Éditorial

Dossier : BiotechnologiesMagazine N°590 Décembre 2003
Par Pierre TAMBOURIN (64)

Il y a 10 000 ou 12 000 ans, toute l’hu­ma­ni­té vivait de chasse, de pêche et de cueillette. Au cours des dix mille années sui­vantes, cer­taines régions du globe ont vu l’homme se séden­ta­ri­ser et, pro­gres­si­ve­ment, domes­ti­quer les ani­maux, sélec­tion­ner les plantes, uti­li­ser les métaux, mettre en valeur les sources d’éner­gie variées.

Les bio­tech­no­lo­gies naquirent lorsque ces hommes croi­sèrent leurs ani­maux pour amé­lio­rer les per­for­mances des trou­peaux ou hybri­dèrent les plantes dans leurs champs. Les pre­mières traces de l’u­ti­li­sa­tion de micro-orga­nismes, évi­dem­ment incon­nus à l’é­poque, pour trans­for­mer le sucre en alcool, l’al­cool en vinaigre, datent de 6 000 à 10 000 ans avant Jésus-Christ. La bière a dû appa­raître à l’âge néo­li­thique, dès que les pre­miers hommes ont com­men­cé à récol­ter les céréales et à les sto­cker. La cuis­son et la fer­men­ta­tion dans l’eau pro­dui­saient une bois­son à la fois nour­ris­sante (riche en pro­téines et en glu­cides) et désal­té­rante, qui se conser­vait bien. Les Sumé­riens nous ont légué les pre­mières traces écrites concer­nant la bière. Les pre­miers pains au levain datent de 3 000 à 5 000 ans avant Jésus-Christ.

Dans la défi­ni­tion la plus récente, les bio­tech­no­lo­gies regroupent toutes les méthodes et tech­niques qui uti­lisent des élé­ments vivants (orga­nismes, cel­lules, virus, bac­té­ries, levures, etc., ou des frac­tions sub­cel­lu­laires ou des macro­mo­lé­cules du vivant puri­fiées) pour recher­cher, pro­duire ou modi­fier des élé­ments ou orga­nismes d’o­ri­gine végé­tale ou ani­male (ou non).

Par­fois, on regroupe, dans cette même caté­go­rie d’ac­ti­vi­tés, les tech­no­lo­gies issues le plus sou­vent de la phy­sique (par exemple de l’op­tique), ou de la chi­mie et qui servent direc­te­ment le déve­lop­pe­ment de ces bio­tech­no­lo­gies (bio­pho­to­nique par exemple).

Pour­quoi, alors, parle-t-on autant, aujourd’­hui, d’ac­ti­vi­tés humaines aus­si anciennes ? Parce que ces tech­no­lo­gies se sont enri­chies, au cours du der­nier demi-siècle, d’ou­tils très puis­sants, ouvrant de nou­velles voies de déve­lop­pe­ment aux indus­triels : les cultures cel­lu­laires, ani­males ou végé­tales, les outils du génie géné­tique, issus du vivant, et plus récem­ment encore les tech­niques de la bio­lo­gie à grande échelle qui font appel aux sciences pour l’in­gé­nieur et à l’informatique.

Les bio­tech­no­lo­gies sont ain­si (re)devenues, en quelques années, d’un très grand inté­rêt indus­triel (et finan­cier) pour de nom­breuses acti­vi­tés humaines, aus­si sen­sibles que la décou­verte et la fabri­ca­tion de médi­ca­ments nou­veaux, la pro­duc­tion en quan­ti­té illi­mi­tée de bio­mo­lé­cules com­plexes de grand inté­rêt thé­ra­peu­tique (comme l’in­su­line, les cyto­kines, l’in­ter­fé­ron, les lipases, ou les enzymes d’une manière géné­rale), le trai­te­ment de pro­blèmes envi­ron­ne­men­taux (dépol­lu­tion, remé­dia­tion, etc.), le déve­lop­pe­ment d’une nou­velle caté­go­rie de bio­ma­té­riaux, plus res­pec­tueux de l’en­vi­ron­ne­ment, le rem­pla­ce­ment ou l’a­mé­lio­ra­tion de filières clas­siques en chi­mie indus­trielle lourde, dans l’in­dus­trie du cuir, dans celle du papier et, évi­dem­ment, en agri­cul­ture et en agrochimie.

La simple énu­mé­ra­tion de ces acti­vi­tés explique pour­quoi de nom­breux pays indus­tria­li­sés (ou non) se sont lan­cés dans l’a­ven­ture, consi­dé­rant que ce champ d’ac­ti­vi­tés paraît d’un très grand inté­rêt stra­té­gique. Si l’on ajoute à cela que ces tech­no­lo­gies sont peu coû­teuses et néces­sitent une infra­struc­ture, somme toute, légère, on peut mieux com­prendre pour­quoi tous ces pays se lancent dans l’a­ven­ture où ils estiment qu’il y a peu à perdre (inves­tis­se­ments modestes au départ) et beau­coup à gagner et pas seule­ment dans l’as­pect finan­cier, loin s’en faut. De tels espoirs avaient déjà été cares­sés, au début du siècle, avec la maî­trise des fer­men­ta­tions, mais les indus­tries pétro­lières, beau­coup moins coû­teuses, sup­plan­tèrent rapi­de­ment ces tech­no­lo­gies, à l’é­poque, encore assez frustes.

Aujourd’­hui, l’ap­pa­ri­tion d’ou­tils nou­veaux deve­nus très com­pé­ti­tifs, com­plé­tés par les tech­no­lo­gies issues d’autres dis­ci­plines (robo­tique, auto­ma­tique, micro et nano­tech­no­lo­gies, optique, etc.) qui donnent nais­sance, par exemple, aux puces à ADN, élar­git encore le champ des appli­ca­tions pos­sibles et accroît la puis­sance d’a­na­lyse de ces méthodes. On peut, d’ores et déjà, pré­dire des appli­ca­tions nom­breuses en méde­cine humaine, des approches nou­velles des grandes patho­lo­gies de l’homme, mais aus­si le déve­lop­pe­ment de thé­ra­peu­tiques, beau­coup plus spé­ci­fiques et moins toxiques basées, par exemple, sur les thé­ra­pies cel­lu­laires et par­fois géniques.

Près de 50 % des médi­ca­ments inno­vants sont, d’ores et déjà, issus de « jeunes » entre­prises de bio­tech­no­lo­gies. Les pré­dic­tions tendent à mon­trer que ce chiffre attein­dra 80 % dans moins de dix ans.

Autre point impor­tant à sou­li­gner : cette nou­velle bio­lo­gie et cette nou­velle méde­cine, lar­ge­ment illus­trées dans ce numé­ro spé­cial, seront pro­fon­dé­ment inter­dis­ci­pli­naires, ou ne seront pas. Mathé­ma­ti­ciens, phy­si­ciens, infor­ma­ti­ciens, chi­mistes se mobi­lisent, déjà, autour de ces pro­blèmes scien­ti­fiques, médi­caux et indus­triels, car ils se situent à un niveau de com­plexi­té pro­ba­ble­ment assez proche de ce qu’est la réa­li­té du vivant.

Par leur puis­sance (une racine de che­veu suf­fit pour iden­ti­fier, sans risque de se trom­per, l’in­di­vi­du pro­prié­taire de ce che­veu), par leur capa­ci­té à péné­trer l’in­ti­mi­té de ce que nous sommes (la carte d’i­den­ti­té géné­tique des indi­vi­dus peut ren­sei­gner sur beau­coup de nos carac­té­ris­tiques per­son­nelles), par leur impact pos­sible sur les éco­sys­tèmes pla­né­taires, mais aus­si par leurs richesses d’ap­pli­ca­tion médi­cales ou envi­ron­ne­men­tales, ces déve­lop­pe­ments sont vécus avec enthou­siasme par cer­tains, avec inquié­tude et angoisse par d’autres, qui sont, pour l’ins­tant, les plus nom­breux. Ils imposent que le citoyen s’ap­pro­prie les connais­sances de base néces­saires à la com­pré­hen­sion de ces inno­va­tions, afin de par­ti­ci­per aux débats de socié­té qui ne man­que­ront pas de se déve­lop­per sur ces questions.

Il serait, d’ailleurs, plus que sou­hai­table, que l’in­ter­dis­ci­pli­na­ri­té évo­quée ci-des­sus s’é­tende très vite aux sciences de l’homme et de la socié­té et que de nou­velles recherches, allant de la phi­lo­so­phie à la socio­lo­gie, se déve­loppent sur les rela­tions nou­velles qui devront s’é­ta­blir entre science et socié­té. Comme le sou­ligne sou­vent Jean-Pierre Dupuy dans ses écrits et son ensei­gne­ment à l’É­cole poly­tech­nique, nous aurons à faire face à de nou­veaux défis lan­cés à notre enten­de­ment, à notre juge­ment, à notre culture et à notre démo­cra­tie. L’un de ces défis, pour la poli­tique et la culture, sera de s’a­dap­ter à ces bou­le­ver­se­ments, ce qui oblige à un effort sans pré­cé­dent d’é­du­ca­tion et de (re) » mise en culture » de la science.

De ce point de vue, la mise en place d’un groupe X‑Biotech et la publi­ca­tion de ce numé­ro par­ti­cipent de cet effort qu’il faut pro­lon­ger et ren­for­cer. Il faut en féli­ci­ter les auteurs. Vous pour­rez pro­lon­ger votre réflexion à la lec­ture des articles de ce numé­ro en vous réfé­rant au site du groupe X‑Biotech en cours de consti­tu­tion à l’AX :
‚vous y trou­ve­rez les articles mis en ligne avec des infor­ma­tions ou des docu­ments complémentaires.

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