En 2023 nous avons annoncé le lancement du projet MOSAIC (https://www.mosaic-research.com), en partenariat avec 5 hôpitaux en Europe et aux USA, afin de générer un atlas de données caractérisant au niveau moléculaire les tumeurs de 7,000 patients. Ces données, analysées à l’aide d’algorithmes d’intelligence artificielle, permettront de mieux comprendre comment le système immunitaire interagit avec les cellules cancéreuses, et de développer des nouvelles approches thérapeutiques par immunothérapie.

L’acteur incontournable de l’IA pour la médecine de précision

Dossier : Vie des entreprises - HealthtechMagazine N°793 Mars 2024
Par Jean-Philippe VERT (X92)

En misant sur l’IA et une meilleure valo­ri­sa­tion de la don­née médi­cale et bio­mé­di­cale, Owkin aide les acteurs du monde phar­ma­ceu­tique à opti­mi­ser la recherche thé­ra­peu­tique en cou­vrant l’ensemble des maillons de cette chaîne de valeur. Jean-Phi­lippe Vert (X92), direc­teur de la R&D de la start-up, nous en dit plus.

Qui est Owkin ?

Owkin est une entre­prise qui a été créée en 2016 par Tho­mas Clo­zel, méde­cin onco­logue, et Gilles Wain­rib (X03), cher­cheur en intel­li­gence arti­fi­cielle, afin de trou­ver et déve­lop­per de nou­veaux médi­ca­ments per­met­tant de trai­ter chaque patient en capi­ta­li­sant sur l’IA.

Pour ce faire, les solu­tions conçues et déve­lop­pées par Owkin vont de la recherche de nou­velles cibles thé­ra­peu­tiques à l’identification des patients qui répon­dront à un trai­te­ment, en pas­sant par l’optimisation des essais cliniques. 

Aujourd’hui, sur ces sujets et enjeux, nous tra­vaillons avec de nom­breuses entre­prises phar­ma­ceu­tiques et avons mis en place trois alliances stra­té­giques avec Sano­fi, Bris­tol Myers Squibb (BMS) et MSD. En paral­lèle, nous déve­lop­pons éga­le­ment nos propres pro­grammes de recherche thérapeutique. 

À ce jour, Owkin a levé plus de 300 mil­lions d’euros d’investisseurs pour pour­suivre son déve­lop­pe­ment. Nous employons 340 col­la­bo­ra­teurs dans nos bureaux de Paris, Nantes, Londres, New York et Boston.

Revenons sur les enjeux et problématiques du monde pharmaceutique que vous adressez directement avec vos solutions. Pouvez-vous nous en dire ?

La recherche de médi­ca­ments est une entre­prise coû­teuse et ris­quée. 90% des nou­veaux médi­ca­ments qui sont tes­tés sur des humains dans des essais cli­niques échouent, alors qu’on estime que le coût de la mise sur le mar­ché d’un médi­ca­ment à près de 3 mil­liards de dol­lars. En paral­lèle, un nombre signi­fi­ca­tif patients ne répondent pas aux trai­te­ments existants. 

Cette situa­tion s’explique par le fait que la recherche phar­ma­ceu­tique tra­di­tion­nelle s’appuie essen­tiel­le­ment sur des modèles dits pré-cli­niques (lignées cel­lu­laires culti­vées dans des boîtes de Petri, ani­maux) qui échouent à reflé­ter toute la com­plexi­té de la bio­lo­gie chez les patients. Forts de ce constat, chez Owkin, nous avons fait le choix de par­tir direc­te­ment des patients pour com­prendre la mala­die et iden­ti­fier les trai­te­ments adap­tés à cha­cun et non de ces modèles pré-cli­niques. Pour ce faire, nous col­lec­tons de grandes quan­ti­tés de don­nées bio­mé­di­cales, notam­ment des don­nées géno­miques carac­té­ri­sant chaque tumeur au niveau molé­cu­laire, ou de l’imagerie micro­sco­pique, et déve­lop­pons, à par­tir de là, des algo­rithmes d’IA pour ana­ly­ser ces don­nées et iden­ti­fier des sous-popu­la­tions de patients sus­cep­tibles de répondre à des trai­te­ments exis­tants ou à développer. 

Dans ce cadre, Owkin pro­pose donc des solu­tions qui vont de l’identification de nou­velles cibles thé­ra­peu­tiques au re-posi­tion­ne­ment de trai­te­ment exis­tants dans des popu­la­tions cibles, que nous pou­vons, par ailleurs, iden­ti­fier grâce à nos propres outils de diag­nos­tics déve­lop­pés en interne. Ces tech­no­lo­gies per­mettent non seule­ment d’identifier de nou­veaux trai­te­ments, mais éga­le­ment d’accélérer et de dé-ris­quer les essais cli­niques en iden­ti­fiant mieux les popu­la­tions cibles.

Dans cette démarche, l’innovation et la technologie sont des enjeux clés. Qu’en est-il ? Plus spécifiquement, quelle place occupe l’IA ?

L’IA est au cœur de notre pla­te­forme tech­no­lo­gique. Nous appuyons aus­si sur une équipe tech­nique de près de 150 per­sonnes pour explo­rer et déployer des solu­tions IA inno­vantes. Depuis la créa­tion d’Owkin, nous avons déve­lop­pé une exper­tise de pointe sur l’IA appli­quée aux don­nées bio­mé­di­cales, notam­ment en géno­mique et en ima­ge­rie, que nous allons, par exemple, uti­li­ser pour construire des modèles diag­nos­tiques ou pro­nos­tiques afin d’identifier des patients sus­cep­tibles de répondre à un trai­te­ment donné. 

Au-delà, nous publions régu­liè­re­ment nos avan­cées scien­ti­fiques dans des revues et confé­rences scien­ti­fiques. En 2024, nous sommes lau­réats du chal­lenge Kaggle sur la clas­si­fi­ca­tion de can­cer de l’ovaire en sous-types à par­tir d’images ana­to­mo­pa­tho­lo­giques. Nous sommes arri­vés pre­mier sur plus de 1 300 équipes par­ti­ci­pantes dans le monde. 

Nous avons éga­le­ment une exper­tise unique en appren­tis­sage fédé­ré, une tech­nique d’IA per­met­tant d’entraîner des modèles sur des don­nées qui ne sont pas cen­tra­li­sées. En 2024, nous avons ain­si publié la pre­mière étude déployant cette tech­no­lo­gie pour entraî­ner un modèle pré­di­sant le risque de rechute dans les can­cers du sein triple-néga­tifs. Dans ce cadre, nous avons entraî­né un modèle sur les don­nées d’un hôpi­tal à Lyon et à Bor­deaux, sans que les don­nées ne quittent les ser­veurs des hôpitaux.

Revenons sur cette dimension d’entraînement de l’IA et de développement des modèles. Dans ce cadre, quelles données utilisez-vous ?

Nous entraî­nons nos modèles en par­tie sur des don­nées dis­po­nibles publi­que­ment, mais sur­tout sur des don­nées mul­ti­mo­dales aux­quelles nous accé­dons à tra­vers un réseau de plus de 50 hôpi­taux avec qui nous tra­vaillons, en Europe et en Amé­rique du Nord. Par­mi ces éta­blis­se­ments, on retrouve, par ailleurs, 8 des 20 meilleurs hôpi­taux du monde en onco­lo­gie selon le clas­se­ment Newsweek. 

Nous avons une approche très col­la­bo­ra­tive et publions régu­liè­re­ment les résul­tats de nos tra­vaux avec les centres. En outre, nous appor­tons des solu­tions tech­niques pour garan­tir la sécu­ri­té et le res­pect de la pro­tec­tion des don­nées, comme l’apprentissage fédé­ré que j’ai pré­cé­dem­ment cité et qui donc per­met d’entraîner des modèles d’IA sans avoir accès direc­te­ment aux don­nées utilisées. 

Quelques mots sur vos principaux partenariats et les projets phares qui vous mobilisent actuellement.

Comme men­tion­né, nous avons trois par­te­naires phar­ma­ceu­tiques stra­té­giques : Sano­fi, avec qui nous tra­vaillons sur des pro­grammes de décou­verte de médi­ca­ments ; BMS, sur des ques­tions de déve­lop­pe­ment de médi­ca­ments (opti­mi­sa­tion d’essais cli­niques) ; et un nou­veau par­te­na­riat signé en 2024 avec MSD pour le déve­lop­pe­ment d’outils de diag­nos­tic per­met­tant d’identifier rapi­de­ment des patients sus­cep­tibles de répondre à leur médi­ca­ment phare en oncologie. 

Cette année, nous avons éga­le­ment lan­cé un pro­jet phare de géné­ra­tion de don­nées appe­lé MOSAIC (mul­ti-omics spa­tial atlas in can­cer), qui repré­sente un inves­tis­se­ment de 50 mil­lions de dol­lars pour géné­rer des cartes d’identité molé­cu­laires de 7 000 patients atteints de can­cer. Pour cha­cun d’entre eux, nous allons notam­ment géné­rer une carte spa­tiale décri­vant le niveau d’activité de plus de 20 000 gènes dans la tumeur en uti­li­sant une tech­no­lo­gie récente appe­lée la trans­crip­to­mique spa­tiale. Cette démarche va per­mettre de mieux com­prendre les fac­teurs en jeu dans la réponse à l’immunothérapie.

En matière d’IA, nous lan­çons un nou­veau pro­jet phare pour construire un modèle de fon­da­tion de la bio­lo­gie, une sorte de “chatGPT de la bio­lo­gie”, pour auto­ma­ti­que­ment cap­tu­rer la com­plexi­té du vivant en ana­ly­sant des grandes quan­ti­tés de don­nées bio­mé­di­cale. Concrè­te­ment, cela va per­mettre d’améliorer la per­for­mance de l’ensemble de nos modèles d’IA et, à terme, de for­mu­ler de nou­velles hypo­thèses bio­lo­giques automatiquement.

En 2023 nous avons annoncé le lancement du projet MOSAIC (https://www.mosaic-research.com), en partenariat avec 5 hôpitaux en Europe et aux USA, afin de générer un atlas de données caractérisant au niveau moléculaire les tumeurs de 7,000 patients. Ces données, analysées à l’aide d’algorithmes d’intelligence artificielle, permettront de mieux comprendre comment le système immunitaire interagit avec les cellules cancéreuses, et de développer des nouvelles approches thérapeutiques par immunothérapie.
En 2023 nous avons annon­cé le lan­ce­ment du pro­jet MOSAIC (https://www.mosaic-research.com), en par­te­na­riat avec 5 hôpi­taux en Europe et aux USA, afin de géné­rer un atlas de don­nées carac­té­ri­sant au niveau molé­cu­laire les tumeurs de 7,000 patients. Ces don­nées, ana­ly­sées à l’aide d’algorithmes d’intelligence arti­fi­cielle, per­met­tront de mieux com­prendre com­ment le sys­tème immu­ni­taire inter­agit avec les cel­lules can­cé­reuses, et de déve­lop­per des nou­velles approches thé­ra­peu­tiques par immunothérapie.

Quelles sont les prochaines étapes pour Owkin ? Comment vous projetez-vous sur le moyen et long terme ?

Au niveau du diag­nos­tic, nous avons reçu en 2023 le mar­quage CE per­met­tant de déployer notre pre­mier modèle d’IA pour diag­nos­ti­quer une aber­ra­tion géné­tique, l’instabilité de micro-satel­lite, qui aug­mente la pro­ba­bi­li­té de réponse à l’immunothérapie dans le can­cer colo­rec­tal à par­tir d’image d’anatomopathologie. Nous allons main­te­nant com­mer­cia­li­ser ce modèle, l’étendre à d’autres indi­ca­tions en par­te­na­riat avec MSD, et déve­lop­per d’autres modèles diagnostiques. 

En paral­lèle, nous conti­nuons à avan­cer dans nos pro­grammes de recherche interne, et envi­sa­geons de lan­cer une pre­mière molé­cule thé­ra­peu­tique en essai cli­nique d’ici fin 2024. Sur le long terme, notre ambi­tion est de nous posi­tion­ner comme l’acteur incon­tour­nable de l’IA pour la méde­cine de précision. 

Poster un commentaire