La mécanique : une science, des techniques, des industries

Dossier : MécaniqueMagazine N°574 Avril 2002
Par Georges MORDCHELLES-REGNIER
Par Michel COMBARNOUS (60)

Deux décen­nies après la publi­ca­tion de ce rap­port, beau­coup de choses ont chan­gé. Ain­si, on peut noter, tout à fait en vrac et à titre d’illus­tra­tion : le déve­lop­pe­ment consi­dé­rable des sciences et tech­niques dans bien des domaines, les nou­velles dimen­sions des rela­tions entre indus­triels et clients, en par­ti­cu­lier pour les pro­duits manu­fac­tu­rés, un élar­gis­se­ment consi­dé­rable des champs d’ac­tion à des espaces sou­vent mon­diaux, une popu­la­tion mon­diale qui s’est accrue de plus de 50 %, de nou­velles attentes indi­vi­duelles et socié­tales, par­fois même des évo­lu­tions sen­sibles dans l’or­ga­ni­sa­tion sociale de cer­taines structures…

Dans un tel contexte, com­ment se situe la méca­nique ? Plu­sieurs accep­tions de ce terme géné­ral sont en effet uti­li­sées, tant dans le lan­gage cou­rant que dans des cercles plus spé­cia­li­sés. Assez clas­sique pour bien des expres­sions du même type, cette situa­tion est accen­tuée en France, et entraîne un flou cer­tain, dans la per­cep­tion du rôle et de l’im­por­tance de la méca­nique, au sein de la com­mu­nau­té des méca­ni­ciens comme à l’ex­té­rieur. Par­mi ces accep­tions, on distingue :

  • la méca­nique, une science, ou plus exac­te­ment un ensemble de dis­ci­plines et de sous-dis­ci­plines scientifiques,
  • la méca­nique, une dis­ci­pline technologique,
  • la méca­nique, un cœur de métier à part entière,
  • la méca­nique, une indus­trie, ou plus exac­te­ment un ensemble de sec­teurs industriels.

La mécanique, une discipline scientifique

» La méca­nique est la science des lois du mou­ve­ment et de l’é­qui­libre, et de l’ap­pli­ca­tion de ces lois à la construc­tion et à l’emploi des machines. » (Larousse du XIXe siècle).

» La science des lois du mou­ve­ment et de l’é­qui­libre « , c’est le savoir (dis­ci­pline scien­ti­fique). Dans le cadre de cette défi­ni­tion de la méca­nique, la pre­mière branche de la phy­sique au sein de laquelle se sont déve­lop­pées les for­mu­la­tions quan­ti­ta­tives, de nom­breux champs du savoir sont regrou­pés, bien au-delà de notre envi­ron­ne­ment immé­diat, de l’in­fi­ni­ment grand (méca­nique céleste) à l’in­fi­ni­ment petit (méca­nique quan­tique et ondu­la­toire). Le der­nier siècle a vu éga­le­ment le déve­lop­pe­ment consi­dé­rable de la méca­nique des milieux défor­mables, fluides plus ou moins clas­siques, solides aux com­por­te­ments plus ou moins simples, maté­riaux aux com­po­si­tions et struc­tures plus com­plexes, aux rhéo­lo­gies subtiles.

Le rap­port » Ger­main » sur la méca­nique de 1980 incor­pore des dis­ci­plines for­te­ment connexes comme l’a­cous­tique, la ther­mique, la ther­mo­dy­na­mique, en ne per­dant pas de vue bien des aspects du génie des pro­cé­dés, des sciences de maté­riaux. Il le fait dans le sou­ci d’une cohé­rence des savoirs autour des objec­tifs des indus­tries méca­niques, et de la com­pré­hen­sion de phé­no­mènes natu­rels que l’on peut qua­li­fier de » mécaniques « .

Dans les uni­ver­si­tés et dans beau­coup d’é­coles d’in­gé­nieurs, comme dans toutes les for­ma­tions de tech­ni­ciens, le vocable » méca­nique » fait tan­tôt réfé­rence au » noyau dur » des dis­ci­plines évo­quées ci-des­sus, tan­tôt, au contraire, à l’en­semble de ces dis­ci­plines, dans une vision très orien­tée alors vers l’en­semble des applications.

La mécanique, une discipline technologique

» L’ap­pli­ca­tion de ces lois à la construc­tion et à l’emploi des machines « , c’est le savoir-faire (dis­ci­pline tech­no­lo­gique). Cette défi­ni­tion trop res­tric­tive, nous allions écrire trop » méca­niste « , doit être per­çue au sens large, inté­grant pro­gres­si­ve­ment l’en­semble des dis­ci­plines tech­no­lo­giques néces­saires à la concep­tion, construc­tion et uti­li­sa­tion des machines.

Ce fut, par exemple, l’in­tro­duc­tion des apports de la ther­mo­dy­na­mique, d’a­bord empi­rique, puis for­ma­li­sée, dans l’é­la­bo­ra­tion des moteurs à com­bus­tion interne. Par exemple aus­si, l’ap­port de l’au­to­ma­tique et de l’a­na­lyse des sys­tèmes, dans des pro­cé­dés méca­niques de plus en plus com­plexes. Par exemple enfin, l’in­tro­duc­tion de plus en plus mas­sive, dans les pro­jets, des savoirs et savoir-faire informatiques.

D’une manière géné­rale la méca­nique inter­vient, en tant que dis­ci­pline tech­no­lo­gique, dans le pro­ces­sus de concep­tion ou de réa­li­sa­tion, chaque fois que le ser­vice à l’u­ti­li­sa­teur final contient l’une des fonc­tions géné­riques suivantes :

  • sup­por­ter (four­nir l’os­sa­ture phy­sique d’un système),
  • résis­ter (aux sol­li­ci­ta­tions et agressions),
  • trans­mettre (des mou­ve­ments, voire des informations),
  • trans­por­ter (des objets, des hommes, des fluides),
  • modi­fier des struc­tures (défor­ma­tion, enlè­ve­ment de matière, assemblage),
  • mesu­rer (les formes, des états),
  • modi­fier les com­po­si­tions (mélanges, séparations),
  • trans­for­mer l’énergie,
  • trans­fé­rer (des consti­tuants, des quan­ti­tés de mou­ve­ment, la chaleur).


Les prin­ci­paux vec­teurs de ces fonc­tions sont alors des maté­riaux, des méca­nismes, des struc­tures, des moteurs et action­neurs, des mélan­geurs et sépa­ra­teurs, des réac­teurs et échan­geurs, des cap­teurs.

Dans beau­coup de cas, des pro­cé­dés com­plexes intègrent des asso­cia­tions de vec­teurs de nature dif­fé­rente. La com­pré­hen­sion de leurs inter­ac­tions sup­pose alors la mise au point de modèles de com­por­te­ment des sys­tèmes, que l’on peut consi­dé­rer comme autant de » nou­veaux vecteurs « .

Le métier du mécanicien

Il serait for­te­ment réduc­teur de limi­ter le rôle du méca­ni­cien à la four­ni­ture des fonc­tions et com­po­sants pure­ment méca­niques. Il assume le plus sou­vent la fonc­tion d’ar­chi­tecte indus­triel de sys­tèmes maté­riels com­plexes qui, face à un cahier des charges, sait inté­grer autour du sque­lette et de la mus­cu­la­ture tous les autres organes et fonc­tions, en pre­nant en compte les influences mutuelles et en arbi­trant les compromis.

Dans un pro­jet mul­ti­tech­no­lo­gies, le méca­ni­cien est très sou­vent le maître d’œuvre qui manie les méthodes modernes d’a­na­lyse fonc­tion­nelle et qui com­bine, en opti­mi­sant les inter­ac­tions, les dif­fé­rentes com­po­santes tech­no­lo­giques dans une réa­li­sa­tion maté­rielle opti­mi­sée et fiable.

Les pro­duits et pro­cé­dés modernes, même les plus banals, asso­cient, autour de la struc­ture maté­rielle, des tech­no­lo­gies rele­vant de plu­sieurs dis­ci­plines de l’art de l’in­gé­nieur (« les sciences pour l’in­gé­nieur » ?). Le méca­ni­cien-concep­teur doit maî­tri­ser les inter­faces entre ces dis­ci­plines.

Il doit élar­gir son champ d’ac­tion aux tech­no­lo­gies de fusion entre dis­ci­plines, où la simple jux­ta­po­si­tion des com­po­sants rele­vant de chaque dis­ci­pline n’est plus suf­fi­sante. Un exemple clas­sique d’une telle tech­no­lo­gie de fusion est l’opto­mé­ca­tro­nique, asso­ciant d’une manière inter­ac­tive l’in­for­ma­tique, l’au­to­ma­tique, l’élec­tro­nique et l’op­tique à une solide base de sciences méca­niques. Elle est omni­pré­sente dans l’au­to­mo­bile, la pho­to­gra­phie, les machines-outils, l’élec­tro­mé­na­ger, les péri­phé­riques de l’in­for­ma­tique, l’audiovisuel.

Les industries mécaniques

Plu­sieurs défi­ni­tions des indus­tries méca­niques, sen­si­ble­ment dif­fé­rentes, sont uti­li­sées, en France comme dans bien des pays développés.

Pour cer­tains, appar­tiennent à l’in­dus­trie méca­nique les indus­triels dont le savoir-faire, mis en œuvre dans leur pro­duc­tion, est fon­dé essen­tiel­le­ment sur les tech­no­lo­gies méca­ni­ciennes au sens étroit, telles que la modi­fi­ca­tion des struc­tures (usi­nage, assem­blage…). Le Centre tech­nique des indus­tries méca­niques (CETIM), par exemple, classe ces indus­triels en trois groupes : les sous-trai­tants, les fabri­cants de com­po­sants, les équi­pe­men­tiers. C’est dans le cadre de ce péri­mètre qu’est défi­nie, en France, notre Fédé­ra­tion des indus­tries méca­niques (FIM).

Pour d’autres, l’in­dus­trie méca­nique englobe aus­si les four­nis­seurs de sys­tèmes com­plets assu­rant des fonc­tions qui sont, par essence même, méca­ni­ciennes. On y trou­ve­rait en par­ti­cu­lier les construc­teurs de sys­tèmes de trans­port (auto­mo­bile, aéro­nau­tique, mari­time…), de sys­tèmes de trans­for­ma­tion d’éner­gie (cen­trales élec­triques, tur­bines hydrau­liques, moteurs…), de sys­tèmes de trans­for­ma­tion de la matière (réac­teurs, fer­men­teurs, filtres…). Dans ce cadre, par exemple, les sec­teurs pro­fes­sion­nels de l’au­to­mo­bile et de l’aé­ro­nau­tique se situent qua­si­ment dans le » pre­mier cercle » des indus­tries mécaniques.

Un champ encore plus large est embras­sé par ceux qui sou­haitent inclure dans l’in­dus­trie méca­nique les sec­teurs indus­triels qui pro­duisent des com­po­sants et sys­tèmes rem­plis­sant des fonc­tions non méca­ni­ciennes, mais uti­li­sant dans leur pro­ces­sus de concep­tion et de réa­li­sa­tion prin­ci­pa­le­ment les tech­no­lo­gies de la méca­nique. Avec cette accep­tion, on y trou­ve­rait par exemple l’in­dus­trie des com­po­sants élec­tro­niques et de l’électrotechnique.

Une diversité source de richesse et de débats

Per­çus par­fois, et nous l’é­vo­quions au début de ce texte, comme une source de confu­sion, ces dif­fé­rents registres et les inter­pré­ta­tions qu’ils per­mettent sont sources de réflexion et de débats, scien­ti­fiques, tech­niques, voire indus­triels. Et donc fac­teurs de progrès.

L’une des recom­man­da­tions du rap­port de l’A­ca­dé­mie des sciences concer­nait l’a­mé­lio­ra­tion des contacts entre les dif­fé­rents acteurs de la méca­nique natio­nale. D’où la sug­ges­tion de créer un comi­té. Cette sug­ges­tion, pour peu ori­gi­nale qu’elle puisse paraître, a conduit à l’é­mer­gence du » Haut comi­té méca­nique » (HCM), une struc­ture légère regrou­pant des acteurs des milieux aca­dé­miques (uni­ver­si­tés, écoles, orga­nismes de recherche…) et du monde indus­triel (res­pon­sables d’en­tre­prises, ingé­nieurs res­pon­sables de projets…).

L’une des tâches les plus immé­diates de ce Comi­té, mis en place en 1989, sous la pré­si­dence de Paul Ger­main, fut de pous­ser au regrou­pe­ment de tous les acteurs de la méca­nique, en France, au sein d’une asso­cia­tion unique, l’As­so­cia­tion fran­çaise de méca­nique (AFM), créée en décembre 1997.

Cette asso­cia­tion, struc­tu­rée en groupes thé­ma­tiques et en groupes trans­verses, dont le HCM consti­tue le comi­té stra­té­gique, a voca­tion à :

  • faire mieux connaître le rôle cen­tral de la méca­nique, dans la plu­part des sec­teurs industriels,
  • pro­mou­voir, en par­ti­cu­lier au sein des PME-PMI, la mis­sion du méca­ni­cien en tant que chef de pro­jet inté­gra­teur de tech­niques multiples,
  • amé­lio­rer la nature de la com­mu­ni­ca­tion entre les mondes de la recherche, de la for­ma­tion et de l’industrie.


Parce qu’elle est ce lieu unique, l’AFM œuvre­ra au déve­lop­pe­ment, dans ses mul­tiples facettes scien­ti­fiques, tech­niques et indus­trielles, d’une com­mu­nau­té qui devra pro­gres­si­ve­ment s’é­lar­gir à l’é­chelle de l’Europe.

Dans les der­nières décen­nies, le déve­lop­pe­ment de la méca­nique en France a été sti­mu­lé par les grands pro­jets natio­naux, rele­vant des sec­teurs de l’es­pace, du nucléaire, de l’aé­ro­nau­tique, de la défense, qui ont été moteurs de recherche tech­no­lo­gique et fon­da­men­tale. Aujourd’­hui, alors que le volume de ces grands pro­jets a dimi­nué consi­dé­ra­ble­ment, il est urgent de trou­ver d’autres moteurs pour faire pro­gres­ser les connais­sances en méca­nique face aux enjeux de la nou­velle donne mondiale.

Il ne fait pas de doute que les méca­ni­ciens, » au cœur du monde en mou­ve­ment » (pour reprendre la devise de l’AFM), s’im­pli­que­ront tout natu­rel­le­ment dans les grands défis actuels. On dénombre, par exemple, par­mi ces défis, nou­veaux moteurs de pro­grès :

  • l’a­mé­lio­ra­tion de la pro­duc­ti­vi­té et de la flexi­bi­li­té des usines du futur,
  • l’ac­crois­se­ment de la qua­li­té, de la main­tai­na­bi­li­té et de la minia­tu­ri­sa­tion des nom­breux objets usuels,
  • des sauts de per­for­mance des sys­tèmes infor­ma­tiques et bio­mé­di­caux, notam­ment par la micro et nano­mé­ca­nique et maté­riaux nouveaux,
  • de nom­breux aspects de la pro­tec­tion de l’environnement,
  • et plus par­ti­cu­liè­re­ment la créa­tion de meilleures condi­tions de vie aux popu­la­tions qui sont les plus tou­chées par l’âge ou par un handicap.


Par des inter­ven­tions ampli­fiées dans ces domaines, les méca­ni­ciens pour­ront ain­si, élar­gis­sant les champs tra­di­tion­nels de leur action, faire face aux défis les plus intenses du monde de demain. 
 

Georges Mord­chelles-Régnier et Michel Com­bar­nous, tous deux membres de l’A­ca­dé­mie des tech­no­lo­gies, sont membres du Haut comi­té méca­nique, dont M. Com­bar­nous assure la pré­si­dence, depuis 1998, à la suite de Paul Germain.

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