« La réussite de la transition et l’atteinte de la neutralité carbone sont des défis collectifs »

ADEME Hauts-de-France : « La réussite de la transition et l’atteinte de la neutralité carbone sont des défis collectifs »

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°789 Novembre 2023
Par Éric VIDALENC

Éric Vida­lenc, aujourd’hui Direc­teur régio­nal adjoint au sein de la Direc­tion régio­nale ADEME Hauts-de-France, avait pilo­té, il y a déjà deux ans, la Pros­pec­tive Tran­si­tions 2050. Dans cette inter­view, il revient sur ces tra­vaux, dresse un bilan éner­gé­tique et cli­ma­tique et par­tage avec nous les prin­ci­paux enjeux et pistes de réflexion qui néces­sitent une mobi­li­sa­tion cli­ma­tique pour atteindre la neu­tra­li­té car­bone à hori­zon 2050.

Quel est le bilan énergétique et climatique que vous dressez à l’heure actuelle ?

Avec le pic de consom­ma­tion éner­gé­tique en France, il y a près de 20 ans, on observe, , que tous les efforts en matière d’efficacité éner­gé­tique et de maî­trise de la demande com­mencent à por­ter leurs fruits. Mais si la consom­ma­tion d’énergie dimi­nue, le rythme de cette dimi­nu­tion n’est pas aus­si rapide que ce que nous sou­hai­tons et visons selon la loi. En paral­lèle, la consom­ma­tion éner­gé­tique est encore majo­ri­tai­re­ment de source fos­sile. Or, en grande par­tie le pro­blème cli­ma­tique est jus­te­ment due aux éner­gies fos­siles qui sont res­pon­sables d’un volume impor­tant d’émissions de gaz à effet de serre.

Néan­moins, struc­tu­rel­le­ment, en France, ces émis­sions de gaz à effet de serre dimi­nuent dans la qua­si-tota­li­té des sec­teurs. À l’heure actuelle, la mobi­li­té reste le sec­teur où cette dimi­nu­tion… n’existe pas. Si l’industrie auto­mo­bile fabrique des voi­tures qui consomment de moins en moins avec des moteurs tou­jours plus effi­caces, les flux de per­sonnes et de mar­chan­dises sont en per­pé­tuelle croissance.

Le bilan sur l’énergie et le cli­mat est donc contras­té, même s’il est impor­tant de sou­li­gner que nous sommes glo­ba­le­ment dans la bonne direc­tion. De nom­breuses actions et ini­tia­tives sont lan­cées Aujourd’hui, le véri­table défi est d’accélérer le rythme. D’ailleurs, les tra­vaux du Haut Conseil pour le Cli­mat appellent régu­liè­re­ment à cette accé­lé­ra­tion, car, actuel­le­ment, nous ne sommes pas à la hau­teur des ambi­tions et des objec­tifs que nous nous sommes fixés dans le cadre de l’atteinte de la neu­tra­li­té car­bone à hori­zon 2050.

Enfin, il existe aus­si de très grands contrastes entre les dif­fé­rentes zones géo­gra­phiques du monde. En Europe, les émis­sions dimi­nuent. À l’inverse, à l’échelle mon­diale, les émis­sions n’ont pas encore atteint leur pic et ne sont pas encore en phase de diminution.

Dans le cadre de ces missions et de son périmètre d’action, l’Ademe réalise un important travail de prospective. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Transition(s)2050, que j’ai pilo­té pen­dant deux ans, est un grand tra­vail col­lec­tif qui a impli­qué une cen­taine de per­sonnes de divers champs aca­dé­miques (ingé­nieurs, éco­no­mistes, socio­logues,…) et spé­cia­li­sées dans la mobi­li­té, le loge­ment, l’agriculture, l’industrie… Nous avons mobi­li­sé cette exper­tise col­lec­tive, diverse, mais com­plé­men­taire, pour réa­li­ser ce tra­vail pros­pec­tif autour d’une ques­tion : quels sont les che­mins qui s’offrent à nous pour atteindre la neu­tra­li­té car­bone d’ici 2050 ? Si cet objec­tif est ins­crit dans la loi de 2019 en France, il n’y a, en effet, pas de consen­sus sur les voies exis­tantes pour y par­ve­nir. La Stra­té­gie Natio­nale Bas Car­bone défi­nie décrit des che­mins peu détaillés, alors qu’il s’agit véri­ta­ble­ment de pou­voir don­ner des pistes concrètes aux sec­teurs de l’industrie, de la mobi­li­té, des bâti­ments ; de défi­nir les rythmes de chan­ge­ment pour atteindre la neu­tra­li­té car­bone… Il s’agit aus­si de se pen­cher sur les impli­ca­tions des alter­na­tives sur l’économie, les res­sources, les matières, les métaux, les sols… Se pose aus­si la ques­tion des inves­tis­se­ments qui doivent être mobi­li­sés pour rele­ver ce défi.

Dans le cadre de ce tra­vail pros­pec­tif, nous avons pla­cé ces constats au cœur de notre réflexion pour construire 4 che­mins de tran­si­tion vers la neu­tra­li­té car­bone ins­pi­ré des 4 scé­na­rios du Rap­port Spé­cial 1,5°C du GIEC de 2018. Nous avons aus­si consi­dé­ré que la ques­tion de l’adaptation est essen­tielle. Il est, en effet, accep­té de tous aujourd’hui que nous ne revien­drons jamais au monde pré-réchauf­fe­ment indus­triel. Il s’agit donc de conduire simul­ta­né­ment une trans­for­ma­tion pro­fonde de nos sys­tèmes indus­triels, nos sys­tèmes agri­coles, nos modes de vie… et, à côté de cette démarche de décar­bo­na­tion, de s’adapter à un monde qui sera plus chaud et plus expo­sé aux évé­ne­ments cli­ma­tiques extrêmes (cani­cules, séche­resses, pluies diluviennes…).

Dans le cadre de cette pros­pec­tive, nous avons aus­si fait le lien avec les ter­ri­toires. Nous avons réa­li­sé un zoom thé­ma­tique pour voir com­ment les ter­ri­toires peuvent se sai­sir de ces enjeux. En effet, la ques­tion ter­ri­to­riale est majeure, puisque la relo­ca­li­sa­tion, la réin­dus­tria­li­sa­tion, et la décen­tra­li­sa­tion des sys­tèmes éner­gé­tiques sont des leviers de la réus­site de cette transformation.

Et dans cette logique, aujourd’hui, dans la région Hauts-de-France, nous menons ce tra­vail de ter­ri­to­ria­li­sa­tion où nous cher­chons à défi­nir com­ment les quatre scé­na­rios qui ont été éta­blis natio­na­le­ment peuvent « atter­rir » et quels en sont les impacts très concrets sur l’occupation des sols et les emplois associés.

Que faut-il retenir de Transition(s)2050 ?

La tran­si­tion doit se concré­ti­ser d’ici 2050 pour conte­nir le réchauf­fe­ment cli­ma­tique en des­sous de deux degrés. Il faut faire cette tran­si­tion, mais sur­tout la faire à temps. Ces enjeux et sujets doivent être débat­tus ensemble pour déci­der et agir rapi­de­ment. Nous avons tiré quatre ensei­gne­ments prin­ci­paux de l’étude :

  • nous pou­vons atteindre la neu­tra­li­té car­bone : mais il n’existe pas, à l’heure actuelle, de che­min tout tra­cé, consen­suel ou facile, cha­cun des quatre scé­na­rios iden­ti­fiés porte une part de défis socio-éco­no­miques, socié­taux et technologiques.et contient des risques différents ;
  • la ques­tion de la réduc­tion des consom­ma­tions maté­rielles au sens large (éner­gie, métaux, res­sources, matières pre­mières) nous appa­raît indis­pen­sable pour atteindre la neu­tra­li­té car­bone. Au-delà des impacts envi­ron­ne­men­taux, cette réduc­tion des consom­ma­tions (via la sobrié­té et l’efficacité) entraî­ne­ra des effets béné­fique sur notre éco­no­mie. En France où nous impor­tons l’intégralité de nos éner­gies pri­maires fos­siles (gaz, pétrole et char­bon), réduire cette consom­ma­tion va impac­ter posi­ti­ve­ment notre balance com­mer­ciale et réduire notre fac­ture éner­gé­tique (plus de 100 mil­liards en 2022). En outre, réduire la consom­ma­tion d’énergies fos­siles per­met de réduire les pol­luants locaux et, in fine, d’améliorer la san­té de tous ;
  • la bio­masse est à la croi­sée de nom­breux enjeux de la tran­si­tion éco­lo­gique (ali­men­ta­tion, ener­gie, maté­riaux, sto­ckage de car­bone, bio­di­ver­si­té…). Quel que soit le scé­na­rio, nous pen­sons qu’il y aura besoin de deux fois plus de bio­masse. Dans ce cadre, nous sommes face à un défi : com­ment pro­duire plus de bio­masse tout en res­pec­tant les contraintes des sols et les écosystèmes ?
  • enfin, les éner­gies renou­ve­lables ont un rôle clé à jouer. L’enjeu est d’accélérer la pro­duc­tion pour atteindre des niveauxd’énergie renou­ve­lable que nous n’avons his­to­ri­que­ment jamais eu en France quel que soit le scé­na­rio. Cela pose un enjeu de socié­té et indus­triel impor­tant pour pas­ser de 20 % à 70 % ou, 90 % d’énergies renou­ve­lables dans le mix éner­gé­tique natio­nal à l’horizon 2050.

“Dans cette course à la neutralité carbone, il ne s’agit pas seulement de réduire les émissions, il faut les ramener quasiment à un niveau zéro, de manière à ce que les émissions résiduelles puissent être absorbées par les puits de carbone, notamment les puits biologiques comme les forêts ou les sols qui se sont dégradés ces dernières années, à cause d’un réchauffement climatique plus agressif que prévu.”

Plus lar­ge­ment, nous avons aus­si des sujets d’ordre éco­no­mique, de répar­ti­tion de l’effort entre sec­teurs et acteurs et de capa­ci­té à finan­cer cette transition.

Dans cette course à la neu­tra­li­té car­bone, il ne s’agit pas seule­ment de réduire les émis­sions, il faut les rame­ner qua­si­ment à un niveau zéro, de manière à ce que les émis­sions rési­duelles puissent être absor­bées par les puits de car­bone, notam­ment les puits bio­lo­giques comme les forêts ou les sols qui se sont dégra­dés ces der­nières années, à cause d’un réchauf­fe­ment cli­ma­tique plus agres­sif que prévu.

Enfin, le prin­ci­pal enjeu est d’arriver à mobi­li­ser tous les sec­teurs, mais aus­si les citoyens fran­çais… et les autres pays. La réus­site de la tran­si­tion et l’atteinte de la neu­tra­li­té car­bone sont des défis col­lec­tifs que nous devons rele­ver ensemble pour être plei­ne­ment efficace.


Pour en savoir plus : https://hauts-de-france.ademe.fr/

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