Cinéma Janvier 2024

La Vénus d’argent / Rien à perdre / Bâtiment 5 / Et la fête continue ! / Augure

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°791 Janvier 2024
Par Christian JEANBRAU (63)

Une ses­sion bien pauvre. Trois bons films (à suivre) et six médio­cri­tés, voire pire. On en chro­nique deux pour sou­li­gner dans un cas l’essoufflement d’un cinéaste esti­mable et dans l’autre le regret­table aveu­gle­ment de la critique.

La Vénus d’argent

Réa­li­sa­trice : Hélé­na Klotz – 1 h 35

Une figure de jeune femme extrê­me­ment inté­res­sante, magni­fi­que­ment incar­née par Claire Pom­met (à la scène, la chan­teuse Pomme), qui par­vient à arra­cher son per­son­nage à l’antipathie que peut ins­pi­rer un arri­visme dur, lucide et assu­mé. Très abou­ti ! Niels Schnei­der s’installe à ses côtés dans une inha­bi­tuelle et appré­ciable sub­ti­li­té. Rejoi­gnant La voie royale, puis Le théo­rème de Mar­gue­rite dans la gale­rie fémi­nine des volon­tés obses­sion­nelles de réus­site (ici, au royaume des « requins de la finance »), le par­cours agres­sif et égo­cen­tré de l’héroïne (à sa façon, trans­fuge de classe : fille de gen­darme) se déploie avec richesse dans un contexte éton­nant, très bien des­si­né, dont tous les aspects attachent.

P.-S. : La « Vénus d’argent » est ici – méta­pho­ri­que­ment sub­sti­tuable à l’héroïne – la sta­tuette qui ouvre la route à la pointe du capot des Rolls-Royce. De son vrai nom : Spi­rit of Ecs­ta­sy.


Rien à perdre 

Réa­li­sa­trice : Del­phine Delo­get – 1 h 52 

Excellent. Je suis tom­bé sous le charme de ce groupe fami­lial plu­tôt déjan­té qui se heurte, dans son fonc­tion­ne­ment « limite » et à la suite de ce qui n’est qu’un acci­dent domes­tique en contexte mal enca­dré, à la rigueur abs­traite et déshu­ma­ni­sée d’un orga­nisme public qui réagit l’œil fixé sur la règle. Une sœur (Vir­gi­nie Efi­ra, par­faite), ses deux gamins, ses deux frères, des vies qui tâtonnent et beau­coup d’amour face au déchi­re­ment d’une approche aber­rante de la situa­tion réelle et d’un pla­ce­ment injus­ti­fié. On voit (comme on l’a vu dans L’enlèvement de Bel­lo­chio) où peuvent mener les déci­sions admi­nis­tra­tives (comme reli­gieuses) prises « pour le bien d’un enfant ». Tous les acteurs sont bons et, dans le rôle du fils aîné, Félix Lefebvre s’impose avec déci­sion et subtilité.


Bâtiment 5

Réa­li­sa­teur : Ladj Ly – 1 h 40

Les Misé­rables, du même Ladj Ly, « tapait » peut-être plus fort. Il n’en reste pas moins que ce film-ci, très noir, cerne élo­quem­ment le pro­blème de l’inadaptation de la réponse poli­tique à la ques­tion des ban­lieues, volet loge­ment insa­lubre et entas­se­ment eth­nique. Le tableau est effi­cace, per­cu­tant et déso­lant. Il relève du constat et sou­ligne aus­si les impasses, sans débou­cher sur rien de construc­tif faute de pers­pec­tives pos­sibles. Impuis­sance des struc­tures, rigi­di­té inadap­tée des réponses. Le film pré­sente un cas d’école sans solu­tion. Les per­son­nages, côté vic­times, sont atta­chants. Les res­pon­sables ne sont pas cari­ca­tu­rés dans leurs insuf­fi­sances criantes, sim­ple­ment mon­trés : bor­nés, peti­te­ment humains, sans luci­di­té, sans cou­rage. L’explosion de vio­lence finale n’est qu’une déses­pé­rante fuite en avant, injus­ti­fiable et répré­hen­sible mais com­pré­hen­sible, inutile et dra­ma­tique exu­toire sans issue. Une figure fémi­nine émerge. Peut-elle (der­nier plan) sug­gé­rer un espoir ? Les acteurs sont tous excellents. 


Et la fête continue ! 

Réa­li­sa­teur :
Robert Gué­di­guian – 1 h 46

Robert Gué­di­guian n’y arrive plus. On a beau dire que c’est dans les vieux pots qu’on fait la meilleure soupe, il a per­du la recette et resuce ici ses rêves de fra­ter­ni­té en y super­po­sant trop de pistes (l’infertilité fémi­nine, la tris­tesse hos­pi­ta­lière, la ques­tion armé­nienne, le remords des mau­vais pères, l’habitat insa­lubre, l’aveuglement des gauches…) mal rac­cro­chées à la ligne prin­ci­pale qu’essaie d’être la marche encom­brée de fla­sh­backs pau­vre­ment tire-larmes de Rosa / Ariane Asca­ride vers un ave­nir de sen­sua­li­té béa­te­ment mol­lasse (for­cé­ment : Dar­rous­sin !) pous­sé sur le ter­reau d’un mili­tan­tisme en cul-de-sac. Belles vues de Marseille.


Augure

Réa­li­sa­teur : Balo­ji – 1 h 30

Un épou­van­table sal­mi­gon­dis, col­lage de flashes consa­crés à la (dé ?)valo­ri­sa­tion des pra­tiques et des croyances d’un Congo folk­lo­rique empli de sor­cel­le­rie et de super­sti­tions absurdes où se perd notre ratio­na­li­té et où se noie la ligne nar­ra­tive du film, illi­sible hors ce constat : flan­qué de sa com­pagne belge et enceinte de jumeaux, un expa­trié revient au pays pour ten­ter de se plier à la tra­di­tion. Suit une suc­ces­sion d’images bruyantes et colo­rées où se croise tout ce que l’auteur a vou­lu dire et que la cri­tique – Le Monde, Télé­ra­ma, quelques jurys de fes­ti­val (Angou­lême, Munich, Cannes) – réus­sit la prouesse d’interpréter avec enthou­siasme. Dans ce film opaque, il naî­tra de ce couple bico­lore deux jumeaux, l’un aus­si blanc que l’autre est noir. Hom­mage peut-être aux lois de Mendel !

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