12 leçons de mécanique quantique

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°619 Novembre 2006Par : Jean-Louis Basdevant, professeur honoraire à l’École polytechnique Préface de Thierry Koskas (84)Rédacteur : Jean DALIBARD, professeur à l’École polytechnique, membre de l’Académie des sciences

Dans de nom­breuses écoles et uni­ver­sités, la physique quan­tique est vue par les étu­di­ants comme une dis­ci­pline austère, cal­cu­la­toire et décon­nec­tée de la réal­ité. Pour les pro­mo­tions d’X de 1976 à 2003, ce fut au con­traire une matière jubi­la­toire, pleine de sur­pris­es et pro­fondé­ment humaine. Il faut lire les 12 leçons de mécanique quan­tique de Jean-Louis Bas­de­vant pour com­pren­dre com­ment cette magie a opéré.

Cet ouvrage est à la fois un vrai livre de physique et le réc­it d’une aven­ture intel­lectuelle qui a réu­ni les plus grands sci­en­tifiques du vingtième siè­cle, physi­ciens bien sûr, mais aus­si math­é­mati­ciens et chimistes. On y décou­vre aus­si l’omniprésence de la mécanique quan­tique dans notre envi­ron­nement, dans les tran­sis­tors de nos télé­phones porta­bles, dans les lasers de nos lecteurs de CD, ou encore dans les hor­loges atom­iques qui guident nos sys­tèmes GPS.

Cha­cune des douze leçons cor­re­spond à un des amphis qu’enseignait Jean-Louis Bas­de­vant. On y retrou­ve son ton unique, ses ques­tions sans cesse dérangeantes : « Pourquoi les étoiles bril­lent-elles ? Le temps existe-t-il ? Qui a tué le chat de Schrödinger ? » On y voit défil­er les physi­ciens qui ont joué un rôle dans le développe­ment de cette nou­velle mécanique : le jeune Paul Adrien Mau­rice Dirac « qui aimait beau­coup sa maman », Niels Bohr « rigide et dog­ma­tique », Wolf­gang Pauli pour qui « tout était soit évi­dent, soit idiot » et beau­coup d’autres. On y apprend com­ment écrire son nom avec une dizaine d’atomes, et com­ment com­mu­ni­quer avec une éventuelle civil­i­sa­tion extraterrestre.

Ce livre est d’abord un out­il remar­quable pour abor­der la physique quan­tique, avec ses équa­tions prin­ci­pales, ses expéri­ences cru­ciales, ses appli­ca­tions. Mais la véri­ta­ble orig­i­nal­ité de l’ouvrage est de replac­er le for­mal­isme dans un cadre plus vaste et plus noble, celui de la dimen­sion humaine de la Sci­ence. Les acteurs prin­ci­paux repren­nent vie, leurs intu­itions, leurs doutes, leurs con­flits sont devant nous. Ain­si, dans sa belle pré­face, Thier­ry Koskas (84) écrit que Jean-Louis Bas­de­vant a fait de la mécanique quan­tique une sci­ence humaine, « parce qu’elle est faite par les hommes et, en général, pour eux ».

Ce livre appar­tient à la très petite caté­gorie des « textes de scènes » sci­en­tifiques. On le lit comme une pièce de théâtre, et je ne peux m’empêcher de le rap­procher du cours de physique de Feyn­man, lui aus­si retran­scrip­tion fidèle des exposés d’un grand physi­cien. La pas­sion de la décou­verte et l’émerveillement devant un voile qui se lève transparais­sent à chaque para­graphe, avec une règle unique : dans ce théâtre-là, on ne triche pas avec les faits. Si un mod­èle théorique ne rend pas compte des obser­va­tions, il faut le chang­er. Cette leçon de rigueur, d’humilité devant le Réel, domine l’ensemble de l’ouvrage ; elle dépasse la physique quan­tique pour con­stituer un cor­pus dans lequel tout « sci­en­tifique », au sens le plus large du terme, se retrouvera.

Mer­ci donc à Jean-Louis Bas­de­vant d’avoir accep­té de nous livr­er, presque ver­ba­tim, ses textes d’amphis retraçant une épopée sci­en­tifique qui a boulever­sé notre vision du monde, du coeur des atom­es à la for­ma­tion des galax­ies. On en ressort pro­fondé­ment ému, à la fois par la beauté de cette con­struc­tion intel­lectuelle et par le brio de l’auteur qui réus­sit à nous la ren­dre familière.

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