Vers une nouvelle spiritualité

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°593 Mars 2004Par : Gilles COSSON (57)Rédacteur : Christian MARBACH (56)

Lors de l’Assemblée générale de la SABIX qui s’est tenue le 17 juin 2003, j’avais demandé à Gilles Cos­son de nous pro­pos­er un exposé sur le roman his­torique. J’avais choisi ce con­férenci­er pour de mul­ti­ples raisons : grand pro­fes­sion­nel de la vie économique et indus­trielle, mil­i­tant européen, il avait aus­si con­nu la ten­ta­tion d’écrire (cela arrive) et y avait suc­com­bé (c’est déjà plus rare, et donc plus méri­toire). Les ouvrages qu’il avait com­mis jusque-là, et qui avaient con­nu du suc­cès, n’étaient pas inspirés de notre actu­al­ité ou de sa car­rière professionnelle.

Con­traire­ment à un Philippe Saint-Gil (43) qui avait mag­nifique­ment évo­qué “ la meilleure part ” de l’activité typ­ique­ment poly­tech­ni­ci­enne d’un ingénieur de con­cep­tion et de chantier, Gilles Cos­son avait cher­ché “ la meilleure part ” de son inspi­ra­tion, et celle de ses per­son­nages, dans un décalage à la fois géo­graphique et his­torique avec sa pro­pre expéri­ence professionnelle.

De ce décalage, qui est d’ailleurs à l’origine d’une foule de romans his­toriques (tel était le sujet de sa con­férence : “ Le roman his­torique ”), il avait tiré des aven­tures inscrites dans un cadre métic­uleuse­ment recon­sti­tué, mais aus­si tou­jours baignées d’une lumière dépas­sant les néces­sités “ vivrières ” – comme on dirait des cul­tures vivrières : nour­rir, se loger, élever sa famille, défendre sa terre, être un bon sol­dat, etc., toutes choses légitimes mais finale­ment com­munes – et, met­tant ses per­son­nages “ sous ten­sion ” (c’est une expres­sion qu’il aime bien), il avait donc offert à ses lecteurs une occa­sion de réflex­ion et de recherche spirituelle.

Avec ce nou­v­el ouvrage : Vers une nou­velle spir­i­tu­al­ité – Répons­es à une cat­a­stro­phe annon­cée, Gilles Cos­son saute délibéré­ment le pas. Il aban­donne ses créa­tures précé­dentes, prince arménien, con­sul de France à Mossoul, croisés sous les murs de Jérusalem ou aris­to­crates russ­es plongés dans la révo­lu­tion lénin­iste, il se débar­rasse de ces truche­ments qui étaient pour lui autant de masques, et avec une sincérité à la fois sym­pa­thique et décon­cer­tante nous livre ses réflex­ions sur notre société et son socle idéologique et religieux.

Aus­si bien, donc, le dire d’entrée de jeu : autant il nous est fam­i­li­er de lire un ouvrage d’aventures (roman his­torique ou énigme poli­cière), autant il nous est facile de digér­er cent pages sur le pourquoi et le com­ment des éoli­ennes ou cinq cents sur les fonde­ments de la puis­sance améri­caine, autant il nous est sans doute plus dif­fi­cile et donc plus trou­blant au sens fort du terme, de ren­tr­er dans un livre qui certes part d’observations, et pro­pose des raison­nements, mais par la nature même de son sujet et le désir prophé­tique de son auteur se ter­mine dans une con­fes­sion mys­tique qui doit plus à l’expérience per­son­nelle qu’à une “longue chaîne de raisons” cartési­ennes. Mais cela en vaut la peine, et voici pourquoi.

La con­struc­tion même du livre est sim­ple et se présente sans fard. Le titre des chapitres pro­pose les réflex­ions effec­tuées et l’angle de prise de vues : “ Le sen­ti­ment religieux, ciment des sociétés humaines du passé ”, puis “ Le nation­al­isme, ver­sion dégradée du sen­ti­ment religieux ”, enfin “ La sit­u­a­tion d’aujourd’hui : de l’intégrisme au vide ” nous offrent d’abord une réflex­ion his­torique sur l’essentiel des sociétés du passé ou du monde d’aujourd’hui. Gilles Cos­son englobe ces exposés sous un titre glob­al : “ Chronique d’une cat­a­stro­phe annon­cée ” qui insiste pré­cisé­ment et avec pes­simisme sur son car­ac­tère qu’il juge inéluctable, ou… ? La sec­onde par­tie évoque donc “ Une néces­saire refon­da­tion ”, embras­sant à la fois l’avenir cos­mique de notre monde (“La dias­po­ra des étoiles ”) ou, dans “ Un bagage inadap­té ”, l’insuffisance des reli­gions aujourd’hui vécues par les croy­ants des dif­férentes confessions.

Vers une nou­velle spir­i­tu­al­ité est un livre court : cent vingt pages, dont seule­ment qua­tre-vingts pour ces deux pre­mières par­ties. Cette con­ci­sion con­duit par­fois Gilles Cos­son à forcer le trait dans ses exposés comme dans ses juge­ments, mais rend sa démarche d’autant plus affir­mée. Le lecteur sera donc, par­fois, provo­qué par des appré­ci­a­tions per­son­nelles, pour ma part, si je souscris tout à fait aux con­damna­tions sans appel faites des “ délires idéologiques de l’entre-deux-guerres” (bolchevisme ou nazisme), aux regrets exprimés sur les hési­ta­tions de la con­struc­tion européenne, ou à la dénon­ci­a­tion du scan­daleux fos­sé entre pau­vres et nan­tis, je suis plus réservé devant la descrip­tion très “ cur­sive ” de cer­taines reli­gions, mais aus­si (il s’agit là d’une opin­ion tout à fait per­son­nelle) devant l’importance réelle en ter­mes de civil­i­sa­tion, de la con­quête de l’espace : Gilles Cos­son en fait plus qu’un “ chal­lenge ” tech­nologique, une véri­ta­ble occa­sion à utilis­er pour la refon­da­tion de l’humanité.

Sa lib­erté de juge­ment et de dis­cours va encore beau­coup plus loin dans la troisième par­tie de son livre, inti­t­ulée “ Jalons pour une spir­i­tu­al­ité nou­velle ”. Il est dif­fi­cile de ne pas être touché par le ton très per­son­nel qu’y pren­nent cer­taines pages, con­fes­sion ou poèmes, et qui mon­trent peut-être encore plus que bien des raison­nements globaux com­bi­en les répons­es à une “ cat­a­stro­phe annon­cée ” se trou­vent moins dans les sys­tèmes d’ensemble savam­ment décor­tiqués que dans les atti­tudes indi­vidu­elles à adopter quand on est con­fron­té soi-même à une “ mise sous ten­sion ” – et en par­ti­c­uli­er celles des élites dont l’auteur fustige “ la trahi­son ”, l’opportunisme ou le reniement.

Gilles Cos­son affirme que la refon­da­tion néces­saire ne peut être basée sur une reli­gion actuelle : on n’est pas obligé de le suiv­re sur ce point pour l’approuver dans sa volon­té courageuse d’en abor­der la néces­sité. Son livre n’est donc, cer­taine­ment pas, un nou­v­el Évangile déposé par quelque ange dans la souche d’un arbre mort. Ce n’est pas, ici, de secte qu’il s’agit, mais de l’affirmation d’une pen­sée per­son­nelle par un auteur de tal­ent et de la riche occa­sion don­née au lecteur de pré­cis­er la sienne.

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