A tout fonctionnaire son chômeur

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°538 Octobre 1998Par : Bernard ZIMMERN (49)Rédacteur : Jean BOUNINE-CABALÉ (44)

Le titre que Zim­mern a choisi de don­ner à son livre va prob­a­ble­ment cho­quer plus d’un cama­rade. Il serait dom­mage qu’ils soient, pour cette rai­son, dis­suadés de lire Zim­mern car il ” pose “, de la manière la plus nette, le diag­nos­tic de notre chômage.

Celui-ci est plus élevé que celui des autres grands pays indus­triels — trois fois plus que celui de l’Amérique- parce que notre économie est trop admin­istrée. Il y a en Amérique un fonc­tion­naire pour cinq à six act­ifs occupés alors qu’il y en a, en France, un pour trois.

Ce corps de fonc­tion­naires pléthorique exerce chez nous le mono­pole de la lutte con­tre le chô­mage. Son arme est la sub­ven­tion. Comme depuis vingt-cinq ans, le chô­mage ne cesse d’aug­menter, nos fonc­tion­naires s’agi­tent, se mul­ti­plient et mul­ti­plient les sub­ven­tions, de sone que les prélève­ments des­tinés à financer les unes et les autres s’ac­crois­sent à leur tour par circularité.

Com­ment rompre ce cer­cle vicieux ? Zim­mern part d’une analyse qui est famil­ière à beau­coup d’en­tre nous (cf. La jaune et la Rouge, févri­er 1997): seules les petites entre­pris­es créent désor­mais des emplois, or nous avons moins de petites entre­pris­es que les autres ; c’est pourquoi nous chô­mons plus que les autres. Il nous faut donc impéra­tive­ment créer plus d’en­tre­pris­es pour créer plus d’emplois qu’il n’en dis­paraît inévitable­ment, en par­ti­c­uli­er dans les grandes entreprises.

Mais c’est un art qu’ig­norent nos fonc­tion­naires de l’é­conomie : de là leur inca­pac­ité à lut­ter effi­cace­ment con­tre le chô­mage. Ils ont pu facile­ment stim­uler, au milieu des années 70, le développe­ment de nos grandes entre­pris­es des secteurs de haute tech­nolo­gie, car ces entre­pris­es étaient en petit nombre.

Créer des entre­pris­es et en créer en grand nom­bre dans des secteurs sou­vent banals, mais utiles à l’homme de la rue, est une tout autre affaire. Les Améri­cains de toutes ten­dances poli­tiques l’ont bien com­pris. Comme l’indique Zim­mern, l’Ad­min­is­tra­tion Rea­gan a créé les SBICs (Small Busi­ness Invest­ment Cor­po­ralions) et l’Ad­min­is­tra­tion Clin­ton a favorisé la pro­liféra­tion “d’Anges du développe­ment”, qui sont aujour­d­bui au nom­bre de 700 000 aux États-Unis.

En somme, le gou­verne­ment ne s’oc­cupe plus directe­ment de développe­ment : il a passé la main à des per­son­nes privées qui en con­nais­sent les rouages beau­coup mieux que lui et il leur accorde des exonéra­tions fis­cales infin­i­ment plus effi­caces pour l’emploi et beau­coup moins coû­teuses, pour le con­tribuable, que les sub­ven­tions et les aides de toutes sortes que dis­tribuent, en France, nos fonctionnaires.

La leçon que tire Zim­mern de ce con­stat est évidem­ment qu’il faut réduire le nom­bre de nos fonc­tion­naires et il pro­pose, à ce sujet, un vaste plan d’ac­tion. Cepen­dant, en refer­mant son livre, on ne résiste pas à penser au colonel de Gaulle dénonçant, dans les années 30, les dan­gers que fai­sait courir à la Nation le con­ser­vatisme du Com­man­de­ment militaire.

Il y a, en effet aujour­d’hui, le même con­ser­vatisme dans le com­porte­ment de nos fonc­tion­naires de l’é­conomie (et du ” social ”). Le pire — et c’est ici un com­men­taire per­son­nel- est qu’ils ont bonne con­science, car ils se créent une clien­tèle, au pre­mier rang de laque­lle se trou­vent les entre­pris­es les plus pres­tigieuses du pays. Celles-ci sont d’au­tant plus enclines à prof­iter des ” straté­gies d’aubaine” qui leur sont offertes par l’É­tat-prov­i­dence (“on aurait tort de ne pas en prof­iter”) qu’elles en maîtrisent, plus que les autres, les mécan­ismes, ce qui, du même coup, fait d’elles les inter­locu­teurs priv­ilégiés des pou­voirs publics, alors même qu’elles détru­isent des emplois.

On ne risque donc pas de réduire le nom­bre des fonc­tion­naires, comme le souhaite légitime­ment Zim­mern tant que le milieu des entre­pris­es, et spé­ciale­ment celui des grandes entre­pris­es. con­tin­uera de qué­man­der des sub­ven­tions et des régle­men­ta­tions, donc de deman­der plus d’É­tat, tout en se récla­mant des grands principes du libéral­isme économique le plus pur et le plus dur.

Le livre de Zim­mem peut sus­citer, dans tous les milieux de la Nation — et pas seule­ment dans les milieux dits économiques — la volon­té de sur­mon­ter ces contradictions.

C’est pourquoi nous recom­man­dons vive­ment sa lecture.

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