Deux monuments

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°792 Février 2024
Par Jean SALMONA (56)

« Anéan­tis­sez le chris­tia­nisme, et entre la civi­li­sa­tion et la bar­ba­rie il n’y aura plus d’autre dif­fé­rence que celle qui dis­tingue une cor­rup­tion polie d’une cor­rup­tion brutale. »
Nico­las Charles de Nugent, Phi­lo­so­phie du coin du feu

La reli­gion chré­tienne est la seule à avoir engen­dré une telle flo­rai­son d’œuvres ‑musi­cales. Certes, le pou­voir tem­po­rel des Églises chré­tiennes y est pour beau­coup : les Can­tates de Bach, par exemple, répon­daient presque toutes à des com­mandes. Il n’en reste pas moins que cette somme d’œuvres sacrées d’inspiration chré­tienne n’est com­pa­rable à aucune autre. La plu­part des grands com­po­si­teurs chré­tiens – et d’autres qui ne l’étaient pas, comme Men­dels­sohn et Darius Mil­haud – ont appor­té leur pierre à l’édifice, sou­vent sous la forme d’une œuvre majeure. Ain­si de Haen­del avec le Mes­sie, et des Béa­ti­tudes de César Franck.

Haendel – Le Messie

Les enre­gis­tre­ments du Mes­sie sont légion. Aus­si, lorsque arrive une nou­velle pro­duc­tion, on est a prio­ri dubi­ta­tif : que va-t-elle appor­ter de plus ? Le nou­vel enre­gis­tre­ment par The English Concert and Choir, diri­gés par John Nel­son, est à plus d’un titre excep­tion­nel et voi­ci pour­quoi. Haen­del, au cours du temps (entre 1741 et 1750), a modi­fié à plu­sieurs reprises sa par­ti­tion, pour des rai­sons diverses, notam­ment pour s’adapter à un soliste. Ain­si, deux numé­ros de la deuxième par­tie existent en de mul­tiples ver­sions : la pre­mière mou­ture, écrite pour basse, fut com­plè­te­ment rema­niée en 1743 pour sopra­no grave, puis à nou­veau réécrite en 1750 pour un cas­trat, etc. L’enregistrement de l’English Concert pré­sente in fine la plu­part des variantes, dont cer­taines sont majeures et modi­fient sen­si­ble­ment l’esprit de l’œuvre.

On l’aura com­pris : c’est un minu­tieux tra­vail de musi­co­logue qui a pré­si­dé à cet enre­gis­tre­ment. Ajou­tons que les solistes, le chœur et l’orchestre sont par­faits. Last but not least, le cof­fret est com­plé­té par un spec­ta­cu­laire DVD, enre­gis­tre­ment inté­gral du Mes­sie (ver­sion auto­graphe d’origine) sans les variantes. Hallelujah ! 

2 CD et 1 DVD ERATO

Franck – Les Béatitudes

Franck aura consa­cré dix années de sa vie – 1869–1879 – à l’oratorio Les Béa­ti­tudes, l’œuvre la plus vaste qu’il ait conçue, et qu’il consi­dé­rait comme son œuvre majeure. Il s’agit des huit pré­ceptes du Ser­mon sur la mon­tagne dans l’évangile de saint ‑Mat­thieu (Bien­heu­reux les pauvres d’esprit parce que le Royaume des cieux est à eux, Bien­heu­reux ceux qui sont doux parce
qu’ils pos­sè­de­ront la terre
…) construits en une cathé­drale sonore à l’architecture com­plexe, avec huit solistes, un double chœur, le grand orchestre et l’orgue. Franck applique le prin­cipe d’opposition, entre un chœur céleste et un chœur ter­restre, entre tons majeurs et tons mineurs, entre pas­sé et futur, entre Bien et Mal, avec deux per­son­nages domi­nants : le Christ (comme dans la Pas­sion selon saint Mat­thieu) et le chœur qui sym­bo­lise l’humanité. Une œuvre pro­fon­dé­ment reli­gieuse mais dont l’idéal se veut universel. 

L’enregistrement qui vient d’être réa­li­sé asso­cie le Chœur natio­nal hon­grois et l’Orchestre phil­har­mo­nique royal de Liège, diri­gé par Ger­ge­ly Mada­ras. C’est l’occasion de sou­li­gner le tra­vail excep­tion­nel réa­li­sé par ce jeune et cha­ris­ma­tique chef hon­grois, qui a pro­pul­sé l’Orchestre de Liège au tout pre­mier rang des for­ma­tions européennes. 

2 CD FUGA LIBERA

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