The greatest book in the world : La Bible à 42 lignes

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°697 Septembre 2014Rédacteur : Jonathan CHICHE (05)

Le libraire H. P. Kraus, dînant en com­pa­gnie du col­lec­tion­neur William H. Scheide en 1970, lui confia : I have just bought the grea­test book in the world. Son inter­lo­cu­teur s’exclama : That must be a Guten­berg Bible1 !

La biblio­phi­lie peut se défi­nir comme le goût des livres et manus­crits, géné­ra­le­ment rares ou pré­cieux, non seule­ment pour le texte en lui-même, mais éga­le­ment pour l’aspect sous lequel il se pré­sente : typo­gra­phie, papier, illus­tra­tions, reliure, etc.

Un groupe X, dont l’auteur de cette rubrique est pré­sident, s’est récem­ment consti­tué autour de cette thé­ma­tique extrê­me­ment riche à la croi­sée de tous les domaines de la connaissance.

On trou­ve­ra ici une pré­sen­ta­tion ain­si qu’un pro­gramme d’activités.

Kraus venait en effet d’acquérir l’un des der­niers exem­plaires « en mains pri­vées » – c’est-à-dire non déte­nus par une ins­ti­tu­tion – de ce chef‑d’oeuvre des débuts de l’imprimerie mo derne, sor­ti de presse à Mayence aux alen­tours de 1454.

Le pré­cé­dent pos­ses­seur s’en sépa­rait à regret, sa com­pa­gnie d’assurances exi­geant qu’un ouvrage d’une telle valeur prît place à la banque plu­tôt qu’à son domicile.

En dépit de nom­breux tra­vaux sur les condi­tions dans les­quelles fut publié ce livre en tout point excep­tion­nel, de nom­breuses inter­ro­ga­tions cru­ciales demeurent sans réponse.

Plu­tôt que d’attacher à cet ouvrage le seul nom de Guten­berg, dont on ignore en fait le rôle exact – il faut notam­ment rendre jus­tice à ses col­la­bo­ra­teurs Fust et Schöf­fer –, il paraît pré­fé­rable de l’appeler « Bible à 42 lignes », du nombre de lignes que comptent la plu­part des pages.

Il semble désor­mais acquis que, par sou­ci d’économie pro­ba­ble­ment, ce nombre est pas­sé de 40 à 42 peu après le début de l’impression, qui se dérou­lait paral­lè­le­ment à la composition.

En dépit des contraintes bud­gé­taires, ce livre frappe par sa beau­té comme par la maî­trise de la tech­nique employée, bien que cette der­nière fût à peine née. Le contraste avec cer­taines impres­sions d’apparence médiocre de la même époque est du reste saisissant.

Des cal­culs par­fois acro­ba­tiques à par­tir des rares don­nées dis­po­nibles per­mettent d’estimer entre 150 et 200 le nombre d’exemplaires sor­tis de presse, ce qui confirme du reste un témoi­gnage, long­temps mécon­nu des spé­cia­listes des débuts de l’imprimerie, du futur pape Pie II rela­tant dans une lettre au car­di­nal Car­va­jal la vision d’un homme ven­dant des cahiers de la Bible à Franc­fort au cours de l’automne 1454.

La plu­part des exem­plaires furent impri­més sur papier ; les autres le furent sur vélin, sup­port plus luxueux. La fabri­ca­tion d’un tel exem­plaire néces­si­tait la peau d’au moins 170 bêtes, l’ouvrage relié se pré­sen­tant sous la forme de deux ou trois volumes in-folio de plus de 1 200 pages au total.

Il sub­siste aujourd’hui un peu moins d’une cin­quan­taine d’exemplaires, dont envi­ron la moi­tié com­plets – trois en France, deux à la BnF et un à la Mazarine.

On perd la trace de deux exem­plaires à Leip­zig en 1945.

Toute mise sur le mar­ché d’un exem­plaire consti­tue­rait un évé­ne­ment consi­dé­rable. Cer­tains col­lec­tion­neurs n’hésitent pas à débour­ser plu­sieurs dizaines de mil­liers de dol­lars pour de simples feuillets pro­ve­nant d’exemplaires « cas­sés » par des indi­vi­dus peu scrupuleux.

En 1987, des Japo­nais se por­tèrent acqué­reurs à grands frais d’un exem­plaire incom­plet mais ayant conser­vé sa reliure d’origine et pré­sen­tant de remar­quables enlu­mi­nures dues à un ate­lier de Mayence, témoi­gnant peut-être d’une grande clair­voyance et, sur­tout, d’un inté­rêt pour les ouvrages euro­péens bien supé­rieur à celui de la qua­si-tota­li­té des biblio­philes « occi­den­taux » à l’égard des pre­mières impres­sions asiatiques.

L’imprimerie fut pour­tant long­temps en avance dans l’Empire chi­nois et sa zone d’influence ; c’est notam­ment là que sont appa­rus les carac­tères mobiles.

C’est tou­te­fois depuis les bords du Rhin que l’imprimerie moderne s’est véri­ta­ble­ment répan­due. La « Bible à 42 lignes » consti­tue un témoi­gnage extra­or­di­naire de sa pre­mière enfance.

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1. « Je viens d’acheter le livre le plus for­mi­dable du monde. – Ce ne peut être qu’une Bible de Gutenberg ! »

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