Candide au pays des libéraux

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°541 Janvier 1999Par : Christian GERONDEAU (57)Rédacteur : Ernest-Antoine SEILLIÈRE, président du MEDEF

Que le chô­mage soit le plus grave et le plus per­ni­cieux des pro­blèmes aux­quels est confron­tée la socié­té fran­çaise ne fait mal­heu­reu­se­ment pas de doute.

Pour­tant, il suf­fit de regar­der hors de nos fron­tières pour voir qu’il n’y a là aucune fata­li­té. Si nous avions, en pro­por­tion, autant d’emplois que les Bri­tan­niques, nous en comp­te­rions 4 mil­lions de plus sur notre ter­ri­toire. Si nous en avions autant que les Amé­ri­cains, nous en comp­te­rions 6 mil­lions de plus !

Où est la clé de l’énigme ? Peut-être dans le livre éton­nant de Chris­tian Geron­deau et sans conteste l’un des plus indis­pen­sables à ceux que pré­oc­cupe l’avenir de notre pays. Il démontre que si nous n’adoptons pas les solu­tions des pays anglo-saxons, c’est parce que nous redou­tons leurs consé­quences sociales. Or, ces consé­quences sont lar­ge­ment imaginaires.

Qui connaît le salaire mini­mum des États-Unis, guère dif­fé­rent du nôtre ? Qui sait que, d’après les études les plus récentes de l’OCDE, la dis­tri­bu­tion des reve­nus entre les foyers est plus éga­li­taire aux États-Unis qu’en Europe, parce que le nombre d’emplois y est beau­coup plus élevé ?

Qui sait que les caté­go­ries qui repré­sentent le plus de risques sur le plan de la san­té – les plus défa­vo­ri­sés et les plus âgés – sont cou­vertes par des sys­tèmes entiè­re­ment publics – Medi­caid et Medi­care – plus géné­reux que notre Sécu­ri­té sociale et dont béné­fi­cient 75 mil­lions d’Américains ? Qui sait que la base du sys­tème de retraites amé­ri­cain est un dis­po­si­tif public, géré par le gou­ver­ne­ment fédé­ral, et que les fonds de pen­sion – fort utiles par ailleurs – sont mino­ri­taires ? Qui sait enfin que le nombre de ceux qu’on qua­li­fie de “pauvres” n’a jamais été aus­si faible outre-Atlan­tique, contrai­re­ment à ce que laissent croire des sta­tis­tiques, fon­dées sur des défi­ni­tions erro­nées de la “pau­vre­té” ?

Quant aux emplois qui ont été créés par mil­lions au cours des années récentes, ce n’est que récem­ment que beau­coup ont été contraints de recon­naître avec le Pre­mier ministre, qu’il ne s’agissait pas, pour l’essentiel, d’emplois peu qualifiés.

Même constat outre-Manche. S’il en fal­lait une preuve, elle serait appor­tée par le gou­ver­ne­ment tra­vailliste actuel qui ne remet en cause aucune des grandes réformes de ses pré­dé­ces­seurs. Non seule­ment les pri­va­ti­sa­tions conduites au cours des der­nières années ont été main­te­nues, mais d’autres sont enga­gées selon des moda­li­tés diverses et par­fois dans les domaines les plus sensibles.

Là aus­si, les idées fausses pré­valent. Sait-on que les dépenses sociales n’ont pas été réduites en Angle­terre au cours des années pas­sées, mais qu’elles se sont au contraire très for­te­ment accrues, pas­sant de 24 à 28 % du PIB bri­tan­nique entre 1985 et 1994 ? C’est d’ailleurs pour cette rai­son que Tony Blair se bat contre “la dérive de l’État-providence”.

La réa­li­té est bien aux anti­podes de nos impres­sions super­fi­cielles. Ce n’est pas en étant “anti­so­ciaux” que les Amé­ri­cains et les Bri­tan­niques ont réus­si à créer des mil­lions d’emplois. C’est l’inverse. Il n’y a pas de dilemme entre le bon fonc­tion­ne­ment de l’économie et le main­tien d’un niveau éle­vé de pro­tec­tion sociale. Tel est le mes­sage du livre de Chris­tian Geron­deau, et il est bien utile.

Voi­là une contri­bu­tion essen­tielle pour ceux qui, refu­sant de se com­plaire à répé­ter des idées fausses, cherchent dans l’objectivité à mieux for­mer leur juge­ment sur les choix de socié­té du XXIe siècle.

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