Albert Messiah (40) Résistant et physicien

Dossier : ExpressionsMagazine N°686 Juin/Juillet 2013
Par Alexandre MOATTI (78)

Albert Mes­si­ah, reçu à Poly­tech­nique, s’embarque le 21 juin 1940 à Saint-Jean-de-Luz pour Lon­dres, sur le Bato­ry, avec d’autres jeunes de vingt ans, comme François Jacob et Robert Saunal – ce dernier sera un des trente-trois Com­pagnons de la Libéra­tion polytechniciens.

Il par­ticipe en sep­tem­bre à l’opération de Dakar avec de Gaulle, qui dut se retir­er, refu­sant de riposter aux troupes de Vichy qui avaient ouvert le feu. Il débar­que avec le Général en AEF et rejoint Braz­zav­ille où il est affec­té à divers­es unités de sou­tien logis­tique – c’était une « drôle de guerre », y com­pris dans la France libre.

La règle d’Hitler

Albert Messiah (40) Résistant et physicien
Albert Mes­si­ah. © A. MOATTI

Deman­dant à plusieurs repris­es à rejoin­dre les unités com­bat­tantes, il par­ticipe à la libéra­tion de Stras­bourg, réal­isant avec Leclerc et son frère André Mes­si­ah (X 40 lui aus­si) le ser­ment de Koufra (« Jurez de ne dépos­er les armes que lorsque nos couleurs flot­teront sur la cathé­drale de Stras­bourg »). Il fait par­tie des groupes avancés de la 2e DB qui pren­nent le « Nid d’aigle » de Bercht­es­gaden – il en rap­porte la règle d’Hitler qu’il donne au musée de l’Ordre de la Libération.

Il évo­quait avec mal­ice ce menu larcin, comme une vengeance per­son­nelle – dérisoire mais sym­bol­ique – con­tre Hitler et la bar­barie qu’il avait fait subir à son peuple.

Une préfiguration de la théorie des quarks

Après Poly­tech­nique, il entre au corps des Mines et s’oriente vers une car­rière de physi­cien. Il se forme à la physique quan­tique au sémi­naire Bohr à Prince­ton en 1949–1950 – il racon­tait qu’Einstein y assis­tait, même s’il y arrivait un peu en retard –, puis passe trois ans à l’université de Rochester (New York).

« Le Mes­si­ah » sera con­sid­éré comme un apport majeur à la sci­ence mondiale

Cette for­ma­tion lui per­met de met­tre en place à son retour le pre­mier enseigne­ment véri­ta­ble­ment struc­turé et mod­erne de physique quan­tique en France, à par­tir de 1955 au CEA, qu’il rejoint à l’instigation d’Yves Rocard et de Pierre Guil­lau­mat (28).

Ses pro­pres travaux de recherche por­tent sur les paras­ta­tis­tiques quan­tiques, qui peu­vent être con­sid­érées comme une pré­fig­u­ra­tion de la théorie des quarks. De l’ensemble, il tire un livre, Mécanique quan­tique, con­nu comme « le Messiah ».

Le monde sci­en­tifique l’attendait, sans jeu de mots : ce livre sera en effet con­sid­éré par la com­mu­nauté de la physique quan­tique, dès sa tra­duc­tion en anglais au début des années 1960, comme un apport majeur à la sci­ence mon­di­ale. Réédité pen­dant trente ans, il sert encore aujourd’hui de fonde­ment à de nom­breux autres ouvrages et cours, et a par­ticipé à la for­ma­tion de toute une généra­tion de physi­ciens français, comme Roger Balian (52), les prix Nobel Pierre-Gilles de Gennes ou Claude Cohen-Tannoudji.

Directeur au CEA

Albert Messiah(40) avec André Giraud (44).
Albert Mes­si­ah avec André Giraud (44). © CEA

Au CEA, qui con­sti­tu­ait un for­mi­da­ble appel d’air en matière de recherche pour de jeunes physi­ciens, nor­maliens ou poly­tech­ni­ciens, il devient directeur du départe­ment de la Physique nucléaire en 1965, puis directeur de la Physique en 1972, après le décès pré­maturé de Claude Bloch (1923–1971, X42). Il con­tribue au développe­ment de la recherche expéri­men­tale, notam­ment dans les domaines de la physique nucléaire de basse et haute énergie.

Rompant les bar­rières qui séparaient le monde des ingénieurs et chercheurs de haut niveau de celui des pre­miers cycles uni­ver­si­taires, il devient pro­fesseur à l’université Pierre-et- Marie-Curie. Il y enseigne, aus­si, que l’esprit sci­en­tifique con­siste moins à savoir des choses qu’à se pos­er des ques­tions ; que, dans la sci­ence, la démarche compte au moins autant que le résultat.

« L’Histoire est faite par ceux qui pren­nent des risques, pas par ceux qui vont dans le sens des événements »

En 2009, Albert Mes­si­ah inter­ve­nait devant les élèves de Poly­tech­nique à Palaiseau. Un peu fatigué, mais l’œil mali­cieux il partageait, là encore, quelques enseigne­ments. Rail­lant la stu­pid­ité de la phrase de Pétain « entre sol­dats, et dans l’honneur » (quel sol­dat, quel hon­neur, à pro­pos d’Hitler ?), il fai­sait remar­quer, au sujet des dirigeants et du corps social de 1940 : « Il est beau­coup plus facile d’être médiocre que d’être intel­li­gent. » Et tout le monde avait com­pris que cela s’appliquait à toutes épo­ques et toutes caté­gories, bril­lants élèves de grandes écoles notam­ment, à tout âge.

Il ajoutait : « L’Histoire est faite par ceux qui pren­nent des risques, pas par ceux qui vont dans le sens des événe­ments. » Ces phras­es réson­naient fort devant ces jeunes en uni­forme, au seuil de leur vie et de leurs choix. Elles réson­nent encore, même si Albert Mes­si­ah est parti.

Pour en savoir plus

Il a œuvré pour la patrie, il a œuvré pour les sci­ences – quant à la gloire, ce n’était pas sa pri­or­ité. C’est un autre bateau que le Bato­ry qu’il a pris, mais le fanal qui le guide et qui nous guide, c’est celui de la résis­tance à la bêtise, celui de la volon­té, de la con­nais­sance, de la sci­ence – c’est aus­si celui de son regard plein d’intelligence.

[Mes remer­ciements à Roger Balian pour la recon­sti­tu­tion de la car­rière de physi­cien d’A. Messiah.]

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