Histoire Climatique

Dossier : Réchauffement climatiqueMagazine N°709 Novembre 2015
Par Michel LEPETIT (81)

Il est donc temps d’agir !

Pour­tant, pro­ba­ble­ment, la volon­té de faire face au défi pla­né­taire fera défaut.

En réa­li­té, il est temps pour nous d’agir depuis bien long­temps. Et l’histoire nous donne ici de grandes leçons, car nous n’avons rien fait.

Dans un ouvrage excep­tion­nel tou­jours inédit sur la toile, un rap­port brillant écrit en 1953 pour la “US Ato­mic Com­mis­sion”, Pal­mer Put­nam, un ingé­nieur consul­tant de talent et “poly-tech­ni­cien” a ten­té de répondre de manière pros­pec­tive à de nom­breuses ques­tions por­tant sur l’ “ENERGY IN THE FUTURE”.

Put­nam a essayé d’évaluer la demande mon­diale la plus plau­sible pour les 50–100 ans à venir (soit aux hori­zons 2000 et 2050). Au début des années 1950, la Com­mis­sion Ato­mique amé­ri­caine sou­haite anti­ci­per les ques­tions de poli­tique publique et éco­no­miques en regard du déve­lop­pe­ment pré­vi­sible de l’énergie ato­mique. Les quelques 600 pages d’analyse de ce rap­port sont si per­ti­nentes et éclai­rantes sur des sujets comme la démo­gra­phie ou les res­sources éner­gé­tiques que la Com­mis­sion accepte que le rap­port soit ren­du public.

ENERGY IN THE FUTURE : cette somme très docu­men­tée porte prin­ci­pa­le­ment sur les dif­fé­rentes sources d’énergie, et d’abord celles d’origine fos­sile ; sur la démo­gra­phie ; sur des pro­jec­tions de consom­ma­tion, leurs ordres de gran­deur et extra­po­la­tions pour les dif­fé­rents grands pays, en pre­nant comme hypo­thèse que ceux-ci vont adop­ter l’ame­ri­can way of life. Les pré­vi­sions pour 2000 sont saisissantes !

On trouve plu­sieurs cha­pitres en annexe au rap­port. Le 6e s’intitule : “JUSQU’A QUAND POURRA-T-ON VIVRE DE NOTRE CAPITAL ENERGETIQUE ? LES RESERVES ECONOMIQUEMENT RECUPERABLES DE CHARBON, DE SCHISTE ET DE SABLES BITUMINEUX, AVEC LEURS TENDANCES DE COUT UNITAIRE, UNE NOTE SUR LA COMBUSTION DES ENERGIES FOSSILES, LE CLIMAT ET LE NIVEAU DES MERS”, cha­pitre dans lequel Put­nam s’intéresse dans le détail à la raré­fac­tion anti­ci­pée des res­sources et aux réserves du sous-sol.

Et il y a notam­ment cette note dédiée 6–1 : “La com­bus­tion des car­bu­rants fos­siles, le cli­mat et le niveau des mers” qui explique (sou­ve­nez-vous, nous sommes en 1953 !) :

Jusqu’à très récem­ment, du moins, le temps1 s’est réchauf­fé, par­ti­cu­liè­re­ment en hiver aux lati­tudes éle­vées. Les gla­ciers reculent. Le niveau des mers monte du fait de la fonte des glaces. (Figs. 6–16N, 6–17N, et 6–18N, et Table 6–32N).

Elévation du niveau de la mer enregistré

Cer­tains soup­çonnent que l’homme pour­rait avoir contri­bué à ces phé­no­mènes par la com­bus­tion et par d’autres acti­vi­tés rou­ti­nières. L’explication est la sui­vante : les acti­vi­tés de l’homme ont eu ten­dance à enri­chir le conte­nu en CO2 de l’atmosphère de deux façons. D’abord, il a empê­ché l’élimination d’une par­tie de ce CO2 en sub­sti­tuant prai­ries et cultures aux forêts, et rues et autres zones sté­riles à celles qui accueillaient de la végé­ta­tion. Les effets d’une telle sub­sti­tu­tion sont évo­qués dans la Table 6–33N.

Fixation du carbone par les plantes
CO2 rejeté dans l'atmosphère par l'activité humaine

Ensuite, il a injec­té des volumes crois­sants de CO2 dans l’atmosphère, prin­ci­pa­le­ment par la com­bus­tion de com­bus­tibles fos­siles. La Table 6–34N en donne des esti­ma­tions par période his­to­rique. Il est pro­bable que la réduc­tion par l’homme du volume total de matière verte a « refou­lé » dans l’atmosphère plu­sieurs fois la quan­ti­té de CO2 qu’il y a injec­té par d’autres acti­vi­tés. Il est pos­sible que l’apport résul­tant de ces deux fac­teurs soit au total de 300 ppm pour les 50 der­nières années.

Il est vrai que les océans, ain­si que les plantes ter­restres, ont une immense capa­ci­té à absor­ber du CO2 addi­tion­nel et à main­te­nir l’équilibre du cycle du CO2 (Fig. 6–19N). Mais, explique-t-on, ces réponses ont ten­dance à atté­nuer plu­tôt qu’éliminer les apports de CO2. Et, dans tous les cas, il peut y avoir un déca­lage dans le temps.

Les mesures sug­gèrent que le taux en CO2 a peut-être légè­re­ment aug­men­té lors des 50 der­nières années. Les valeurs avan­cées sont : de l’ordre de 290 par­ties par mil­lion vers 1900 à envi­ron 320 ppm vers 1935. Cette aug­men­ta­tion pos­sible de quelques 30 ppm est à peine deux fois l’écart type esti­mé, que cer­taines mesures situent dans une four­chette de 10–17 ppm (Table 6–35N.)

Cette petite aug­men­ta­tion peut être réelle. Pour autant, peu de météo­ro­logues s’accordent sur le fait qu’une aug­men­ta­tion de 10% du taux de CO2 pour­rait cau­ser les fluc­tua­tions cli­ma­tiques observées.

Peut-être la récente aug­men­ta­tion des tem­pé­ra­tures s’est-elle déjà inver­sée. Peut-être n’y a‑t-il pas eu véri­ta­ble­ment d’augmentation du taux de CO2 dans l’atmosphère. Peut-être que l’augmentation qu’on a pu avoir n’a eu aucun impact visible sur le cli­mat. Peut-on se per­mettre d’en res­ter là sur cette ques­tion, sans inves­ti­ga­tion supplémentaire ?

Le cycle du carbone dans la photosynthèseLa demande maxi­male plau­sible d’énergie peut nous entraî­ner à brû­ler, pas seule­ment les 40 Q [1Q = 1019 Btu] des réserves en res­sources fos­siles éco­no­mi­que­ment récu­pé­rables, mais peut être aus­si une part des réserves mar­gi­nales2 .

Autre­ment dit : dans les 50 ou 100 pro­chaines années, nous pour­rions brû­ler jusqu’à 10 fois plus de com­bus­tible que dans les 50 der­nières années. Par toutes nos acti­vi­tés, nous pour­rions refou­ler ‑hors de- et injec­ter dans l’atmosphère 3000 ppm de CO2 – 10 fois le conte­nu actuel de 300 ppm.

Peut-être qu’une telle per­tur­ba­tion du cycle du CO2 contri­bue­rait à aug­men­ter suf­fi­sam­ment le conte­nu en CO2 de l’atmosphère pour impac­ter le cli­mat et cau­ser une élé­va­tion sup­plé­men­taire du niveau des mers. Nous ne le savons pas (*). Il faut qu’on sache.

Proportion de CO2 dans l'air de 1886 à 1935

(*) Les dernières expériences et calculs expérimentaux montrent qu’un doublement du taux de CO2 de l’atmosphère entraînerait une montée des températures de surface de 4°F [20/9 °C] toutes choses égales par ailleurs. D’autres facteurs contribuant au réchauffement de la terre pourraient être déclenchés par une augmentation du CO2 dans l’atmosphère. Elle pourrait entraîner une diminution de la pluviométrie par ses effets sur la couverture nuageuse, et une moindre couverture nuageuse pour la terre, les deux tendant à produire un climat plus chaud et plus sec. (Plass (Gilbert N.), 1953) (Wash. Post, May 5, 1953, p.5, citant un papier lu à la session d’ouverture de l’American Geophysical Union à la National Academy of Sciences.)

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1. L’auteur uti­lise le terme « wea­ther » mais ses exemples tendent à mon­trer qu’il fait en fait réfé­rence au ‘cli­mat’
2. On sup­pose que l’auteur fait la dis­tinc­tion entre réserves prou­vées, pro­bables et spé­cu­la­tives, ain­si qu’entre réserves et ressources

CONCLUSION

Si une telle pos­si­bi­li­té existe, que la crois­sance poten­tielle maxi­male de la demande d’énergie, cou­plée avec nos autres acti­vi­tés, qui pour­rait par mégarde impac­ter le cli­mat, nous devrions cher­cher à le savoir jusqu’à ce que le doute soit levé. S’il existe une telle pos­si­bi­li­té que la crois­sance la plus plau­sible de la demande d’énergie, cou­plée à nos autres acti­vi­tés, puisse par inad­ver­tance impac­ter le cli­mat, nous devrions cher­cher à le savoir jusqu’à ce que le doute soit levé.

1953. Et donc il fal­lait qu’on sache.

2015. Nous savons.

Et années après années, les ques­tions évo­quées par Put­nam ont été étu­diées, com­plé­tées, appro­fon­dies et cla­ri­fiés par la science. Le GIECC a été créé en 1988. J’ai per­son­nel­le­ment été frap­pé à la lec­ture du second rap­port. Son cin­quième rap­port affirme en 2014 : “ Il est extrê­me­ment pro­bable que plus de la moi­tié de l’aug­men­ta­tion de la tem­pé­ra­ture de sur­face moyenne glo­bale obser­vée de 1951 à 2010 a été cau­sée par l’aug­men­ta­tion anthro­pique des concen­tra­tions des gaz à effet de serre en même temps que d’autres for­çages anthropiques. ”

Patient tra­vail des scien­ti­fiques, écho répé­té à la mise en garde de Put­nam. Mais, donc, à lire le cri d’alerte glo­bale de Put­nam pous­sé dès 1953, nombre d’entre nous le savent depuis long­temps, non ? Du fait des symp­tômes, du fait des prin­cipes phy­si­co-chi­mique de base sous-jacents, les scien­ti­fiques, les ingé­nieurs et les éco­no­mistes (du type Put­nam) nous ont per­mis d’anticiper l’impérative tran­si­tion éner­gé­tique, depuis le milieu du siècle pas­sé. Fal­lait-il attendre la confir­ma­tion par les études qui ont suivi ?

“Il faut qu’on sache”.

1953. ENERGY IN THE FUTURE

En 2015, “savoir” ne suf­fi­ra plus … Nous savons que “Le réchauf­fe­ment du sys­tème cli­ma­tique est sans équi­voque, et depuis les années 1950, la plu­part des chan­ge­ments obser­vés sont sans pré­cé­dent depuis des décen­nies à des mil­lé­naires.” (GIECC 2014)

Il nous faut plus de Putnam.

Et il faut main­te­nant agir.

Evolution du niveau de la mer par siècle

Cet article n’est pas inclus dans le dos­sier du jour­nal papier
Le texte ori­gi­nal de Put­nam est dis­po­nible en amé­ri­cain dans le pdf (bou­ton supé­rieur ou ici)

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