Pierre Nelson

Pierre Nelson (51) scientifique aussi éminent qu’éclectique

Dossier : TrajectoiresMagazine N°773 Mars 2022
Par Roger CHÉRET (58)

Décédé le 3 octo­bre 2020, Pierre Nel­son a con­sacré sa vie à la recherche, tout d’abord dans le domaine du nucléaire où il a été un des hommes clés qui ont per­mis à la France d’entrer dans la cour des grands, et ensuite dans le domaine de la biolo­gie qui l’a amené à se pas­sion­ner pour le fonction­nement du cerveau et du sys­tème nerveux.

Né le 26 juil­let 1931, Pierre a 13 ans quand il est – avec sa mère, sa sœur, son frère et d’autres enfants de l’Union générale des Israélites de France – arrêté par les Alle­mands et déporté dans le camp de Bergen-Belsen « réservé » aux familles de pris­on­niers de guerre français. Les con­di­tions de déten­tion y sont réputées moins dures que dans les autres camps de sin­istre mémoire. Mais tous les enfants n’en revien­dront pas et il fau­dra un con­cen­tré de chance et de courage pour que, en 1945, Madame Nel­son ramène à Paris toute sa cou­vée. Pierre Nel­son reprend ses études au lycée Jan­son-de-Sail­ly et y laisse, en taupe, le sou­venir d’un météore. Il est admis à l’X en 1951 et en sort dans le corps des ingénieurs de l’Aéronautique, non pas qu’il ait ressen­ti un quel­conque appel de l’air, mais en rai­son de la récep­tiv­ité du corps à l’appel de la recherche.

Un pionnier de la modélisation 

Au CEA, sous la houlette de Jules Horowitz, la direc­tion des piles atom­iques exerce une fas­ci­na­tion sur les esprits avides d’aventure et de revanche. Il y passe quelques années, mais s’accommode mal du tem­po exigé par le pro­gramme indus­triel en ges­ta­tion. En 1958, la créa­tion du CEA DAM lui donne une sec­onde occa­sion de s’évader : dans un tout autre paysage, il apprend à jon­gler avec d’autres ordres de grandeur. Il excelle dans la mod­éli­sa­tion avant que ce mot ne prenne l’ampleur que lui ont con­férée l’ordinateur et l’analyse numérique. Une cer­taine méfi­ance pour l’expérience et, aus­si, une pré­coce famil­iar­ité avec le rel­a­tivisme de Karl Pop­per (1902–1994) l’ont regret­table­ment éloigné des rivages de la grande découverte.

Rivalité franco-chinoise

L’épisode suiv­ant est révéla­teur du rôle de sci­ence angel qu’il n’a cessé de jouer. En 1967, le prési­dent Charles de Gaulle s’irrite de plus en plus ouverte­ment de voir le rival chi­nois s’approcher, de faux pas en faux pas, du seuil ther­monu­cléaire. Au CEA DAM, pressé par le pou­voir poli­tique de faire la per­cée qui mène à la bombe H, les ten­ta­tives se mul­ti­plient, plus ou moins étayées, plus ou moins originales.

Pierre Nel­son, à la tête du GET (Groupe d’études ther­monu­cléaires), est chargé de met­tre de l’ordre dans ce vivi­er. À la fin du print­emps 1967, une « idée géniale » (sic) attire son atten­tion à tel point qu’il incite son auteur – le jeune et mod­este ingénieur de fab­ri­ca­tions d’armement Michel Caray­ol (54) – à ne par­tir en vacances qu’après l’avoir con­signée dans une note en bonne et due forme. Asso­ciée à deux autres apports de Pierre Bil­laud (39) et Luc Dagens, « l’idée géniale » con­duit à l’architecture des engins expéri­men­taux qui, en 1968, exhibent la méga­tonne d’énergie de fusion et accrédi­tent l’entrée de la France dans la cour des grands.

Mémorable aus­si, et plus per­son­nel, est le sou­venir de ce jour de jan­vi­er 1972 où, revenant du petit vil­lage pyrénéen où il pas­sait le con­gé de Noël avec sa tante, Pierre m’apporta quelques pages man­u­scrites où était défini­tive­ment cadré le dif­fi­cile prob­lème de l’autosûreté des amorces.

De l’atome aux neurones

Il n’aimait pas par­ler de lui, ni de ces épreuves qui l’avaient pro­fondé­ment mar­qué, et induit en lui une ironie mor­dante et une dés­in­vol­ture qui en ont décon­te­nancé plus d’un. Mais son humil­ité était une béné­dic­tion pour quiconque avait l’honneur et le priv­ilège d’attirer sa con­fi­ance. En vérité, il trou­vera sat­is­fac­tion et épanouisse­ment dans la biolo­gie, comme en témoigne son ouvrage La logique des neu­rones et du sys­tème nerveux édité par Mal­oine-Doin en 1978. En 1982, il pub­liera chez le même édi­teur Neu­ro-phys­i­olo­gie des instincts et de la pensée.

Commentaire

Ajouter un commentaire

Jean Louis Bobin (X54)répondre
14 mars 2022 à 15 h 07 min

Mer­ci pour ce por­trait de Pierre Nel­son. J’ai tra­vail­lé avec lui au GET et dans d’autres cir­con­stances. Il avait du charisme en plus de grandes qual­ités de physi­cien dont je peux témoign­er (pour la biolo­gie je laisse cela à d’autres). Les épreuves subies pen­dant la guerre et l’oc­cu­pa­tion avaient entrainé chez lui un cer­tain détache­ment par rap­port aux péripéties de la vie pro­fes­sion­nelle et en société. On retrou­ve cette même dis­tance dans son livre “Une enfance si douce” paru chez l’Har­mat­tan où il racon­te sans fior­i­t­ures ni pathos les tribu­la­tions d’une famille bal­lotée en France de camp en rési­dence plus ou moins clan­des­tine avant la dépor­ta­tion qui s’achève sur un périple hal­lu­ci­nant au milieu d’une Alle­magne en ruines. Il se dégage en creux dans cet ouvrage un por­trait de femme qui aide à com­pren­dre tout le respect que son fils ainé lui portait.
A mon grand regret, j’avais per­du le con­tact avec Pierre Nel­son après mon pas­sage à l’u­ni­ver­sité. Il reste le sou­venir d’une per­son­nal­ité sin­gulière qui fut aus­si un ami très cher.

Répondre