Le bec d’Ambès, où se situe le projet de production de dérivés d'hydrogène décarboné de GH2.

Les dérivés d’hydrogène décarboné

Dossier : HydrogèneMagazine N°795 Mai 2024
Par Franck CHESSÉ (X00)

L’industrialisation des éner­gies renou­ve­lables à tra­vers les déri­vés de l’hydrogène repré­sente une étape impor­tante vers un ave­nir éner­gé­tique durable. Les inci­ta­tions d’incorporation ambi­tieuses, l’investissement judi­cieux, la col­la­bo­ra­tion inter­dis­ci­pli­naire et l’innovation conti­nue seront les piliers de cette tran­si­tion éner­gé­tique et éco­lo­gique majeure.

Nous sommes dans un tour­nant cri­tique dans la recherche de solu­tions durables pour répondre à la demande crois­sante en éner­gie. Dans cette quête, les déri­vés d’hydrogène décar­bo­né émergent comme des solu­tions pro­met­teuses, qui per­mettent de résoudre les contraintes asso­ciées au sto­ckage et au trans­port de l’hydrogène intermédiaire.

Les contraintes de l’hydrogène

L’hydrogène est un gaz à den­si­té éner­gé­tique certes impor­tante par uni­té de masse : 2,5 fois supé­rieure à celle du gaz natu­rel, mais faible par uni­té de volume : 3,5 fois infé­rieure à celle du gaz natu­rel. C’est un gaz inflam­mable et réac­tif, ce qui entraîne des contraintes en termes de ges­tion des risques tech­no­lo­giques, notam­ment dans le cadre des ins­tal­la­tions clas­sées pour l’environnement et de la direc­tive Seveso.

La liqué­fac­tion de l’hydrogène, qui a lieu à une tem­pé­ra­ture extrême­ment faible, proche du zéro abso­lu à pres­sion atmo­sphérique, est coû­teuse et consti­tue un réel défi éner­gé­tique à sa trans­por­ta­bi­li­té sous forme liqué­fiée. Ces contraintes ont des consé­quences sur les coûts de mise à dis­po­si­tion, ce qui explique en par­tie l’absence d’un mar­ché de l’hydrogène mon­dial : il n’y a pas aujourd’hui dans le monde de négoce indus­triel d’hydrogène autre qu’à l’échelle locale, l’hydrogène étant géné­ra­le­ment pro­duit et consom­mé sur site ou à proxi­mi­té immédiate.

L’intérêt des dérivés

C’est là l’intérêt des déri­vés d’hydrogène, comme l’ammoniac et le métha­nol. Comme l’hydrogène, ces sub­stances sont dan­ge­reuses (toxiques notam­ment, ce qui entraîne des contraintes simi­laires en termes de ges­tion des risques tech­no­lo­giques, notam­ment dans le cadre des ins­tal­la­tions clas­sées pour l’environnement et de la direc­tive Seve­so). Néan­moins, ces molé­cules sont faci­le­ment sto­ckées, trans­por­tées et commercia­lisées à l’échelle locale, natio­nale et inter­nationale, par camions, trains et navires. Des mar­chés liquides existent, avec des cour­tiers et des courbes de prix rela­ti­ve­ment trans­pa­rentes, en spot voire aus­si à plus long terme. C’est un atout pour les nou­velles ins­tal­la­tions de pro­duc­tion de déri­vés d’hydrogène, qui faci­lite leur ban­ca­bi­li­té et la faisabilité.

Den­si­té énergétique
(MJ/L)

Éner­gie
spécifique
(MJ/kg)

Tem­pé­ra­ture
de liquéfaction
(°C, 1 atm)

Hydro­gène liquéfié

8,5

120,0

- 253

Ammo­niac liquéfié

11,5

18,6

- 33

Métha­nol

15,6

19,7

ambiante

GNL

22,2

53,6

- 162

GPL (pro­pane)

25,3

49,6

- 42

Die­sel

38,6

45,6

ambiante

Le contexte global de l’hydrogène et ses dérivés

L’hydrogène et ses déri­vés, pro­duits à par­tir d’énergies renou­ve­lables et d’électricité décar­bo­née, repré­sentent une solu­tion viable de rem­pla­ce­ment des com­bus­tibles fos­siles. L’ammoniac et le métha­nol, en tant que déri­vés de l’hydrogène, se posi­tionnent comme des vec­teurs pour l’industrialisation à grande échelle. Ces com­po­sés offrent des avan­tages par rap­port à l’hydrogène, tels que leur capa­ci­té à être sto­ckés et trans­por­tés effi­ca­ce­ment, et à être uti­li­sés faci­le­ment pour cer­taines appli­ca­tions exis­tantes. L’ammoniac offre l’avantage de pou­voir être pro­duit et consom­mé sans émis­sion de CO2, et sans émis­sion de gaz à effet de serre avec une tech­no­lo­gie usuelle de trai­te­ment de fumées par exemple, avec des coûts de pro­duc­tion par giga­joule infé­rieurs à ceux du métha­nol. De nom­breux pro­jets indus­triels sont en cours de déve­lop­pe­ment en Europe et aus­si au-delà avec des pro­jets de grande envergure.

L’ammoniac

L’ammoniac, NH3, quand il est pro­duit de manière décar­bo­née, est syn­thé­ti­sé à par­tir d’hydrogène décar­bo­né, H2, et d’azote, N2, extrait de l’air. Cette syn­thèse peut s’effectuer par le pro­cé­dé Haber-Bosch uti­li­sé dans les usines conven­tion­nelles de pro­duc­tion d’ammoniac. L’électricité décar­bo­née peut pro­ve­nir du réseau d’électricité décar­bo­né, comme le réseau fran­çais, avec ou sans garan­tie d’origine renouvelable. 

Les élec­tro­ly­seurs peuvent être de type alca­lin conven­tionnels, comme ceux qui seront fabri­qués par McPhy ou John Cocke­rill en France dans le cadre de leur giga­fac­to­ry finan­cée par le PIIEC Hy2Tech (pro­jet impor­tant d’intérêt euro­péen com­mun), ou bien avec PEM (Pro­ton Exchange Mem­brane) comme pour Evo­len, ou encore à haute tem­pé­ra­ture. La tech­no­lo­gie d’électrolyse haute tem­pé­ra­ture déve­lop­pée par Gen­via aus­si lau­réate du PIIEC Hy2Tech en France et d’autres four­nis­seurs euro­péens (Top­soe, Sun­fire, etc.) est par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­sante pour la syn­thèse d’ammoniac, car elle per­met de valo­ri­ser la cha­leur émise par la syn­thèse d’ammoniac et d’augmenter les rendements.


Un nouveau site de production sur le territoire national

GH2 déve­loppe en France sur la presqu’île d’Ambès au nord de Bor­deaux le pre­mier pro­jet fran­çais de pro­duc­tion d’ammoniac décar­bo­né, qui est l’un des plus avan­cés en Europe. Une pre­mière phase de 100 MW d’électrolyse est pré­vue pour une mise en ser­vice d’ici 2028. La deuxième phase va por­ter la puis­sance d’électrolyse à près de 300 MW. Le fon­cier dis­po­nible per­met d’envisager même une troi­sième phase pour accroître encore la capa­ci­té du pro­jet, selon l’évolution de la demande.

Production de dérivé d'hydrogène décarboné


Les dérivés d’hydrogène décarboné pour le transport et l’industrie

Les déri­vés de l’hydrogène vont jouer un rôle impor­tant et crois­sant dans la tran­si­tion éner­gé­tique et éco­lo­gique du sec­teur des trans­ports, en par­ti­cu­lier mari­time. L’utilisation de ces car­bu­rants, notam­ment de l’ammoniac, offre une voie pro­met­teuse pour réduire les émis­sions de gaz à effet de serre pour ce der­nier. L’ammoniac peut être pro­duit à par­tir de sources d’électricité renou­ve­lable ou bas car­bone, ce qui per­met la réduc­tion des émis­sions de gaz à effet de serre.

L’ammoniac décar­bo­né per­met éga­le­ment de ren­for­cer notre rési­lience face aux fluc­tua­tions des prix du pétrole. En inves­tis­sant dans l’adoption de l’ammoniac et du métha­nol, les acteurs du sec­teur des trans­ports suivent des contraintes régle­men­taires gran­dis­santes du sec­teur et contri­buent à la pro­tec­tion de l’environnement. Dans le cadre de la der­nière révi­sion de la direc­tive sur les éner­gies renou­ve­lables (RED III), l’intégration de ces déri­vés d’hydrogène dans le mix éner­gé­tique béné­fi­cie­ra à l’industrie en favo­ri­sant l’innovation et la créa­tion de nou­velles filières natio­nales d’approvisionnement, ren­for­çant ain­si la sou­ve­rai­ne­té natio­nale de manière com­pé­ti­tive, rési­liente et durable.

De la décision d’investir et les obstacles

L’inclusion des pro­jets de plus de 100 MW néces­site des inves­tis­se­ments impor­tants, chif­frés en plu­sieurs cen­taines de mil­lions d’euros par pro­jet. Elle implique une struc­tu­ra­tion contrac­tuelle per­met­tant le finan­ce­ment de ces pro­jets. En France, cela implique la conso­li­da­tion préa­lable des inci­ta­tions publiques de sou­tien à l’exploitation, en pre­mier lieu en France la publi­ca­tion du pre­mier appel à pro­jets dans le cadre du méca­nisme natio­nal de sou­tien à la pro­duc­tion d’hydrogène décar­bo­né. Ensuite, la trans­po­si­tion en droit natio­nal de RED III, avec la mise en place de la taxe inci­ta­tive à la baisse d’impact cli­ma­tique de l’azote, pour le sou­tien à la pro­duc­tion d’e‑ammoniac. Il est pos­sible que les pre­mières déci­sions d’investissement en France pour ce type de pro­jets inter­viennent dès cette fin d’année, mais plus vrai­sem­bla­ble­ment en 2025–2026.


Perspectives inter­nationales

Au-delà des fron­tières fran­çaises, l’Afrique du Nord émerge aus­si entre autres comme une région stra­té­gique pour le déve­lop­pe­ment de pro­jets d’hydrogène vert. La com­bi­nai­son de vastes res­sources en éner­gie solaire et éolienne offre un ter­rain pro­pice à la pro­duc­tion à grande échelle. Cepen­dant, des défis logis­tiques, poli­tiques et éco­no­miques doivent être sur­mon­tés pour assu­rer le suc­cès de tels pro­jets dans la région. 


Planifier méticuleusement

Le déploie­ment à grande échelle des pro­jets d’ammoniac et de métha­nol néces­site une pla­ni­fi­ca­tion méti­cu­leuse pour mini­mi­ser les risques tech­no­lo­giques asso­ciés à ces pro­jets. L’intégration avec les infra­struc­tures exis­tantes et la ges­tion intel­li­gente de l’intermittence des éner­gies renou­ve­lables au sein du réseau doivent être prises en compte dès la concep­tion. Les efforts de déris­quage impliquent des par­te­na­riats stra­té­giques en France comme à l’international, des modèles com­mer­ciaux inno­vants et une col­la­bo­ra­tion étroite avec les auto­ri­tés régu­la­trices et les col­lec­ti­vi­tés locales.

“Une planification méticuleuse pour minimiser les risques.”

L’Europe apporte ain­si à la France un réseau d’expertise com­plé­men­taire, notam­ment dans le cadre de la syn­thèse d’ammoniac qui néces­site l’implication de par­te­naires euro­péens (notam­ment danois, alle­mands ou suisses), cette tech­no­lo­gie n’étant pas maî­tri­sée sur le ter­ri­toire natio­nal. En France, le pay­sage éner­gé­tique est en muta­tion rapide au sein d’un pay­sage inter­na­tio­nal aus­si mou­vant. Les ques­tions de régu­la­tion, d’acceptabilité et d’autorisation peuvent éga­le­ment ral­lon­ger le pro­ces­sus. Néan­moins, l’engagement crois­sant en faveur de la dura­bi­li­té et les inci­ta­tions gouverne­mentales peuvent cata­ly­ser la mise en œuvre de pro­jets d’échelle industrielle.

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