Statue de Louis Leprince-Ringuet, à Alés

Alès, 8 mars 2002, la Ville et l’école des Mines honorent Louis Leprince-Ringuet (20N)

Dossier : ExpressionsMagazine N°576 Juin/Juillet 2002Par Jean WERQUIN (38)

e me suis tou­jours intéressé, depuis ma nais­sance peut-on dire, au développe­ment de l’É­cole des mines d’Alès déclarait volon­tiers Louis Lep­rince-Ringuet. Son père y enseignait, lui-même est né à Alès en 1901 ; il y a sou­vent séjourné, ren­con­trant des amis, don­nant des con­férences, prési­dant pen­dant quelques années le jury du ” Cabri d’or “. 

Je me suis tou­jours intéressé, depuis ma nais­sance peut-on dire, au développe­ment de l’É­cole des mines d’Alès déclarait volon­tiers Louis Lep­rince-Ringuet. Son père y enseignait, lui-même est né à Alès en 1901 ; il y a sou­vent séjourné, ren­con­trant des amis, don­nant des con­férences, prési­dant pen­dant quelques années le jury du ” Cabri d’or “. 


Louis Lep­rince-Ringuet. Stat­ue de Guillemette de Willien­court (Alès). © G. DE WILLIENCOURT

Rien d’é­ton­nant, donc, si cette école — l’E­MA — et la munic­i­pal­ité ont voulu, en cette journée ensoleil­lée du 8 mars, ren­dre un solen­nel hom­mage à l’un des illus­tres Alésiens. 

Le Cen­tre de recherch­es de l’E­MA et la 153e pro­mo­tion ont reçu son nom ; une stat­ue de notre ancien a été inau­gurée sur la place de la mairie. 

À con­sid­ér­er le pro­gramme et les nom­breux dis­cours prévus, on aurait pu crain­dre une cer­taine pompe. Par bon­heur, chaque ora­teur s’est sou­venu que tel n’é­tait pas le genre de ” Lep­rince “, comme le surnom­maient ses élèves et ses proches col­lab­o­ra­teurs (ses mécani­ciens, recrutés par­mi les anciens des équipes sociales, avaient même — on l’a pré­cisé — le priv­ilège de s’adress­er à lui par ce voca­ble affectueux). 

Aus­si la plu­part des inter­venants ont-ils su plac­er quelques touch­es d’un humour où il n’au­rait pas man­qué de se recon­naître. Citons, par exem­ple, le préfet du Gard par­lant des ” abstrac­to­crates ” que fustigeait Lep­rince, en ajoutant : ” Je n’au­rai pas le masochisme de pré­cis­er à quelle école il fai­sait allusion. ” 

Ou bien son gen­dre, Charles de la Ron­cière, rap­pelant la con­sid­éra­tion du pro­fesseur à l’é­gard des mécani­ciens, Gégène, Boulanger et autres, grâce à qui les machines con­stru­ites au labo restaient fiables. 

Dans la même veine, Bénédite de la Ron­cière, fille aînée du pro­fesseur, évo­quait devant la pro­mo­tion qu’elle allait bap­tis­er l’épisode du ” Baron Noir “, cet avi­a­teur qui, plusieurs nuits de suite, a sur­volé Paris incog­ni­to à basse alti­tude. Enten­dant par hasard cette infor­ma­tion à la radio, l’a­cadémi­cien remar­quait : ” Je trou­ve ça for­mi­da­ble : voilà quelqu’un qu’on ne voit pas et qui fait quelque chose, alors qu’il y en a tant qu’on voit et qui ne font rien ! ” 

Sur un ton plus sérieux, le dernier fils de Lep­rince, Néri, racon­tait une action de son père en 1943, forçant avec son autorité de ” Herr Dok­tor Pro­fes­sor ” tous les bureaux de la Gestapo à Paris, jusqu’à faire relâch­er son épouse qui était enceinte. 

Guillemette de Williencourt devant le buste de Louis Leprince-Ringuet.
Guillemette de Willien­court devant le buste de Louis Lep­rince-Ringuet. © G. DE WILLIENCOURT

Car, ayant acqui­escé au pro­jet des Alésiens, la famille de Louis Lep­rince-Ringuet a su présen­ter cet homme aux mul­ti­ples facettes, insis­tant surtout sur ses traits les moins offi­ciels : le pein­tre, le joueur classé de ten­nis, l’hu­man­iste atten­tif aux pau­vres et aux petits, le croy­ant engagé, le père de famille nom­breuse aux rares qual­ités d’é­coute et de dia­logue, qui ” inven­tait des recettes de desserts “. 

Bénédite de la Ron­cière s’est tail­lé un franc suc­cès en enta­mant ain­si son allo­cu­tion à la dernière pro­mo­tion de l’E­MA : ” Si mon père était là, il com­mencerait cer­taine­ment par vous dire : ne tra­vaillez pas trop ! ” Et le sculp­teur du buste inau­guré devant l’hô­tel de ville, Guillemette de Willien­court, n’est autre que l’une des petites-filles de Lep­rince. Elle l’a représen­té un bras en avant et la main ouverte, pour exprimer, dit-elle, à quel point il esti­mait impor­tant de recevoir autant que de donner. 

Une mini-expo­si­tion dans l’en­trée de la mairie rassem­blait des sou­venirs de Lep­rince : quelques tableaux de lui, des pho­tos (entre autres, dans l’in­con­fort­able benne du pre­mier téléphérique de l’Aigu­ille du Midi), des repro­duc­tions d’actes offi­ciels, et même une page de la Revue Barbe 1937, où le dis­cours de son per­son­nage était aisé­ment recon­naiss­able. En fin de journée, une messe du sou­venir rap­pelait com­bi­en sa foi était profonde. 

Une belle journée s’achève rarement sans imprévu. Au moment du dévoile­ment de la stat­ue, le dernier dis­cours offi­ciel et la vibrante Mar­seil­laise des écol­iers ont eu peine à domin­er le con­cert de klax­ons des infir­mières en colère, roulant lente­ment autour de la place. Elles ont fait quelque chose, elles, et ont bien su se faire enten­dre : de là-haut, Louis Lep­rince-Ringuet a dû sourire… 

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