Mobilité et effet de serre

Dossier : Transport et développement durableMagazine N°523 Mars 1997
Par Raymond COINTE (80)

Rio et la Convention Climat

Trou de la couche d’o­zone, menaces sur la bio­di­ver­si­té, dis­pa­ri­tion des terres fer­tiles, aci­di­fi­ca­tion des eaux et des sols, pol­lu­tion atmo­sphé­rique dans les méga­poles, chan­ge­ment de cli­mat, autant d’ur­gences éco­lo­giques qui se sont trou­vées sous le feu des pro­jec­teurs il y a cinq ans lors de la Confé­rence de Rio sur l’en­vi­ron­ne­ment et le développement.

Concer­nant le chan­ge­ment de cli­mat, la confé­rence de Rio s’est concré­ti­sée non seule­ment par des dis­cours, mais aus­si par la signa­ture d’une conven­tion inter­na­tio­nale, la conven­tion-cadre des Nations Unies sur les chan­ge­ments cli­ma­tiques, rati­fiée à ce jour par plus de 150 pays. Cette conven­tion recon­naît la menace de chan­ge­ment cli­ma­tique et fixe comme objec­tif ultime « la sta­bi­li­sa­tion des concen­tra­tions de gaz à effet de serre dans l’at­mo­sphère à un niveau qui empêche toute per­tur­ba­tion anthro­pique dan­ge­reuse du sys­tème climatique ».

À plus court terme, la Conven­tion fixe des enga­ge­ments com­muns à tous les pays signa­taires qui doivent publier régu­liè­re­ment des inven­taires d’é­mis­sions de gaz à effet de serre et mettre en oeuvre des mesures de pré­ven­tion et d’a­dap­ta­tion au chan­ge­ment de cli­mat. Elle fixe en outre des enga­ge­ments spé­ci­fiques aux pays déve­lop­pés qui doivent adop­ter des poli­tiques et mesures afin de rame­ner leurs émis­sions de gaz à effet de serre en 2000 à leur niveau de 1990. Les pays indus­tria­li­sés doivent de plus finan­cer les coûts « addi­tion­nels » encou­rus par les pays en déve­lop­pe­ment pour res­pec­ter leurs enga­ge­ments et favo­ri­ser le trans­fert de tech­no­lo­gies « propres » vers ces pays. 

L’effet de serre, mythe ou réalité ?

Que sait-on aujourd’­hui sur l’ef­fet de serre ? Le GIEC (Groupe inter­gou­ver­ne­men­tal sur l’é­vo­lu­tion du cli­mat) vient de publier son deuxième rap­port d’é­va­lua­tion [1]. Plus de deux mille experts scien­ti­fiques ont par­ti­ci­pé à la rédac­tion et à l’a­na­lyse de ce rap­port qui a ensuite été sou­mis à la cri­tique des gouvernements.

Les repré­sen­tants des gou­ver­ne­ments ont fina­le­ment approu­vé ce rap­port lors de la réunion plé­nière du GIEC à Rome en décembre 1995, en dis­cu­tant ligne à ligne les résu­més à l’in­ten­tion des déci­deurs [2]. Ce rap­port fait donc de manière très détaillée et peu contes­table le point sur la question.

Que dit-il ? Il énonce d’a­bord deux cer­ti­tudes : » la concen­tra­tion atmo­sphé­rique de gaz à effet de serre, par­mi les­quels le dioxyde de car­bone (CO2), le méthane (CH4) et le pro­toxyde d’a­zote (N2O), a for­te­ment aug­men­té depuis l’é­poque pré­in­dus­trielle (c’est-à-dire depuis 1750 envi­ron) […] ; cette évo­lu­tion est lar­ge­ment attri­buable aux acti­vi­tés humaines » et « la tem­pé­ra­ture à la sur­face [du globe] a aug­men­té de 0,3 à 0,6 °C envi­ron depuis la fin du XIXe siècle ».

Les modèles simples de l’ef­fet de serre sug­gèrent qu’il pour­rait y avoir une rela­tion de cause à effet entre ces deux constats. Si cette rela­tion de cause à effet n’est tou­jours pas une cer­ti­tude, les modèles de plus en plus sophis­ti­qués construits par les scien­ti­fiques [3] ne l’in­firment pas, loin s’en faut. Le rap­port du GIEC consi­dère ain­si pour la pre­mière fois que « l’é­vo­lu­tion [de la tem­pé­ra­ture déjà obser­vée] n’est vrai­sem­bla­ble­ment pas d’o­ri­gine stric­te­ment natu­relle » et que « les faits obser­vés – les varia­tions de la tem­pé­ra­ture moyenne mon­diale de l’air à la sur­face et du pro­fil spa­tial, sai­son­nier et ver­ti­cal des tem­pé­ra­tures dans l’at­mo­sphère en par­ti­cu­lier – concordent pour indi­quer une influence per­cep­tible de l’homme sur le climat ».

D’a­près les modèles cli­ma­tiques, et en fonc­tion d’hy­po­thèses sur l’é­vo­lu­tion des émis­sions de gaz à effet de serre, l’aug­men­ta­tion de la tem­pé­ra­ture moyenne de sur­face entre 1990 et 2100 pour­rait être com­prise entre 1 °C et 3,5 °C.

Faut-il s’in­quié­ter d’un réchauf­fe­ment de quelques degrès seule­ment ? Sans aucun doute, parce que ce « réchauf­fe­ment se pro­dui­rait à un taux moyen pro­ba­ble­ment plus éle­vé que ce que l’on a connu depuis 10 000 ans » et parce que « les varia­tions régio­nales des tem­pé­ra­tures pour­raient être sen­si­ble­ment dif­fé­rentes de leur valeur en moyenne globale ».

Le rap­port du GIEC affiche ain­si un cer­tain nombre de consé­quences pro­bables d’un réchauf­fe­ment cli­ma­tique : ren­for­ce­ment du cycle hydro­lo­gique condui­sant à une accen­tua­tion des pré­ci­pi­ta­tions, ou, à l’in­verse, à une ari­di­té accrue, selon les régions du globe ; per­tur­ba­tions des éco­sys­tèmes, en par­ti­cu­lier fores­tiers ; hausse du niveau des mers com­prise en 15 et 95 cm d’i­ci 2100, mena­çant îles basses et del­tas fer­tiles ; exten­sion de la répar­ti­tion de l’aire de cer­taines mala­dies tro­pi­cales (palu­disme en par­ti­cu­lier) ; etc.

Sans être apo­ca­lyp­tiques, ces consé­quences ne sont guère ras­su­rantes, sur­tout pour les nations les moins déve­lop­pées et les éco­sys­tèmes les plus vul­né­rables. De plus, la future évo­lu­tion du cli­mat risque de nous réser­ver des « sur­prises », dues notam­ment au carac­tère non-linéaire du sys­tème cli­ma­tique. En cas de for­çage rapide, les sys­tèmes non-linéaires sont par­ti­cu­liè­re­ment sus­cep­tibles de com­por­te­ments impré­vi­sibles. […] Citons, comme exemple de phé­no­mènes non-linéaires, les bou­le­ver­se­ments de la cir­cu­la­tion dans l’At­lan­tique Nord et les rétro­ac­tions liées aux chan­ge­ments dans les éco­sys­tèmes terrestres. 

Mais alors que fait-on ?

Face à une menace qui se pré­cise, les enga­ge­ments actuels fixés par la Conven­tion ont été recon­nus « inadé­quats » lorsque les pays signa­taires de la Conven­tion se sont réunis pour la pre­mière fois à la confé­rence de Ber­lin en mars 1995. Man­dat a été don­né à un groupe de négo­cia­tion, l’AGBM (groupe ad hoc sur le man­dat de Ber­lin), de ren­for­cer les enga­ge­ments de la Conven­tion afin que :

  • les pays déve­lop­pés « éla­borent des poli­tiques et des mesures et fixent des objec­tifs quan­ti­fiés de limi­ta­tion et de réduc­tion selon des échéances pré­cises – 2005, 2010, 2020 par exemple – pour leurs émis­sions anthro­piques par leurs sources et l’ab­sorp­tion par leurs puits des gaz à effet de serre… »
  • de nou­veaux enga­ge­ments ne soient pas énon­cés pour les autres pays, mais que ceux-ci « réaf­firment [leurs] enga­ge­ments […] et conti­nuent à pro­gres­ser dans l’exé­cu­tion de ces enga­ge­ments afin d’ar­ri­ver à un déve­lop­pe­ment durable ».


L’ob­jec­tif est d’a­bou­tir à l’a­dop­tion d’un pro­to­cole (ou d’un autre ins­tru­ment légal) à la confé­rence de Kyo­to qui aura lieu en décembre 1997.

Les ministres pré­sents à la Confé­rence de Genève, qui a eu lieu en juillet 1996, ont adop­té une décla­ra­tion qui va au-delà du man­dat de Ber­lin sur trois points. En pre­mier lieu, elle endosse le deuxième rap­port d’é­va­lua­tion du GIEC en jugeant qu’il doit ser­vir de base scien­ti­fique pour ren­for­cer dès main­te­nant les actions de pré­ven­tion du chan­ge­ment de cli­mat. De plus, elle inter­prète ce rap­port en notant que l’aug­men­ta­tion des concen­tra­tions de gaz à effet de serre dans l’at­mo­sphère va conduire à des inter­fé­rences dan­ge­reuses avec le sys­tème cli­ma­tique. Enfin, elle appelle à fixer des objec­tifs de réduc­tion des émis­sions juri­di­que­ment contraignants.

L’a­dop­tion de cette décla­ra­tion résulte en par­tie d’un retour­ne­ment de la posi­tion des États-Unis qui ont créé la sur­prise en se pro­non­çant en faveur d’ob­jec­tifs juri­di­que­ment contrai­gnants. Certes, tout ne sera pas réso­lu tout de suite, mais, sauf sur­prise scien­ti­fique remet­tant en cause l’ef­fet de serre, les contraintes impo­sées par la Conven­tion Cli­mat ne peuvent aller qu’en s’am­pli­fiant jus­qu’à ce que l’ob­jec­tif ultime qu’elle nous fixe soit atteint. 

Quels objectifs faut-il viser à long terme ?

Les experts du GIEC ont esti­mé que cet objec­tif ultime ne pour­ra être tenu que si la moyenne mon­diale d’é­mis­sion de CO2 par habi­tant – 1,3 tonne de car­bone par an (tC/an) en tenant compte des émis­sions dues à la défo­res­ta­tion – n’aug­mente pas ou peu durant le pro­chain siècle et que si elle dimi­nue for­te­ment après. Cela sup­pose une dimi­nu­tion très forte des émis­sions des pays déve­lop­pés et une maî­trise de l’aug­men­ta­tion des émis­sions des pays en déve­lop­pe­ment. En effet :

  • les pays déve­lop­pés ont des émis­sions par tête d’en­vi­ron 2,8 tC/an (1,8 tC pour la France) ; les pays en déve­lop­pe­ment ont des émis­sions par tête d’en­vi­ron 0,5 tC/an ;
  • la sta­bi­li­sa­tion de la concen­tra­tion de gaz car­bo­nique au double de la concen­tra­tion pré­in­dus­trielle (550 ppmv) pour­rait conduire à terme à une aug­men­ta­tion de tem­pé­ra­ture de 1,5 à 4,5°, cette aug­men­ta­tion se pro­dui­sant à un rythme jamais obser­vé au cours des 10 000 der­nières années ;
  • même si les pays déve­lop­pés rédui­saient leurs émis­sions de 10 à 20 % par décen­nie à par­tir de 2000, cette sta­bi­li­sa­tion ne serait pos­sible que si les pays en déve­lop­pe­ment n’al­laient pas au-delà du dou­ble­ment de leurs émis­sions par tête.

Comment s’organiser pour atteindre ces objectifs ?

La pré­ven­tion du chan­ge­ment de cli­mat est très dif­fi­cile à orga­ni­ser car il y a autant de pol­lueurs que d’ha­bi­tants de la pla­nète : la plu­part des acti­vi­tés de pro­duc­tion indus­trielles ou agri­coles et tous les consom­ma­teurs que nous sommes émettent des gaz à effet de serre. Toutes les com­bus­tions d’éner­gie fos­sile pro­duisent du CO2 mais aus­si, dans cer­taines condi­tions, des gaz connexes qui sont aus­si des gaz à effet de serre directs (N2O) ou indi­rects en condui­sant à la for­ma­tion d’o­zone (hydro­car­bures divers, NOx, etc.) ; la fer­men­ta­tion anaé­ro­bie des déchets putres­cibles mis en décharges, la fer­men­ta­tion enté­rique des bovins et les fuites de gaz pro­duisent du CH4 ; la décom­po­si­tion des engrais en excès dans le sol et cer­tains pro­cé­dés indus­triels pro­duisent du N2O ; enfin, la réfri­gé­ra­tion et la cli­ma­ti­sa­tion conduisent à des fuites de CFC (ou de leurs substituts).

Or, lorsque tout le monde est res­pon­sable, plus per­sonne ne se sent res­pon­sable ; cha­cun pense que le voi­sin est plus pol­lueur que lui et en tout cas qu’il pour­rait réduire sa pol­lu­tion à moindre coût. De plus, les capa­ci­tés d’in­ter­ven­tion directe des États face à une pol­lu­tion dif­fuse sont limi­tées : il ne sau­rait être ques­tion de régle­men­ter les émis­sions de chaque indi­vi­du. Menace dif­fi­ci­le­ment per­cep­tible, res­pon­sa­bi­li­té très lar­ge­ment par­ta­gée, capa­ci­té limi­tée de réac­tion des États : tout concourt à retar­der l’action.

Pour­tant, nous sommes face à un phé­no­mène cumu­la­tif : plus on attend pour agir et plus bru­tale devra être l’ac­tion. Les experts du GIEC mettent ain­si en avant le fait que « toute sta­bi­li­sa­tion des concen­tra­tions à un moment don­né dépen­dra davan­tage des émis­sions cumu­lées de CO2 d’o­ri­gine humaine de main­te­nant au moment de la sta­bi­li­sa­tion que de l’é­vo­lu­tion de ces émis­sions pen­dant cette période. Cela implique que pour obte­nir la sta­bi­li­sa­tion des concen­tra­tions à un cer­tain niveau, il fau­dra réduire les émis­sions davan­tage ulté­rieu­re­ment si elles res­tent plus éle­vées dans un pre­mier temps ».

La logique vou­drait qu’on com­mence dès aujourd’­hui à inflé­chir l’é­vo­lu­tion des émis­sions dans les sec­teurs où les temps d’a­dap­ta­tion sont grands. La réa­li­té des négo­cia­tions risque au contraire de nous conduire à fixer des objec­tifs de réduc­tion à court terme taillés sur mesure par (et pour) cer­tains pays. Le risque existe alors que l’on se borne à mobi­li­ser les capa­ci­tés d’a­dap­ta­tion rapide de cer­tains sec­teurs où le nombre d’ac­teurs est limi­té, en remet­tant à plus tard les actions qui per­met­traient vrai­ment d’in­flé­chir les ten­dances à long terme des émissions. 

Quelles leçons tirer du passé ?

La situa­tion éner­gé­tique de la France aujourd’­hui pré­fi­gure peut-être celle de l’en­semble des pays déve­lop­pés demain s’ils se fixent des objec­tifs à court terme de réduc­tion de leurs émis­sions de CO2 : la contrainte bru­tale impo­sée par les chocs pétro­liers asso­ciée à notre volon­té d’in­dé­pen­dance éner­gé­tique nous a en effet déjà conduits à faire des efforts très impor­tants de réduc­tion de notre consom­ma­tion d’éner­gie fossile.

Transport et pollutionLes émis­sions totales de CO2 de la France ont ain­si dimi­nué de 22 % entre 1980 et 1995 en pas­sant de 131,3 à 102,5 mil­lions de tonnes de car­bone (MtC) alors que le PIB crois­sait, en mon­naie constante, de 33 %. Pour­tant, « les trans­ports ont tra­ver­sé les chocs pétro­liers avec une cer­taine séré­ni­té grâce aux gigan­tesques capa­ci­tés d’a­dap­ta­tion mises en oeuvre dans d’autres sec­teurs (nucléaire, sub­sti­tu­tion, maî­trise de l’éner­gie) » [4]. Les émis­sions de CO2 dues aux trans­ports (soutes mari­times et aériennes com­prises) sont en effet pas­sées de 29,1 MtC en 1980 à 39 MtC en 1995 (+ 34 %) et leur part dans les émis­sions totales de la France de 22 à 38 %.

Le fait que les trans­ports ne repré­sentent qu’en­vi­ron 21 % des émis­sions de CO2 au niveau mon­dial [1] ne doit donc pas faire oublier que ce pour­cen­tage croît rapi­de­ment par­tout et qu’il est pro­bable que ce qu’a fait la France pour s’a­dap­ter au chocs pétro­liers, les autres pays le feront si des contraintes à court terme sont fixées sur leurs consom­ma­tions d’éner­gie fos­sile du fait des menaces climatiques.

En par­ti­cu­lier, les capa­ci­tés d’a­dap­ta­tion du sec­teur de la pro­duc­tion d’élec­tri­ci­té sont très impor­tantes, sans for­cé­ment recou­rir au nucléaire (si rem­pla­cer une cen­trale au char­bon par une cen­trale nucléaire per­met de sup­pri­mer les émis­sions de CO2, il ne faut pas oublier que la rem­pla­cer par une cen­trale au gaz per­met de les dimi­nuer de moi­tié tout en réa­li­sant une opé­ra­tion éco­no­mi­que­ment ren­table aux prix inter­na­tio­naux actuels des combustibles).

Il existe certes des gise­ments tech­niques de maî­trise de l’éner­gie consé­quents dans les trans­ports et tout devrait être fait pour les exploi­ter rapi­de­ment. Les ministres de l’En­vi­ron­ne­ment de l’U­nion euro­péenne se sont d’ailleurs fixé comme objec­tif d’at­teindre, avant 2010, un niveau d’é­mis­sion moyen de 120 gCO2/km pour les véhi­cules neufs ven­dus en Europe (120 gCO2/km cor­res­pond à 5 l/100 km pour les véhi­cules à essence) et les construc­teurs auto­mo­biles fran­çais se sont enga­gés pour leur part sur le chiffre de 150 gCO2/km en 2005.

Néan­moins, en l’ab­sence de solu­tions tech­niques com­pé­ti­tives qui offri­raient des pos­si­bi­li­tés de sub­sti­tu­tion aux car­bu­rants fos­siles dans le sec­teur des trans­ports, les gains sur l’ef­fi­ca­ci­té éner­gé­tique des véhi­cules ne seront vrai­sem­bla­ble­ment pas suf­fi­sants pour inflé­chir dura­ble­ment les ten­dances à la hausse des émis­sions du sec­teur. Pour mémoire, la baisse de la consom­ma­tion conven­tion­nelle moyenne des auto­mo­biles mises en cir­cu­la­tion en France (qui est pas­sée de 7,6 l/100km en 1980 à 6,5 l/100km aujourd’­hui) n’a per­mis que d’at­té­nuer la hausse des émis­sions due à l’aug­men­ta­tion de la mobilité. 

Évitera-t-on la crise de la voiture folle ?

Tout pro­blème de trans­port est une ques­tion d’a­jus­te­ment de l’offre et de la demande. À court et moyen terme, la seule solu­tion pour assu­rer cet ajus­te­ment est de jouer sur l’offre ; à long et sur­tout très long terme, la seule solu­tion, com­pa­tible avec le concept de déve­lop­pe­ment durable, est d’a­gir sur la demande.

Pour cela, le pro­blème de la tari­fi­ca­tion des trans­ports ne peut être élu­dé. Les trans­ports pré­sentent en effet la par­ti­cu­la­ri­té de com­por­ter, en dehors de leur contri­bu­tion à l’ef­fet de serre, des coûts externes nom­breux et éle­vés qui ne leur sont pas spon­ta­né­ment impu­tés par le mar­ché : coût d’in­fra­struc­tures, de conges­tion, d’in­sé­cu­ri­té, d’en­vi­ron­ne­ment local (bruit, pol­lu­tion de l’air). Si, en France, les divers élé­ments des fis­ca­li­tés spé­ci­fiques per­çues sur l’au­to­mo­bile à essence, dans ses tra­jets non urbains, paraissent équi­li­brer ces divers coûts externes, les recettes per­çues sur le trans­port rou­tier de mar­chan­dises et l’au­to­mo­bile en agglo­mé­ra­tion ne couvrent pas l’en­semble des coûts qu’ils occa­sionnent à la col­lec­ti­vi­té. Aux États-Unis, où les taxes sur les car­bu­rants sont très faibles, les usa­gers de la route ne paient même pas le coût des infra­struc­tures qu’ils utilisent.

Cette sub­ven­tion impli­cite aux trans­ports induit des choix peu réver­sibles en termes d’ur­ba­nisme et d’a­mé­na­ge­ment du ter­ri­toire, choix qui engendrent ensuite des besoins contraints de trans­ports tou­jours plus grands. Certes, les États-Unis sont un grand pays, mais croit-on vrai­ment que la géo­gra­phie seule explique qu’un Amé­ri­cain consomme trois fois plus de car­bu­rants qu’un Fran­çais et qu’un habi­tant de Hous­ton uti­lise cinq fois plus d’éner­gie pour se dépla­cer qu’un habi­tant de l’ag­glo­mé­ra­tion pari­sienne ? Est-on aus­si conscient, par exemple, qu’un kilo de mar­chan­dises ache­té dans un hyper­mar­ché de péri­phé­rie a néces­si­té pour le trans­por­ter presque trois fois plus d’éner­gie que le même kilo ache­té dans un petit super­mar­ché de centre-ville [5] ?

Faute pour les habi­tants des pays riches d’a­voir réus­si à inflé­chir à temps la crois­sance de la mobi­li­té, nos enfants se trou­ve­ront-ils confron­tés à une crise de la « voi­ture folle » si une sur­prise cli­ma­tique (comme l’ar­rêt de la cir­cu­la­tion ther­mo­ha­line dans l’At­lan­tique Nord qui condui­rait à sup­pri­mer l’ap­port de cha­leur qui en résulte en Europe) leur fait prendre bru­ta­le­ment conscience de la réa­li­té du chan­ge­ment de cli­mat ? Espé­rons qu’ils n’au­ront pas à mettre à la casse nos auto­mo­biles pri­vées de car­bu­rant et à dyna­mi­ter nos pavillons de ban­lieue et nos hyper­mar­chés ren­dus inaccessibles. 

Références

[1] IPCC Second Assess­ment Report – Cli­mate Change 1995. Vol. 1 : The Science of Cli­mate Change, Vol. 2 : Impacts, Adap­ta­tion and Miti­ga­tion of Cli­mate Change : Scien­ti­fic-Tech­ni­cal Ana­lyses, Vol. 3 : Eco­no­mic and Social Dimen­sions of Cli­mate Change (ver­sion inté­grale en anglais, la tra­duc­tion fran­çaise n’é­tant pas encore dis­po­nible), Cam­bridge Uni­ver­si­ty Press.
[2] GIEC, Deuxième rap­port d’é­va­lua­tion du GIEC – Chan­ge­ments cli­ma­tiques 1995 (résu­mé en fran­çais des rap­ports des groupes de tra­vail), Orga­ni­sa­tion météo­ro­lo­gique mon­diale (OMM) et Pro­gramme des Nations Unies pour l’en­vi­ron­ne­ment (PNUE).
[3] Robert Sadour­ny, « Modé­li­ser l’Ef­fet de Serre », Annales des Ponts et Chaus­sées, 79 24–30, 1996.
[4] Jean-Pierre Orfeuil, « Trans­ports et Effet de Serre », Annales des Ponts et Chaus­sées, 79 44–49, 1996.
[5] Jean-Marie Beau­vais et Fré­dé­rique Mas­sé, « Impact des formes de dis­tri­bu­tion sur l’emploi et les flux de trans­port », Trans­ports urbains, 91 23–28, 1996.

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