Contre la routine

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°588 Octobre 2003Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Quelques disques pour ceux que lassent les nièmes enre­gis­tre­ments des Sonates de Schu­bert ou des Concer­tos de Brahms.

Collections

Sous le titre Rond-point des musi­ciens, Accord pré­sente des enre­gis­tre­ments de com­po­si­teurs peu joués, comme Scria­bine1, Duparc2, Ropartz3. Le disque de Scria­bine est consa­cré aux Études pour pia­no. Il par­court toute la vie du plus ori­gi­nal des com­po­si­teurs russes, depuis le démar­quage – réus­si – de Cho­pin en dix fois plus vir­tuose et plus com­plexe (opus 8 ), jusqu’aux pièces ato­nales et mys­té­rieuses de l’opus 65 , super­be­ment jouées par Michaël Levi­nas, et se ter­mine sur le très bel opus 2 écrit à 15 ans ; un très grand disque.

Duparc, mort à 85 ans en 1933, n’a lais­sé que 17 mélo­dies, notam­ment sur des poèmes de Bau­de­laire, intem­po­relles, dont neuf sont inter­pré­tées ici par Fran­çoise Pol­let accom­pa­gnée par l’Orchestre Sym­pho­nique et Lyrique de Nan­cy diri­gé par Jérôme Kal­ten­bach, et quelques pièces orches­trales très rare­ment jouées comme Danse lente et Aux étoiles, de style mi-Franck mi-Wag­ner, plus convenues.

Le disque consa­cré à Guy Ropartz (1864−1955) est une véri­table décou­verte. Le Requiem, une Messe Brève, et un Psaume, pour solistes, chœurs et orchestre, sont inter­pré­tés par des solistes, le Chœur régio­nal d’Île-de-France et l’Ensemble ins­tru­men­tal Jean-Wal­ter Audo­li, diri­gés par Michel Pique­mal. Ceux qui aiment la musique exquise et sans effets, propre à la médi­ta­tion, se deman­de­ront avec nous pour­quoi ces œuvres pro­fondes et lumi­neuses, dans la droite ligne de Fau­ré, sont si peu jouées.

Arion consacre sa col­lec­tion “L’art de…” aux ins­tru­ments clas­siques comme le cor4, moins clas­siques comme la lyre har­mo­nique5, et même à la musique méca­nique (divers ins­tru­ments)6. La lyre har­mo­nique est un ins­tru­ment ampli­fié à cordes en cris­tal aux pos­si­bi­li­tés qua­si infi­nies et qui crée une atmo­sphère oni­rique. Le disque consa­cré à la musique méca­nique pré­sente une belle pano­plie d’ancêtres du pho­no­graphe : pia­nos méca­niques, orgues Limo­naire, boîtes à musique, bas­tringues, etc.

Dans un disque consa­cré au haut­bois, qui aurait pu figu­rer dans cette col­lec­tion, Éric Spel­ler joue des pièces d’Antal Dora­ti et de Heinz Hol­li­ger7. Le haut­bois, s’il est joué par un grand inter­prète, est un des ins­tru­ments les plus expres­sifs qui soient, proche par son timbre de la voix humaine. On retien­dra en par­ti­cu­lier le très évo­ca­teur Trit­ti­co pour haut­bois d’amour, haut­bois, cor anglais et cordes de Dorati.

Monteverdi, Pasquini, Scarlatti

Sous le titre Ves­pro per la Salute8 , les ensembles vocal Aka­de­mia et ins­tru­men­tal La Fenice ont recons­ti­tué ce qu’a pu être une messe du culte marial célé­brée à Venise vers 1680 après l’épidémie de peste. Il s’agit d’un ensemble de pièces reli­gieuses de Mon­te­ver­di et de ses élèves, c’est-à- dire du som­met de la musique reli­gieuse du XVIIe siècle ita­lien. Il faut saluer le tra­vail de musi­co­logue de Fran­çoise Las­serre qui dirige ces deux ensembles : choix et inter­pé­né­tra­tion des pièces vocales et ins­tru­men­tales, avec orne­ments d’époque.

C’est de la même époque que date le très bel ora­to­rio San­ta Agnese de Pas­qui­ni, enre­gis­tré par le Consor­tium Caris­si­mi diri­gé par Vit­to­rio Zanon9. En dépit du carac­tère reli­gieux, c’est presque d’un opé­ra qu’il s’agit, avec une pro­gres­sion dra­ma­tique mar­quée, des airs et des réci­ta­tifs typiques de l’opéra italien.

On connaît plus Dome­ni­co Scar­lat­ti pour ses sonates pour cla­vier que pour sa musique sacrée, dont cinq pièces ont été enre­gis­trées par le Choir of King’s col­lege de Cam­bridge10 : Sta­bat mater, Te Deum, Mise­rere, Mag­ni­fi­cat, Lae­ta­tus sum. La basse conti­nue est assu­rée par un orgue et un vio­lon­celle. Si vous aimez le chant cho­ral, les poly­pho­nies contra­pun­tiques de Scar­lat­ti sou­tiennent la com­pa­rai­son avec celles de Bach, avec un style qui est déjà celui du XVIIIe siècle.

Menuhin, Capuçon

Le Concer­to et la Romance n°1 de Bee­tho­ven enre­gis­trés en 1971 avec le Menu­hin Fes­ti­val Orches­tra, la Séré­nade mélan­co­lique de Tchaï­kovs­ki en 1959 avec le Royal Phil­har­mo­nic diri­gé par Sir Adrian Boult11 : deux inédits de Menu­hin. Le Bee­tho­ven est un peu faible et à conseiller uni­que­ment aux afi­cio­na­dos incon­di­tion­nels, mais le Tchaï­kovs­ki est du grand Menu­hin, avec ce vibra­to qui n’appartient qu’à lui et qui va direc­te­ment au cœur.

C’est un enre­gis­tre­ment de Ravel qui a révé­lé au grand public les frères Capu­çon, dont Gau­tier, le vio­lon­cel­liste, vient d’enregistrer les deux Concer­tos de Haydn plus un concer­to apo­cryphe avec l’Orchestre de chambre Mah­ler diri­gé par Daniel Har­ding12. Capu­çon joue avec cette rete­nue, cette élé­gance, cette per­fec­tion tech­nique qui l’inscrivent dans la grande tra­di­tion des vio­lon­cel­listes fran­çais (Navar­ra, Four­nier, Tor­te­lier). Superbe.

Le disque du mois

Quatre jeunes femmes plus belles les unes que les autres, jouant avec fougue et gra­vi­té une œuvre déses­pé­rée dans le cloître de Sil­va­cane : on n’oubliera pas de sitôt cette révé­la­tion du Qua­tuor opus 80 de Men­dels­sohn par le Qua­tuor Pso­phos, lau­réat du concours de Bor­deaux en 2001, qui vient de l’enregistrer13 avec le N° 1 de l’opus 44. On connaît sur­tout de Men­dels­sohn les qua­tuors de jeu­nesse, à des années-lumière de celui-ci, sous-titré Requiem pour [sa sœur] Fan­ny , et com­po­sé à quelques semaines de sa propre mort à l’âge de 38 ans. Une des œuvres les plus fortes de la musique de chambre du XIXe siècle, au même niveau que les Qua­tuors de Beethoven.

Le Qua­tuor Pso­phos, qui a atteint par ailleurs la matu­ri­té tech­nique, joue avec cette fraî­cheur et cette émo­tion com­mu­ni­ca­tive que n’ont plus les vieux rou­tards du qua­tuor. À Sil­va­cane, le public avait les larmes aux yeux. Vous les aurez aussi.

_________________________
1. 1 CD ACCORD 472 343 2.
2. 1 CD ACCORD 472 356 2.
3. 1 CD ACCORD 472 345 2.
4. 1 CD ARION ARN 60605.
5. 1 CD ARION ARN 60604.
6. 1 CD ARION ARN 60606.
7. 1 CD AMBROISIE AMB 9933.
8. 2 CD PIERRE VERANY PV 703 071.
9. 2 CD PIERRE VERANY PV 703 051.
10. 1 CD EMI 5 57331 2.
11. 1 CD EMI 5 62523 2.
12. 1 CD VIRGIN 5 45583 2.
13. 1 CD ZIGZAG ZZT 030702.

Poster un commentaire