si­teurs fran­çais du XXe siècle, et un enre­gis­tre­ment récent de son œuvre pour trom­pette vient le rap­pe­ler, avec notam­ment le Concer­ti­no pour trom­pette, pia­no et cordes, le Second Concer­to pour trom­pette et orchestre, Hep­tade pour trom­pette et bat­te­rie, avec Éric Aubier à la trom­pette4. Joli­vet, appa­rem­ment séduit par les pos­si­bi­li­tés de la trom­pette que le jazz avait révé­lées, a écrit une œuvre foi­son­nante, bour­rée de trou­vailles ryth­miques et har­mo­niques, ori­gi­nale et – sur­tout – plaisante.

Sonates

Il y a trois ans, le public du Fes­ti­val de La Roqued’Anthéron décou­vrait, médu­sé, un pia­niste coréen de 17 ans qui jouait Schu­bert, Cho­pin et, in fine, la Valse de Ravel, non seule­ment avec une tech­nique trans­cen­dante mais avec la matu­ri­té et la séré­ni­té d’un Rich­ter. Dong- Hyek Lim consacre un disque à Cho­pin avec des Mazur­kas, l’Andante spia­na­to et Grande Polo­naise, et la Troi­sième Sonate (si mineur)5.

C’est – pesons nos mots – bou­le­ver­sant. Si l’on com­pare à l’aveugle cette inter­pré­ta­tion de la Sonate avec celles de Pol­li­ni, Freire, Sam­son Fran­çois, dont les deux pre­mières au moins sont de pre­mier plan, celle de Dong- Hyek Lim s’impose comme une évi­dence : elle est lumi­neuse. Un musi­cien d’exception, un très grand disque.

Autre grande soliste, Tat­ja­na Vas­si­lie­va, élève de Ros­tro­po­vitch, joue la Sonate pour arpeg­gione de Schu­bert, et deux trans­crip­tions pour vio­lon­celle, de la Sonate de Franck et de la Suite ita­lienne (Pul­ci­nel­la) de Stra­vins­ki6, avec le pia­niste fran­çais Pas­cal Godart. C’est très beau, très délié, un grand plaisir.

Quatuors

Les quatre Qua­tuors avec flûte de Mozart sont peut-être ce qu’il a écrit non de plus savant mais de plus déli­cieux. On pense à Wat­teau et aux auteurs liber­tins du XVIIIe siècle. Chris­tian Lar­dé, superbe flû­tiste, et trois musi­ciens du Qua­tuor Rosa­monde jouent mer­veilleu­se­ment cette musique sen­suelle, qui aurait pu accom­pa­gner les débats de Val­mont et de la petite Volanges7. Sur le même disque, une œuvre exquise et mélan­co­lique : le Quin­tette pour flûte, harpe et trio à cordes, écrit par Mozart quelques semaines avant sa mort.

Six ans aupa­ra­vant, Mozart invente la forme du qua­tuor avec pia­no, sorte de concer­to concen­tré, avec deux Qua­tuors, dont l’enregistrement par trois musi­ciens du Qua­tuor de Buda­pest et le pia­niste Hors­zows­ki, de 1963, est repris en CD8. Encore une musique toute de sim­pli­ci­té tendre, un pur bon­heur ; et cet enre­gis­tre­ment rap­pelle que le Qua­tuor de Buda­pest fut le chantre de ce style musi­cal cha­leu­reux et hédo­niste qui carac­té­rise les ensembles tzi­ganes des res­tau­rants de cette ville, style éclip­sé depuis par la pri­mau­té de la per­fec­tion technique.

Autre Qua­tuor avec pia­no, infi­ni­ment moins simple : le n° 1 de Brahms, que jouent Mar­tha Arge­rich, Gidon Kre­mer, Yuri Bash­met et Mischa Mais­ky9. Quatre solistes stars qui par­viennent, fait rare, à réa­li­ser la dif­fi­cile alchi­mie de l’ensemble de chambre pour jouer cette œuvre tour­men­tée. Sur le même disque, Fan­ta­siestücke pour pia­no, vio­lon et vio­lon­celle de Schu­mann, œuvre sombre et superbe à découvrir.

Le disque du mois : Duphly

Jacques Duphly (1715−1789) est loin d’être aus­si connu que son aîné Fran­çois Cou­pe­rin, et c’est une injus­tice qu’il convient de répa­rer d’urgence en écou­tant les pièces de son Pre­mier Livre de Cla­ve­cin que vient d’enregistrer Jean- Patrice Brosse10. Comme Bach, Duphly n’a pas réel­le­ment inno­vé, mais il a capi­ta­li­sé sur les recherches de ses anciens pour écrire une musique très éla­bo­rée et sub­tile, emprun­tant par­fois à Cou­pe­rin ses thèmes les plus com­plexes (les Bar­ri­cades mys­té­rieuses), et pro­cu­rant un plai­sir d’écoute auquel on peut se lais­ser aller avec d’autant moins de ver­gogne que cette musique asso­cie à la recherche du plai­sir la rigueur de la forme. Idéal pour célé­brer le printemps.

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1. 1 CD AMBROISIE AMB 9950.
2. 1 CD DECCA 473 767 2.
3. 1 CD SONY 5112232.
4. 1 CD ARION 63616.
5. 1 CD EMI 5 57701 2.
6. 1 CD ACCORD 472 722 2.
7. 1 CD PIERRE VERANY PV 704012.
8. 1 CD SONY 5112012.
9. 1 CD DGG 463 700 2.
10. 1 CD PIERRE VERANY PV704 011.

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