Les dysfonctionnements du cerveau, première cause de maladie

Dossier : Les NeurosciencesMagazine N°654 Avril 2010
Par Bernard ESAMBERT (54)

Repères

Repères
En France, une per­sonne sur dix est confron­tée à une mala­die du cer­veau : plus d’un mil­lion a été vic­time d’un acci­dent vas­cu­laire céré­bral, 850 000 souffrent de la mala­die d’Alz­hei­mer, 500 000 d’é­pi­lep­sie, 150 000 de la mala­die de Par­kin­son, 125 000 de para­ly­sie céré­brale et 60 000 de sclé­rose en plaques. Sans oublier des mil­liers de vic­times de la sclé­rose laté­rale amyo­tro­phique, de la Cho­rée de Hun­ting­ton, des tumeurs céré­brales et des nom­breuses mala­dies orphe­lines. À ces chiffres, il faut ajou­ter les mala­dies psy­chia­triques : 4 mil­lions de dépres­sions – pour les­quelles les dérè­gle­ments céré­braux sont de plus en plus mis en évi­dence -, au moins 700 000 cas de troubles bipo­laires, 600 000 cas de schi­zo­phré­nie, ain­si que les addic­tions, l’au­tisme (60 000 cas). Au total, plus de 6 mil­lions de cas graves, qui affectent direc­te­ment ou indi­rec­te­ment plus d’un quart de la population.

Les mala­dies du cer­veau, mala­dies neu­ro­lo­giques et mala­dies psy­chia­triques, sont dès à pré­sent le pre­mier enjeu en matière de san­té. Des don­nées de l’OMS indiquent qu’elles consti­tuent 35 % de toutes les mala­dies en Europe. Près d’un quart de la popu­la­tion euro­péenne est atteint d’une ou plu­sieurs patho­lo­gies du cer­veau pour un coût annuel de 400 mil­liards d’euros.

Un quart de la popu­la­tion euro­péenne est atteint d’une patho­lo­gie du cerveau

Et, bien sûr, le vieillis­se­ment des socié­tés déve­lop­pées fait craindre un alour­dis­se­ment de cette charge. Les moyens finan­ciers inves­tis dans la recherche sur le cer­veau en Europe ne s’é­le­vaient qu’à 4,1 mil­liards d’eu­ros en 2005, soit 1 % des coûts engen­drés. Les États et asso­cia­tions de sou­tien à la recherche assurent le cin­quième de ces inves­tis­se­ments, le reste étant assu­ré par l’in­dus­trie phar­ma­ceu­tique. La recherche sur le cer­veau devient donc un enjeu majeur de société.

Une recherche en réseau

Les forces mobi­li­sées en France face à ce fléau comptent envi­ron 2 500 neu­ro­logues et autant de cher­cheurs employés par l’In­serm, le CNRS, l’Ins­ti­tut Pas­teur, les CHU, les uni­ver­si­tés et l’ENS. Une struc­ture thé­ma­tique coor­donne l’en­semble de la recherche : il s’a­git de l’IT­MO Neu­ros­ciences qui est un des 10 ins­ti­tuts thé­ma­tiques mul­ti-orga­nismes actifs en matière de recherche.

Pré­voir les crises d’épilepsie
Les béné­fices d’une approche plu­ri­dis­ci­pli­naire sont illus­trés par le cas sui­vant. Un mathé­ma­ti­cien a reçu de la Fon­da­tion fran­çaise pour la recherche sur l’é­pi­lep­sie une bourse pour se joindre à une équipe tra­vaillant sur l’é­pi­lep­sie. Dans le domaine des épi­lep­sies tem­po­rales, qui repré­sentent envi­ron le tiers des épi­lep­sies, il a ana­ly­sé des élec­tro-encé­pha­lo­grammes avec les outils de la théo­rie du chaos et mis en évi­dence l’exis­tence d’un » attrac­teur » qui se mani­feste de deux à huit minutes avant la sur­ve­nue d’une crise. Cette décou­verte per­met d’en­vi­sa­ger le déve­lop­pe­ment de micro­sti­mu­la­teurs intel­li­gents capables de pré­voir l’ar­ri­vée d’une crise et déclen­cher l’in­jec­tion d’une sub­stance pour pré­ve­nir les effets de la crise.

Cet effec­tif de 2 500 cher­cheurs est à com­pa­rer aux 9 000 cher­cheurs tra­vaillant sur ce sujet dans l’Eu­rope des Vingt-Sept. La France n’est donc pas un des pays euro­péens les moins actifs en la matière, mais cet effort est encore loin d’être à la hau­teur de ce que font les États-Unis ou le Japon.

Pour maxi­mi­ser l’ef­fi­ca­ci­té des équipes, il est essen­tiel de déve­lop­per des approches à la fois plu­ri­dis­ci­pli­naires et trans­ver­sales. On a effet besoin de com­pé­tences extrê­me­ment variées dans une même équipe : spé­cia­listes des cel­lules souches, neu­ro­logues, bio­lo­gistes, phar­ma­co­logues, mathé­ma­ti­ciens, infor­ma­ti­ciens, chi­mistes, phy­si­ciens. En immer­geant tous ces spé­cia­listes dans les équipes de recherche, les résul­tats obte­nus sont bien meilleurs que lors­qu’on fait appel à eux ponc­tuel­le­ment sans les impli­quer dans la tota­li­té du projet.

Les approches trans­ver­sales per­mettent de mettre des efforts en com­mun sur des sujets inté­res­sant diverses patho­lo­gies et créent un maillage de la recherche d’au­tant plus béné­fique que les décou­vertes se font sou­vent là où on ne les attend pas. C’est ce double constat qui amène la Fédé­ra­tion pour la recherche sur le cer­veau (FRC) à aider prio­ri­tai­re­ment les actions fon­dées sur ces approches.

Améliorer la vie des patients

Les décou­vertes réa­li­sées depuis les dix der­nières années dépassent lar­ge­ment celles des qua­rante ans qui ont pré­cé­dé. Quelques exemples pour illus­trer ces progrès.

Gym­nas­tique cérébrale
Au fil des ans, l’a­dulte a de plus en plus de mal à créer de nou­veaux réseaux neu­ro­naux, voire à main­te­nir les réseaux exis­tants. C’est pour­quoi il est indis­pen­sable de main­te­nir une sti­mu­la­tion du cer­veau par l’en­vi­ron­ne­ment. Dans les cas de mala­dies, il a été obser­vé que cette sti­mu­la­tion peut aus­si com­pen­ser, au moins par­tiel­le­ment, cer­tains symp­tômes. Des don­nées récentes montrent même qu’un envi­ron­ne­ment enri­chi pour­rait pro­té­ger les neu­rones de la mort obser­vée dans cer­tains modèles expé­ri­men­taux de mala­dies neu­ro­dé­gé­né­ra­tives comme la mala­die de Par­kin­son : le cer­veau ne s’use que si l’on ne s’en sert pas !

La sti­mu­la­tion céré­brale per­met d’a­mé­lio­rer la vie de nom­breux patients. Ce terme recouvre à la fois la sti­mu­la­tion par l’en­vi­ron­ne­ment qui per­met de ralen­tir le déclin des capa­ci­tés céré­brales et la sti­mu­la­tion élec­trique appli­quée en cas de patho­lo­gies neu­ro­lo­giques. Elle consiste en l’im­plan­ta­tion d’élec­trodes par des tech­niques chi­rur­gi­cales dans des zones bien défi­nies du cer­veau. Ces élec­trodes délivrent un cou­rant de fré­quence très éle­vée, qui inhibe l’ac­ti­vi­té neu­ro­nale, et pro­voquent une plas­ti­ci­té des cir­cuits neu­ro­naux, per­met­tant de cor­ri­ger les symp­tômes de mala­dies aus­si bien neu­ro­lo­giques que psychiatriques.

Autre domaine de pro­grès : la géné­tique. Les avan­cées concernent en par­ti­cu­lier les mala­dies neu­ro­dé­gé­né­ra­tives : elles se carac­té­risent par une perte neu­ro­nale pro­gres­sive et sont sou­vent héré­di­taires ou mul­ti­fac­to­rielles. Elles per­mettent d’é­ta­blir la cause prin­ci­pale de la mala­die dans le cas où un gène est res­pon­sable : c’est l’exemple de la mala­die de Huntington.

Mais dans d’autres mala­dies (Alz­hei­mer, Par­kin­son, etc.) les fac­teurs sont nom­breux : d’où le terme d’hé­ré­di­té poly­gé­nique pour qua­li­fier la com­po­sante génétique.

Un troi­sième exemple d’a­van­cée en matière de mala­dies du cer­veau est celui des cel­lules souches. La carac­té­ris­tique des mala­dies neu­ro-dégé­né­ra­tives est la des­truc­tion des neu­rones et réseaux neu­ro­naux. En paral­lèle aux recherches visant à arrê­ter ou ralen­tir le pro­ces­sus, les tra­vaux menés sur l’emploi de cel­lules souches per­mettent d’es­pé­rer à terme un rem­pla­ce­ment de zones atteintes par des neu­rones issus de cel­lules souches.

Les décou­vertes se font sou­vent là où on ne les attend pas

Ces pre­miers résul­tats ne doivent pas faire oublier que d’autres tra­vaux comme ceux menés sur les canaux ioniques : ils doivent per­mettre de mieux com­prendre la façon dont les cen­taines de mil­liards de neu­rones com­mu­niquent entre eux, et la rai­son de cer­tains dys­fonc­tion­ne­ments observables.

De nom­breuses autres avan­cées méri­te­raient d’être citées. Il faut avant tout sou­li­gner une évo­lu­tion impor­tante de la recherche sur les mala­dies du cer­veau : la fron­tière entre mala­dies neu­ro­lo­giques et mala­dies psy­chia­triques dis­pa­raît de plus en plus. Cette fron­tière était par­ti­cu­liè­re­ment sen­sible en France, en rai­son de l’in­fluence de l’é­cole laca­nienne qui pri­vi­lé­gie le psy­chique par rap­port au neurologique.

Comprendre le fonctionnement du cerveau

Cho­rée de Huntington
Cette mala­die héré­di­taire est rela­ti­ve­ment rare (fré­quence de 110 000) et encore incu­rable. On a pu iden­ti­fier un gène res­pon­sable chez de plus de 95 % des per­sonnes atteintes de la mala­die. Il est donc pos­sible d’é­ta­blir un diag­nos­tic pré­symp­to­ma­tique : une per­sonne à risque peut ain­si connaître son sta­tut géné­tique avant l’ap­pa­ri­tion des signes. Il ne s’a­git pas d’un dépis­tage car aucun trai­te­ment pré­ven­tif n’existe à ce jour. Mais le diag­nos­tic peut faci­li­ter la prise en charge médi­cale et psychologique.

Les pro­grès sont rapides aus­si bien dans la recherche que dans les outils qui la servent. Ils per­mettent d’en­vi­sa­ger des résul­tats concrets dans le trai­te­ment des mala­dies cérébrales.

Mais pour l’ins­tant, on ne sait que ralen­tir le déve­lop­pe­ment de la mala­die et en atté­nuer ou neu­tra­li­ser les effets. Au-delà de ces aspects pure­ment médi­caux, les recherches per­mettent d’ou­vrir une fenêtre sur la com­pré­hen­sion du fonc­tion­ne­ment du cer­veau. C’est ain­si que des tra­vaux sur l’é­pi­lep­sie ont per­mis de décou­vrir dans le cer­veau plu­sieurs centres du rire, ce qui per­met de déclen­cher le rire par une sti­mu­la­tion avec des électrodes.

L’im­por­tance des enjeux en matière de san­té et de socié­té appelle évi­dem­ment à un effort accru en matière de recherche. Une récente étude de l’Ins­ti­tut natio­nal de la san­té aux États-Unis (NIH) a mon­tré que le retour sur inves­tis­se­ment en termes d’employabilité et de qua­li­té de vie pour les patients atteints de mala­die du cer­veau était de 50 % par an pour la recherche thé­ra­peu­tique dans ce domaine. Ce béné­fice, bien plus impor­tant que n’im­porte quel pla­ce­ment bour­sier, même en période flo­ris­sante de la Bourse, devrait donc être consi­dé­ra­ble­ment aug­men­té pour le béné­fice de tous.

La der­nière décen­nie du xxe siècle a été celle du cer­veau aux États-Unis, tout comme celle qui vient de s’é­cou­ler au Japon. Sou­hai­tons que, pour la France et l’Eu­rope, la nou­velle décen­nie soit celle du cerveau !

Propos recueillis par Hubert Jacquet (64)

Un enga­ge­ment de vingt ans
En 1989, dans la fou­lée du lan­ce­ment de la Fon­da­tion de l’X, Ber­nard Esam­bert entre­prend, pour des rai­sons fami­liales, la créa­tion de la Fon­da­tion fran­çaise pour la recherche sur l’é­pi­lep­sie, qui ver­ra le jour deux ans plus tard. Mais cette Fon­da­tion est confron­tée aux mêmes dif­fi­cul­tés que des orga­nismes simi­laires oeu­vrant dans le domaine de la sclé­rose en plaques, la mala­die d’Alz­hei­mer ou d’autres affec­tions : manque de visi­bi­li­té, d’où manque de moyens et de résul­tats. Les cinq prin­ci­pales orga­ni­sa­tions sou­te­nant la recherche sur les mala­dies neu­ro­lo­giques se fédèrent alors au sein de la Fédé­ra­tion pour la recherche sur le cer­veau et en confient la pré­si­dence à Ber­nard Esam­bert. Elle reçoit mis­sion de col­lec­ter et répar­tir des fonds pour la recherche. La plu­part des autres asso­cia­tions sur les mala­dies neu­ro­lo­giques ont depuis rejoint cette Fédé­ra­tion qui col­lecte annuel­le­ment deux mil­lions d’eu­ros de dons dont la moi­tié issue du Rota­ry-Club de France.
Ces sommes sont allouées à des pro­grammes de recherche qui asso­cient des approches plu­dis­ci­pli­naires et trans­ver­sales. Ber­nard Esam­bert pré­side éga­le­ment un réseau thé­ma­tique de recherche avan­cée : l’É­cole des neu­ros­ciences de Paris Île-de-France (ENP) qui regroupe la majo­ri­té des équipes d’ex­cel­lence dans le domaine des neu­ros­ciences en Île-de-France.
L’ENP est por­tée par cinq éta­blis­se­ments fon­da­teurs : le CEA, le CNRS, l’In­serm, les uni­ver­si­tés Paris-Sud-XI et Pierre-et-Marie-Curie.
Voir le site de la FRC : www.frc.asso.fr

Commentaire

Ajouter un commentaire

regine veci-lopezrépondre
10 février 2011 à 4 h 59 min

tumeur
ma fille vient de subir une réci­dive de sa tumeur au cerveau.Opérée pour la dieme fois ;elle a trés vite récupérée.Elle a oubliée de prendre durant 2 jours ces anti-épileptiques.Elle fit une crise.Perte de la mémoire ‚dela parole,paralysie de la bouche ; est-ce réel­le­ment du à la non-prise des médi­ca­ments ? y‑a-t’il d’autres fac­teurs qui aurait pu entrai­ner cette crise ? bons résul­tats cli­niques du a l’opération.

Répondre