Du coaching individuel au coaching de transformation des organisations

Dossier : Entreprise et ManagementMagazine N°588 Octobre 2003
Par Daniel COHEN
Par Marc MELLINGER

Les nouveaux défis posés aux organisations par l’évolution de leur environnement

Les nouveaux défis posés aux organisations par l’évolution de leur environnement

Le terme « éco­sys­tème » a récem­ment fait son appa­ri­tion dans le monde du mar­ke­ting pour décrire un nou­veau type de stra­té­gie où l’en­tre­prise tente d’aug­men­ter son influence sur son envi­ron­ne­ment en accrois­sant le nombre de ses par­te­naires. L’i­dée phare est que les solu­tions pro­po­sées par l’en­tre­prise ne doivent pas être consi­dé­rées iso­lé­ment, car ce qui compte avant tout est le sys­tème d’ac­teurs dans lequel elles s’in­sèrent, qu’il s’a­gisse des sous-trai­tants qui par­ti­cipent à l’é­la­bo­ra­tion du pro­duit ini­tial, des réseaux de dis­tri­bu­teurs ou de pres­crip­teurs, ou encore des par­te­naires qui contri­buent à ren­for­cer le posi­tion­ne­ment de ces solu­tions sur le mar­ché en y adjoi­gnant de nou­velles appli­ca­tions ou des pro­duits connexes dont l’in­te­ro­pé­ra­bi­li­té est garan­tie. Cette stra­té­gie a par exemple per­mis à Micro­soft de se posi­tion­ner au cœur de la chaîne de valeur ajou­tée du sec­teur de l’in­for­ma­tique grand public, la majo­ri­té des déve­lop­pe­ments infor­ma­tiques étant désor­mais réa­li­sée sous l’en­vi­ron­ne­ment Windows®. 

Cet emprunt au voca­bu­laire éco­lo­gique cor­res­pond bien, nous semble-t-il, à l’é­vo­lu­tion de la nature des défis posés par le mar­ché aux diri­geants d’en­tre­prise. Toute orga­ni­sa­tion, telle un être vivant, est ain­si plon­gée dans l’en­vi­ron­ne­ment tou­jours plus contrai­gnant du mar­ché et de ses acteurs, leur asso­cia­tion for­mant un éco­sys­tème au sein duquel ils demeurent en constante interaction. 

Nous obser­vons, pour notre part, sur la base de notre expé­rience de quinze années de coach de diri­geants et de leurs équipes, deux défis majeurs posés par la dyna­mique de l’environnement. 

1) Le déve­lop­pe­ment d’un mode de fonc­tion­ne­ment en temps réel dans l’en­tre­prise, qui brouille la lec­ture des prio­ri­tés et ins­taure une dic­ta­ture de l’ur­gence. Les attentes court ter­mistes des mar­chés pèsent lourd sur les épaules des diri­geants, et ceux-ci sont beau­coup plus occu­pés à faire face aux défis du pré­sent, voire à pros­pec­ter des recettes du pas­sé, qu’à visua­li­ser le futur et à se for­ger une vraie convic­tion sur les choix d’a­ve­nir à par­tir des­quels diri­ger. De façon géné­rale, la pres­sion de l’en­vi­ron­ne­ment qui s’exerce sur les acteurs de l’or­ga­ni­sa­tion tend alors à les faire se replier sur leur péri­mètre indi­vi­duel de res­pon­sa­bi­li­tés, et donne ain­si nais­sance à une situa­tion ato­mi­sée où le sens glo­bal de l’ac­tion col­lec­tive se perd.

Or, compte tenu du nombre et de la plu­ri­dis­ci­pli­na­ri­té des acteurs à impli­quer dans le pas­sage à l’ac­tion, les orga­ni­sa­tions n’ont jamais eu autant besoin de cohé­sion pour fonc­tion­ner effi­ca­ce­ment. Ain­si que l’é­cri­vait Léo­nard de Vin­ci, « de même que tout royaume divi­sé est bien­tôt défait, toute intel­li­gence qui se divise en plu­sieurs études dif­fé­rentes s’embrouille et s’af­fai­blit ». L’en­jeu dans ce contexte est de per­mettre le dia­logue et le par­tage de la vision et des trans­for­ma­tions à opérer.

2) Compte tenu de la dif­fi­cul­té gran­dis­sante à pré­voir les évo­lu­tions de l’en­vi­ron­ne­ment (notam­ment en rai­son du rac­cour­cis­se­ment du cycle de vie des pro­duits et de la mul­ti­pli­ca­tion des acteurs sur le mar­ché), le suc­cès de la stra­té­gie de l’en­tre­prise repose non plus tant sur la pers­pi­ca­ci­té de la vision expri­mée par le diri­geant que sur la capa­ci­té de celui-ci à pré­ser­ver et faire évo­luer les capa­ci­tés dis­tinc­tives de son entreprise. 

Les entre­prises ne réus­sissent pas parce que leurs diri­geants ont une boule de cris­tal : pour l’é­vo­lu­tion bio­lo­gique comme pour les éco­no­mies de mar­ché com­pé­ti­tives, la sur­vie des entre­prises tient à leur capa­ci­té à anti­ci­per les évo­lu­tions de leur environnement. 

Les diri­geants d’au­jourd’­hui sont ain­si constam­ment appe­lés à acqué­rir, faire acqué­rir et déve­lop­per de nou­velles com­pé­tences, à uti­li­ser plus lar­ge­ment leur intui­tion et leur créa­ti­vi­té, faire preuve de sens poli­tique aigu et d’empathie, tra­vailler en équipe et inté­grer de nou­veaux para­digmes. On attend d’eux qu’ils créent des « orga­ni­sa­tions appre­nantes », des orga­ni­sa­tions à struc­ture hié­rar­chique plate, des orga­ni­sa­tions trans­verses et inter­cul­tu­relles qui soient, non seule­ment capables de réagir à l’en­vi­ron­ne­ment, mais aus­si et sur­tout de géné­rer des oppor­tu­ni­tés stratégiques. 

Dès lors, le diri­geant ne peut se conten­ter des recettes du pas­sé. Il doit alors s’af­fran­chir des modes et conseils des der­niers gou­rous et des solu­tions « rea­dy made » qui auraient fait leurs preuves ailleurs, pour défendre ses propres convic­tions et mobi­li­ser ses propres res­sources, ain­si que celles de l’or­ga­ni­sa­tion pour qu’en­semble, avec ses équipes, ils la réin­ventent, par eux-mêmes, de l’intérieur. 

Du coaching des dirigeants au coaching de transformation des organisations

Tout d’a­bord, deux observations : 

1) Le conseil en orga­ni­sa­tion tel qu’il a été pra­ti­qué jus­qu’i­ci bute de plus en plus sur des réa­li­tés cultu­relles et socio­lo­giques. Certes, il ras­sure par l’ap­port de la cau­tion d’une exper­tise pres­ti­gieuse, mais ses moda­li­tés d’ac­tions impliquent, pour une large part, un pilo­tage externe des chan­ge­ments à effec­tuer, ce qui tend à désta­bi­li­ser les mana­gers de l’en­tre­prise, et les prive d’une occa­sion de se déve­lop­per en pilo­tant eux-mêmes ces chan­ge­ments, donc de l’op­por­tu­ni­té d’aug­men­ter l’au­to­no­mie de l’or­ga­ni­sa­tion et sa capa­ci­té à faire face aux futurs défis. Or, les indi­vi­dus veulent de plus en plus être en mesure de maî­tri­ser leurs des­ti­nées et celles de leur entreprise. 

2) Les cabi­nets de conseil, pour leur grande majo­ri­té d’o­ri­gine anglo-saxonne, construisent le plus sou­vent leurs modèles sur la base de para­digmes (cultu­rels et men­taux) qui perdent de leur effi­ca­ci­té une fois sor­tis de leur envi­ron­ne­ment propre, l’ap­pli­ca­tion méca­niste d’un sys­tème, aus­si com­plexe et aus­si ration­nel soit-il, ne pou­vant aider les hommes à dépas­ser le pro­blème auquel ils contri­buent par leur attitude. 

C’est en les aidant à sor­tir de réfé­ren­tiels essen­tiel­le­ment adap­tés aux défis du pas­sé que l’on peut les pré­pa­rer à mieux faire face indi­vi­duel­le­ment et col­lec­ti­ve­ment aux nou­veaux enjeux de la croissance. 

Nous avons acquis la convic­tion qu’il n’y a pas de déve­lop­pe­ment durable pos­sible sans trans­for­ma­tions, sans que l’en­tre­prise ait acquis la capa­ci­té à s’a­dap­ter en se trans­for­mant. Il s’a­git à nos yeux de la pre­mière capa­ci­té dis­tinc­tive à acqué­rir par une entre­prise pour assu­rer sa pérennité. 

Pour contri­buer à faire de ce constat une réa­li­té, la trans­for­ma­tion de l’en­tre­prise gagne à repo­ser sur un coa­ching de l’or­ga­ni­sa­tion conduit par les diri­geants et les mana­gers eux-mêmes, avec l’aide de coachs pro­fes­sion­nels. En effet, un chan­ge­ment orga­ni­sa­tion­nel durable n’est pos­sible que si les indi­vi­dus renou­vellent leur façon de voir, que s’ils sont plei­ne­ment conscients de leurs croyances, de leurs façons de fonc­tion­ner, de pen­ser et d’a­gir, et s’ils com­prennent clai­re­ment en quoi ces der­nières favo­risent ou s’op­posent aux chan­ge­ments deve­nus indis­pen­sables. Ce type de mis­sion inclut éga­le­ment un coa­ching per­son­na­li­sé des indi­vi­dus qui prend en compte et res­pecte leurs émo­tions, pour les aider à modi­fier leurs para­digmes et à s’ou­vrir à de nou­velles manières de voir, en confiance et non sous l’emprise de la peur. 

À cet égard, l’éner­gie du chan­ge­ment se génère d’a­bord de l’in­té­rieur et le coa­ching de l’or­ga­ni­sa­tion vient s’ap­puyer sur et élar­gir le coa­ching individuel.

Accompagner le dirigeant

Dans notre pro­ces­sus de coa­ching indi­vi­duel, nous veillons sys­té­ma­ti­que­ment à reca­drer la pro­blé­ma­tique du diri­geant dans la dyna­mique orga­ni­sa­tion­nelle en cours et dans le contexte glo­bal d’é­vo­lu­tion du busi­ness. Le rôle du coach consiste alors à accom­pa­gner le diri­geant, stra­té­gi­que­ment et émo­tion­nel­le­ment, dans sa quête de com­pré­hen­sion et de maî­trise, au-delà de la com­plexi­té de sur­face, vers la décou­verte du fil rouge qui donne sens et uni­té à l’en­semble. Cette démarche, en effet, repré­sente néces­sai­re­ment pour le diri­geant un che­mi­ne­ment inté­rieur pou­vant s’a­vé­rer émo­tion­nel­le­ment éprou­vant. Elle consti­tue, selon nous, la clé qui per­met de pas­ser d’une pos­ture stra­té­gique réac­tive et orien­tée vers l’ex­té­rieur à une pos­ture stra­té­gique créa­tive et orien­tée vers l’intérieur.

Dans un tel pro­ces­sus, le diri­geant a, en outre, tout à gagner à prendre conscience des a prio­ri et des pré­sup­po­sés théo­riques et pra­tiques à l’œuvre dans ses concep­tions, et donc dans ses pra­tiques, à les remettre en ques­tion et à les repen­ser pour mieux être en mesure de com­prendre son nou­vel envi­ron­ne­ment et de bâtir les solu­tions aux nou­veaux pro­blèmes aux­quels lui et ses équipes sont confrontés. 

Face à la pres­sion de l’en­vi­ron­ne­ment qui pèse sur la cohé­sion de ses équipes, un coa­ching per­met tout d’a­bord au diri­geant de prendre du recul, de cla­ri­fier – pour lui et pour son orga­ni­sa­tion - la place qu’il sou­haite prendre et de s’au­to­ri­ser à l’oc­cu­per plei­ne­ment. Ce fai­sant, il se met en situa­tion natu­relle d’au­to­ri­té, et auto­rise et génère chez ses col­la­bo­ra­teurs le désir de prendre toute leur dimen­sion, en confiance et en sécu­ri­té. A contra­rio, lorsque le diri­geant n’oc­cupe pas plei­ne­ment la place cen­trale qui est la sienne – toute cette place et rien que cette place – il se pro­duit au sein de l’or­ga­ni­sa­tion un dépla­ce­ment en cas­cade des rôles qui génère de la confu­sion et aiguise les conflits de territoires. 

Dès lors que le diri­geant occupe sa place, suite à un tra­vail d’ex­plo­ra­tion cri­tique d’a­bord, puis d’en­ri­chis­se­ment et de trans­for­ma­tion de ses a prio­ri, de ses para­digmes et com­por­te­ments, un espace de par­tage et de dia­logue peut s’ou­vrir per­met­tant à cha­cun d’ex­pri­mer sa propre vision de la réa­li­té et d’ou­vrir ain­si le champ des possibles.

Le reca­drage opé­ré par le coach, ici, est clé car il per­met de regar­der les pro­blèmes et défis ren­con­trés avec plus de flui­di­té, en sor­tant des cadres fer­més (« the one best way »), et en étant émo­tion­nel­le­ment récep­tif et à l’aise face aux conclu­sions et impli­ca­tions issues de pers­pec­tives nou­velles. Rap­pe­lons que les diri­geants, tout comme cha­cun des acteurs de l’or­ga­ni­sa­tion, ne font jamais des obser­va­tions pas­sives de leur envi­ron­ne­ment, mais inter­prètent tou­jours les évé­ne­ments et y réagissent avec leurs propres « lunettes ». 

En jouant un rôle impor­tant dans l’in­ter­pré­ta­tion des évé­ne­ments, ils influencent donc for­te­ment la manière dont ils se déroulent. 

Accompagner l’organisation

Au niveau de l’or­ga­ni­sa­tion pro­pre­ment dite, il faut bien voir que celle-ci connaît le même cycle et les mêmes règles de crois­sance que ceux de l’in­di­vi­du qui entre­prend ce type de voyage inté­rieur. Elle ne gran­di­ra qu’à la mesure des indi­vi­dus et des équipes qui la com­posent, car eux seuls peuvent décou­vrir ce qu’ils sont capables de faire et de deve­nir. Or, à l’in­verse de ce qui se passe en situa­tion de coa­ching indi­vi­duel, nous consta­tons que la plu­part des orga­ni­sa­tions ont du mal à uti­li­ser plei­ne­ment leur propre poten­tiel stra­té­gique interne. Du fait d’obs­tacles internes à la crois­sance, leurs per­for­mances res­tent clai­re­ment en des­sous de leur poten­tiel de res­sources. Le pro­ces­sus de coa­ching de trans­for­ma­tion des orga­ni­sa­tions consiste alors à uti­li­ser plei­ne­ment les leviers internes de crois­sance de l’or­ga­ni­sa­tion pour la mettre en mou­ve­ment et accé­lé­rer son développement. 

De plus, de nom­breux pro­blèmes et oppor­tu­ni­tés stra­té­giques requièrent une orga­ni­sa­tion dif­fé­rente de celle d’au­jourd’­hui. L’or­ga­ni­sa­tion ne doit pas seule­ment chan­ger, mais réel­le­ment croître et se réin­ven­ter. L’ob­jec­tif n’est alors plus sim­ple­ment de réagir à l’en­vi­ron­ne­ment, ou de faire du mana­ge­ment du chan­ge­ment, mais au-delà, de mettre l’or­ga­ni­sa­tion en posi­tion de géné­rer des oppor­tu­ni­tés stratégiques.

L’or­ga­ni­sa­tion doit donc aus­si s’en­ga­ger dans ce pro­ces­sus de trans­for­ma­tion, sous la hou­lette du diri­geant et de l’é­quipe de direc­tion qui vont modé­li­ser le voyage inté­rieur que celle-ci doit entreprendre.

Le coach : un « passeur » pour le dirigeant et son organisation

En conclu­sion, en regard de la néces­si­té de déve­lop­per les capa­ci­tés de l’or­ga­ni­sa­tion afin de lui per­mettre de conti­nuer sa crois­sance, le point de départ pour le diri­geant est de ne pas se mettre en situa­tion de dépen­dance par rap­port aux modèles du pas­sé, mais de trou­ver en lui-même et au sein de son orga­ni­sa­tion l’éner­gie néces­saire pour inven­ter le futur. Plus que de qua­li­tés, il s’a­git ici en fait d’actes consis­tant à ras­sem­bler cou­rage et confiance.

Dans ce pro­ces­sus de trans­for­ma­tion de l’or­ga­ni­sa­tion à réa­li­ser, le coach joue en quelque sorte le rôle d’un « pas­seur » car cette trans­for­ma­tion, pour être durable, doit per­mettre un renon­ce­ment au pas­sé, qui requiert une recon­nais­sance et une accep­ta­tion de ce qui n’est plus, puis une ouver­ture à l’i­né­dit et un accueil du changement.

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