Vacances

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°677 Septembre 2012Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Un tra­vailleur est générale­ment en con­gé mais un écol­i­er est tou­jours en vacances. Le mot a depuis l’école une con­no­ta­tion si joyeuse que l’on oublierait presque qu’une vacance, c’est d’abord le vide. Si vos vacances vous ont per­mis de faire le vide, tout au moins dans votre esprit, essayez de les pro­longer et d’écouter des musiques qui ne vous sont pas famil­ières en faisant table rase de toute référence, comme si vous entendiez de la musique pour la pre­mière fois.

Telemann et autres baroques

Tele­mann n’avait pas le génie de Bach mais il s’appliqua à maîtris­er de mul­ti­ples instru­ments, dont la vio­le de gambe et le haut­bois et son œuvre – pro­lifique – n’est pas exempte de pièces qui méri­tent l’écoute pour leur var­iété har­monique et mélodique, bien supérieure à celle de la musique de Vival­di. Ain­si, Lorenz Duftschmid et son Armon­i­co Trib­u­to Aus­tria ont enreg­istré deux Con­cer­tos et qua­tre Sonates pour vio­le de gambe1. C’est bien tourné, très var­ié, et si cela ne vaut pas Bach, bien sûr, cela s’écoute avec plaisir. Un autre disque met en valeur, lui, le haut­bois, joué par Benoît Lau­rent qui dirige l’ensemble Lin­gua Fran­ca2, avec une Par­ti­ta de Tele­mann et des pièces de Johann Fis­ch­er, Fasch et Müller. Con­traire­ment à la musique de Bach, celle-ci peut s’entendre comme musique de fond, avec un bon roman polici­er, dernier pro­longe­ment de vos vacances.

CD de Telemann, Fash, Fischer et MüllerThe Har­mo­nious Soci­ety of Tick­le- Fid­dle Gen­tle­men s’est employée à ressus­citer l’œuvre de J. C. Pepusch, com­pos­i­teur anglais moins con­nu que Pur­cell et Haen­del. À l’écoute des six Con­cer­tos (pour haut­bois, vio­lon, trompette, vio­lon­celle et bas­son) et des deux Ouver­tures dont celle de l’Opéra des Gueux, réu­nis sous le titre Con­cer­tos and Over­tures for Lon­don3, on prend con­science de l’extraordinaire per­méa­bil­ité qui exis­tait entre les musiques des divers pays d’Europe : la musique de Pepusch, très agréable, est imprégnée de Vival­di et Tele­mann, entre autres.

Deux siè­cles aupar­a­vant dis­parais­sait Johannes Ock­eghem, pre­mier chapelain de la chapelle royale sous Charles VII, Louis XI et Charles VIII. Un disque réu­nit les hom­mages que lui ont con­sacrés cinq musi­ciens de son temps : Pierre de La Rue, Jacob Obrecht, Josquin Desprez, Antoine Bus­noys et Johannes Lupus, chan­tés par l’ensemble Dia­bo­lus in Musi­ca dirigé par Antoine Guer­ber4. Poly­phonies très sub­tiles et savantes qui témoignent de l’extraordinaire vital­ité de la créa­tion musi­cale de la Renais­sance et d’où se détache le Requiem « Nymphes des Bois » du grand Josquin Desprez.

En enreg­is­trant les Sonates pour clavecin obligé et vio­lon de Bach avec un vio­lon baroque, Chiara Ban­chi­ni et Jörg-Andreas Böt­tich­er5 ont rompu avec la lignée des ver­sions précé­dentes dont la ver­sion his­torique de Menuhin. C’est un par­ti pris, qui agac­era les ten­ants d’un Bach intem­porel et qui intéressera les afi­ciona­dos de la musique baroque d’autant que Chiara Ban­chi­ni est la spé­cial­iste iné­galée du vio­lon baroque.

Contemporains

Kaf­ka inspire nos con­tem­po­rains. Il nous a été don­né d’assister à la pre­mière du Château, opéra de Karol Bef­fa, extra­or­di­naire à bien des égards, mais nous atten­drons son édi­tion discographique pour en parler.

CD de Michaël LEVINASMichaël Lev­inas, lui, a écrit un opéra sur La Méta­mor­phose, com­mande de l’Opéra de Lille, enreg­istré par huit solistes et l’Ensemble Ictus dirigé par Georges-Elie Octors, et précédé d’un pro­logue, Je, tu, il, de Valère Nova­ri­na6. Il est dif­fi­cile de résumer une œuvre d’une telle ambi­tion et d’une incroy­able richesse, qui traite la langue française comme une musique et la musique comme une langue, et qui entend faire de La Méta­mor­phose une métaphore baignée de références bibliques et annonçant la Shoah. On dira sim­ple­ment qu’elle se situe, pour la musique, dans la lignée de Stock­hausen et de son célèbre Stim­mung, et qu’elle exige de l’auditeur un grand effort d’écoute.

On con­naît la pas­sion pour l’Amérique d’Aubert Leme­land, dont on a évo­qué notam­ment dans ces colonnes les Songs for the Dead Sol­diers, écrits à la mémoire des sol­dats améri­cains tombés en Nor­mandie, et que pub­lie l’éditeur Skar­bo, entre­prise de notre cama­rade Jean-Pierre Férey (75). Un album rassem­ble plusieurs de ses œuvres, dont Oma­ha pour voix de femme, Élégie à la mémoire de Samuel Bar­ber, Bat­tle Pieces, ain­si que le texte lu de son réc­it Mon chien, ma musique améri­caine et moi7. La musique de Leme­land est très inspirée par celles de Bar­ber et de Cop­land et, très élaborée, notam­ment en matière d’orchestration, elle aspire à l’émotion et n’est rien moins qu’intellectuelle, à cent lieues de celle de Lev­inas et des dis­ci­ples de l’Ircam. Un com­pos­i­teur français injuste­ment mécon­nu, et qui mérite la découverte.

X45 : Les Dixieland Seniors

X45 : les Dixieland Seniors

Tous les pre­miers mer­cre­dis de chaque mois se pro­duisent au Petit Jour­nal Mont­par­nasse les Dix­ieland Seniors, issus de la for­ma­tion légendaire de la pro­mo 45, avec les cama­rades François May­er (trom­bone) qui la dirige et Jacques Napoly (ban­jo) qu’ont rejoints qua­tre autres excel­lents musi­ciens. Leur nou­veau disque8 témoigne d’une vital­ité jamais démen­tie et d’une musi­cal­ité dans la droite ligne des grands de la tra­di­tion Nou­velle-Orléans, Jel­ly Roll Mor­ton, King Oliv­er et les autres, avec une douzaine de stan­dards dont Alexander’s Rag­time Band, Savoy Blues, West End Blues, et l’ineffable tra­di­tion­nel Just a clos­er walk with thee. Ce n’est pas de la nos­tal­gie en boîte mais du bon jazz, opti­miste, vivant et qui con­sole de bien des musiques dis­tin­guées et pré­ten­tieuses. Vivent les vacances !

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1. 1 CD ARCANA
2. 1 CD RICERCAR.
3. 1 CD RAMEE
4. 1 CD AEON.
5. 2 CD ZIG-ZAG
6. 1 CD AEON.
7. 3 CD SKARBO
8. 1 CD DIXIE (06 09 81 86 00).

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