Valoriser les résultats de la recherche publique

Dossier : La propriété intellectuelle : Défendre la créationMagazine N°672 Février 2012
Par Pierre ROY (79)

REPÈRES

REPÈRES
Dès sa créa­tion, le CNRS s’est attaché à pro­téger des résul­tats stratégiques pour la France. En 1937, la Caisse nationale de la recherche sci­en­tifique, précurseur du CNRS, a équipé un lab­o­ra­toire de syn­thèse atom­ique à Ivry pour per­me­t­tre à Frédéric Joliot-Curie de pour­suiv­re ses travaux sur l’atome. En 1939, ceux-ci s’en­ga­gent dans une voie promet­teuse qui con­duira à la décou­verte de la fis­sion dès l’été. H. Laugi­er s’op­pose F. Joliot-Curie sur la prise de brevets. Ce dernier veut faire don de sa décou­verte à l’hu­man­ité, comme l’avaient fait les Curie. Mais le futur directeur du CNRS parvient tout de même à le per­suad­er du bien-fondé d’un sys­tème qui per­met de financer la recherche.

Le CNRS, actuelle­ment pre­mier organ­isme de recherche en Europe, a de longue date inté­gré les prob­lé­ma­tiques de val­ori­sa­tion et de pro­priété intellectuelle.

Pre­mière spin off
En mai 1939, le CNRSA dépose trois brevets con­cer­nant un dis­posi­tif de pro­duc­tion « d’énergie » (fis­sion atom­ique), un procédé de sta­bil­i­sa­tion du dis­posi­tif précé­dent (mod­éra­teur de neu­trons), et des per­fec­tion­nements aux charges explo­sives (bombe atom­ique, rapi­de­ment aban­don­né). Pour exploiter ces brevets, le CNRS crée en févri­er 1940 une de ses pre­mières fil­iales, la Société anonyme pour l’exploitation de l’énergie atom­ique (SPEDEN), qui pré­fig­ure le CEA créé après la guerre. Ces brevets seront exploités jusqu’au début des années 1960.

Fondé en 1939, il procède du regroupe­ment de plusieurs insti­tu­tions antérieures ayant la PI au cœur de leurs préoc­cu­pa­tions. Citons la Caisse de la recherche sci­en­tifique (CRS), créée en 1901 afin « d’aider les savants capa­bles de réalis­er les décou­vertes appelées à délivr­er l’humanité des fléaux qui la déci­ment », ou encore l’Office nation­al de la recherche sci­en­tifique et des inven­tions (ONRSI), qui inté­grait déjà la Com­mis­sion supérieure des inven­tions (CSI) fondée en 1922.

L’ONRSI est rem­placé en 1938 par le CNRSA (Cen­tre nation­al de la recherche sci­en­tifique appliquée), dont la mis­sion est de « dévelop­per et coor­don­ner spé­ciale­ment la recherche sci­en­tifique appliquée au pro­grès indus­triel, d’aider les inven­teurs, d’assurer la liai­son entre les ser­vices publics et les lab­o­ra­toires, d’apporter son con­cours à toute recherche d’intérêt col­lec­tif même entre­prise par un groupe industriel ».

Naissance de l’ANVAR

Le CNRS a de longue date inté­gré les prob­lé­ma­tiques de val­ori­sa­tion et de PI

Au cours des trente glo­rieuses, si le développe­ment de la con­nais­sance reste l’objectif prin­ci­pal, la val­ori­sa­tion est tou­jours présente avec la créa­tion en 1967 du pre­mier insti­tut nation­al jamais créé au sein du CNRS, l’INVAR, Insti­tut nation­al de la val­ori­sa­tion, qui devien­dra ensuite l’ANVAR et aura à ses débuts la mis­sion de gér­er la PI des étab­lisse­ments de recherche. En 1982, la loi d’orientation et de pro­gram­ma­tion de la recherche (LOPR) met au cœur des mis­sions des étab­lisse­ments de recherche publique le trans­fert de tech­nolo­gie, juste après celui de développe­ment et de pro­grès de la recherche dans tous les domaines de la connaissance.

En 1997, un rap­port de la Cour des comptes met en évi­dence des dis­par­ités entre les dif­férentes straté­gies d’établissement en matière de PI. Ain­si, cer­tains avaient pour poli­tique d’abandonner aux parte­naires indus­triels la PI des résul­tats trou­vés dans le cadre des recherch­es menées en col­lab­o­ra­tion, en con­trepar­tie en cas d’exploitation com­mer­ciale d’un principe de per­cep­tion d’une « juste redevance ».

Le taux de chercheurs ayant pub­lié au moins un brevet dans l’année triple entre 2000 et 2008

Les rap­por­teurs soulig­nent le dan­ger de cette poli­tique d’abandon des droits de PI. L’année suiv­ante, le rap­port de mis­sion sur la tech­nolo­gie et l’innovation rédigé par Hen­ri Guil­laume sig­nale d’autres freins au développe­ment tech­nologique de la France. Par exem­ple, les chercheurs et les lab­o­ra­toires, éval­ués presque unique­ment selon des critères académiques ou peu intéressés aux résul­tats, sont insuff­isam­ment incités au dépôt de brevets.

Le brevet, un marqueur incontournable

Ces obser­va­tions ont con­duit à une évo­lu­tion du cadre poli­tique et juridique de la val­ori­sa­tion. Ain­si le CNRS, après con­cer­ta­tion avec les indus­triels, fixe une nou­velle doc­trine qui a pré­valu depuis, fondée sur le principe de copro­priété des résul­tats des recherch­es menées dans un cadre col­lab­o­ratif et le verse­ment d’un juste retour vers les étab­lisse­ments en cas d’exploitation de ces résultats.

50 mil­lions d’euros de recettes
Le CNRS pos­sède un porte­feuille de 4382 familles de brevets act­ifs et a pub­lié 495 nou­veaux brevets en 2010. Sur ses brevets et ses logi­ciels, le CNRS compte 864 licences actives soit un taux d’exploitation moyen de 20% fin 2010. Tou­jours en 2010, plus de 100 nou­veaux accords d’exploitation (licences sur brevet, logi­ciel et savoir­faire, options, ces­sions) ont été signés. L’exploitation de cette PI a rap­porté plus de 50 M€ en 2010. De même, fin 2010, 593 entre­pris­es inno­vantes ont été créées depuis 1999 (dont 59 en 2010), dont plus de la moitié exploite de la PI issue des unités du CNRS.

L’intéressement des chercheurs fonc­tion­naires est l’un des plus favor­ables par com­para­i­son avec les autres pays, avec 50 % des retours (après déduc­tion des frais de PI) en dessous d’un pla­fond (70 k€ env­i­ron) et 25% au-delà. Il est inscrit dans la loi. La mise en place de la LOLF pour les étab­lisse­ments de recherche fait du nom­bre de brevets déposés, ain­si que du mon­tant des rede­vances perçues, un des prin­ci­paux indi­ca­teurs du tableau de bord de ces établissements.

Enfin, l’évolution des critères d’évaluation des chercheurs et des unités sous l’impulsion de l’AERES per­met de faire recon­naître un brevet inter­na­tion­al au même titre qu’une pub­li­ca­tion du niveau le plus élevé. L’efficacité de ces mesures sur la mobil­i­sa­tion des chercheurs a pu être mesurée. Le taux de chercheurs (CNRS, hors SHS et math­é­ma­tiques) ayant pub­lié au moins un brevet dans l’année pro­gresse de 4,1% à 12,5% entre 2000 et 2008. De même, trois étab­lisse­ments publics de recherche (CEA, CNRS, IFP) se classent en 2010 par­mi les dix pre­miers déposants français de brevets auprès de l’INPI.

Professionnalisation du transfert de technologie

Un mil­liard d’euros d’investissement
Dans le cadre du pro­gramme d’investissement d’avenir, un fonds nation­al de val­ori­sa­tion doté d’un mil­liard d’euros est créé en 2010 pour per­me­t­tre de financer la créa­tion début 2012 d’une douzaine de sociétés accéléra­tri­ces de trans­fert de tech­nolo­gie (SATT) sur dix ans. Les action­naires en seront exclu­sive­ment la CDC et les étab­lisse­ments publics de recherche. Le mod­èle économique vise l’équilibre financier à dix ans grâce aux rede­vances ver­sées par les indus­triels qui exploitent la PI générée au sein de la recherche publique.

Une spé­ci­ficité du sys­tème français, fondée en grande par­tie sur les unités mixtes de recherche, con­duit en général à partager la PI entre plusieurs étab­lisse­ments, ren­dant plus com­plex­es les inter­ac­tions avec le monde économique. Ce prob­lème est réglé par le décret dit du « man­dataire unique » (2009) en don­nant à celui qui a l’usage des locaux (hébergeur) le man­dat pour exercer l’ensemble des droits et oblig­a­tions (dépôt, exten­sion, négo­ci­a­tion, sig­na­ture) et représen­ter l’ensemble des copropriétaires.

Mais le brevet n’est pas tout. Lorsque les résul­tats sont issus de lab­o­ra­toires à la pointe de la recherche dite académique, ceux-ci sont en général très en amont et néces­si­tent un accom­pa­g­ne­ment afin de réduire la val­lée de la mort qui sépare l’invention de l’innovation.

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