Une nouvelle ambition portuaire pour la France

Dossier : La passion de la merMagazine N°646 Juin 2009
Par Bruno VERGOBBI (74)

REPÈRES
Les ports français ont traité en 2007 un traf­ic de 4 mil­lions de con­teneurs con­tre plus de 10 pour cha­cun des pays voisins (Bel­gique, Pays-Bas, Alle­magne, Espagne, Ital­ie). Leur part de marché en Europe con­ti­nen­tale a chuté de 12 % à 6% depuis 1990 pen­dant que le traf­ic mon­di­al aug­men­tait de 9,8 % en moyenne par an con­tre 4,2 % pour l’ensemble du trans­port mar­itime international.

Depuis 1966, les grands ports français sont gérés par des étab­lisse­ments publics de l’É­tat en charge des fonc­tions régali­ennes et d’amé­nageur mais aus­si de l’ex­ploita­tion des out­il­lages publics. La créa­tion des ports autonomes a indis­cutable­ment per­mis de répon­dre aux défis indus­triels et énergé­tiques des trente glorieuses.


Décharge­ment de con­teneurs à Dunkerque.
© Grand port mar­itime de Dunkerque

Mais, trop cen­trée sur les acteurs publics, elle a occulté la néces­sité d’avoir un tis­su d’en­tre­pris­es privées prestataires de ser­vices suff­isam­ment per­for­mantes pour affron­ter sans pro­tec­tion de l’É­tat la con­cur­rence des ports étrangers. Ses lim­ites ne sont apparues que pro­gres­sive­ment et se sont matéri­al­isées par une perte con­tin­ue de parts de marché sur le seg­ment le plus dynamique et le plus volatil : les conteneurs.

La con­teneuri­sa­tion a en effet mod­i­fié rad­i­cale­ment les con­di­tions de con­cur­rence entre ports.

À la dif­férence des vracs sou­vent ” cap­tifs” des ports pour des raisons d’a­chem­ine­ment ter­restre (à l’ex­em­ple des usines pétrochim­iques ou sidérurgiques implan­tées sur les ports), les flux de con­teneurs se dépla­cent facile­ment d’un port sur un autre. Le port n’est qu’un mail­lon d’une chaîne inter­modale qui s’adapte en fonc­tion des coûts respec­tifs de l’a­chem­ine­ment ter­restre, du trans­port mar­itime et du pas­sage por­tu­aire, l’im­mo­bil­i­sa­tion du navire liée à une pro­duc­tiv­ité ou une fia­bil­ité insuff­isante devenant une com­posante de ce coût de pas­sage. Le ralen­tisse­ment enreg­istré depuis la crise finan­cière de l’au­tonome 2008 appa­raît comme un réa­juste­ment après cinq années de crois­sance débridée de 12 % pour le traf­ic mon­di­al et 15 % pour celui entre l’Asie et l’Eu­rope qui intéresse plus directe­ment les ports français. La crois­sance révisée à la baisse est d’en­v­i­ron 6% par an pour les échanges d’i­ci 2013 entre l’Asie et l’Eu­rope du Nord (8 % pour la Méditer­ranée). Com­bi­en de secteurs économiques aimeraient avoir de telles per­spec­tives en péri­ode de récession !

Le con­teneur est en effet l’outil de la mon­di­al­i­sa­tion de l’é­conomie. Il a favorisé la mon­di­al­i­sa­tion en abais­sant le coût du trans­port et en réduisant ses risques. Cette mon­di­al­i­sa­tion a elle-même ali­men­té la crois­sance spec­tac­u­laire du traf­ic et con­tin­uera à le faire.

Une compétitivité obérée par un statut inadapté

Des investisse­ments à la traîne
De 2000 à 2006, les ports autonomes mét­ro­pol­i­tains ont investi 1,07 mil­liard d’eu­ros en infra­struc­tures dont la moitié pour Port 2000 au Havre con­tre 1,8 pour les ports belges.

La perte de com­péti­tiv­ité des grands ports français s’ex­plique prin­ci­pale­ment par trois fac­teurs : une organ­i­sa­tion des ter­minaux inadap­tée, une insuff­i­sance d’in­vestisse­ments et une défi­cience des trans­ports mas­si­fiés de pré et post-achem­ine­ment d’au­tant plus cri­tique qu’ils souf­frent d’un hin­ter­land proche beau­coup moins dense en pro­duc­teurs-con­som­ma­teurs que celui de Rot­ter­dam, Anvers, Gênes ou Barcelone.

La réforme du statut des dock­ers de 1992 a amélioré con­sid­érable­ment la per­for­mance de la manu­ten­tion por­tu­aire. Mais le main­tien dans le champ de com­pé­tence des ports autonomes des out­il­lages de quai n’a pas per­mis d’at­tein­dre le niveau de per­for­mance des autres ports européens.

Un anachronisme


Le port du Havre
© Grand port du Havre

L’é­clate­ment des respon­s­abil­ités entre l’en­tre­prise de manu­ten­tion employ­ant les dock­ers et le port autonome employ­ant les gru­tiers, sous des régimes de tra­vail dif­férents, est un hand­i­cap, car il ne per­met pas d’ap­porter des répons­es tech­niques et man­agéri­ales opti­misées aux prob­lèmes de manu­ten­tion, par­ti­c­ulière­ment com­pliqués sur les ter­minaux à con­teneurs compte tenu de la com­plex­ité des flux et du coût d’im­mo­bil­i­sa­tion des navires. C’est devenu un anachro­nisme des ports français2, incom­préhen­si­ble pour leurs clients arma­teurs habitués à négoci­er avec des opéra­teurs de manu­ten­tion ayant une maîtrise com­plète de leurs moyens tech­niques et de leurs ressources humaines.

L’in­suff­i­sance d’in­vestisse­ments est pour par­tie un corol­laire du point précé­dent, l’oblig­a­tion de recourir à des per­son­nels du port autonome pour la con­duite des por­tiques ayant freiné l’in­vestisse­ment privé sur les ter­minaux alors que des sommes con­sid­érables étaient investies dans les ter­minaux à con­teneurs des pays voisins.

Les investisse­ments des ports autonomes en out­il­lages de quai ont dimin­ué leur capac­ité de finance­ment des infra­struc­tures, le phénomène étant ampli­fié par la faib­lesse rel­a­tive des con­tri­bu­tions de l’État.

Le con­teneur est l’outil de la mondialisation

La route assure aujour­d’hui 85% des achem­ine­ments de con­teneurs mar­itimes con­tre 7,5% seule­ment pour le fer et pour la voie d’eau. Bien qu’en crois­sance encour­ageante depuis dix ans, le poten­tiel de la voie d’eau est lim­ité par l’ab­sence d’in­ter­con­nex­ion des bassins flu­vi­aux français avec ceux desser­vant l’Eu­rope. La réal­i­sa­tion de la liai­son Seine Nord ouvre de nou­velles per­spec­tives à l’hori­zon 2015.

Le fer s’est effon­dré depuis dix ans, sa part modale au Havre étant tombée de 16,9 % en 1995 à 4,4 % en 2006. L’ar­rivée de nou­veaux opéra­teurs dans le cadre de l’ou­ver­ture du marché du fret fer­rovi­aire devrait per­me­t­tre de dévelop­per une offre diver­si­fiée et com­péti­tive, à la con­di­tion toute­fois que l’in­fra­struc­ture fer­rovi­aire puisse offrir aux trains de fret, qui pâtis­sent du développe­ment des trans­ports régionaux de pas­sagers, les sil­lons nécessaires.

Un préjudice pour l’économie

Le rôle des politiques
L’im­por­tance des ports pour l’é­conomie nationale avait été bien appréhendée dans la France plan­i­fi­ca­trice de l’après-guerre. L’amé­nage­ment des grandes plates-formes por­tu­aires pour l’im­plan­ta­tion les ” pieds dans l’eau” d’une indus­trie lourde dev­enue dépen­dante des impor­ta­tions de matières pre­mières, à l’ex­em­ple de la sidérurgie à Dunkerque et Fos, a con­solidé notre tis­su indus­triel même si les chocs pétroliers ont empêché de tir­er pleine­ment par­ti de ces infra­struc­tures excep­tion­nelles. A con­trario, les respon­s­ables poli­tiques français ont mis du temps à percevoir les enjeux pour les ports de la mon­di­al­i­sa­tion de l’é­conomie et les oppor­tu­nités ou men­aces qui en résul­tent. La déci­sion de réformer le sys­tème por­tu­aire français est à ce titre salu­taire même si on peut regret­ter qu’elle soit arrivée aus­si tardivement.

Cette faib­lesse struc­turelle des ports français a des con­séquences lour­des pour l’é­conomie nationale, allant bien au-delà de la perte d’emplois sur les ports. C’est une perte con­sid­érable de valeur ajoutée logis­tique, les plates-formes de dis­tri­b­u­tion des grands impor­ta­teurs s’im­plan­tant de manière priv­ilégiée à prox­im­ité des ports les plus performants.

Con­séquence directe de la mon­di­al­i­sa­tion de l’é­conomie et des nou­veaux proces­sus de pro­duc­tion, la logis­tique est en effet une activ­ité stratégique à valeur ajoutée de plus en plus élevée qui atténue dans nos économies occi­den­tales l’im­pact négatif des délo­cal­i­sa­tions industrielles.

La France n’ac­cueille que 5% des cen­tres de dis­tri­b­u­tion de pro­duits asi­a­tiques, les Pays-Bas 56%, l’Alle­magne 22% et la Bel­gique 12%. La con­tri­bu­tion de l’emploi logis­tique au PIB est de 6,2% en France con­tre 10,9% aux Pays-Bas, 9% en Bel­gique et 7% en Allemagne. 

Une réforme indispensable

La loi du 4 juil­let 2008 recen­tre les ports autonomes devenus Grands Ports mar­itimes sur leurs mis­sions régali­ennes et d’amé­nageur, ceux-ci ayant oblig­a­tion de trans­fér­er d’i­ci deux ans l’essen­tiel de leurs out­il­lages vers les opéra­teurs de ter­minaux. C’est le mod­èle de port land­lord adop­té par la qua­si-total­ité des pays d’Eu­rope con­ti­nen­tale, d’abord par les pays de tra­di­tion han­séa­tique puis en 1992–1994 par l’Es­pagne et l’I­tal­ie. La loi apporte égale­ment une mod­i­fi­ca­tion impor­tante à la gou­ver­nance de ces ports avec la mise en place d’un direc­toire et d’un con­seil de sur­veil­lance plus restreint que l’actuel con­seil d’ad­min­is­tra­tion. Elle clar­i­fie les respon­s­abil­ités respec­tives de l’au­torité por­tu­aire publique, por­teuse d’une vision stratégique à moyen et long terme, et des opéra­teurs privés prestataires de ser­vices aux navires (pilotage, remorquage…) ou à la marchan­dise (manu­ten­tion, stockage…).

L’éclatement des respon­s­abil­ités est un handicap

Cette clar­i­fi­ca­tion est d’au­tant plus urgente que le paysage des opéra­teurs de manu­ten­tion a con­sid­érable­ment changé en quelques années, tout par­ti­c­ulière­ment dans le secteur des con­teneurs Cette réforme offre aux grands ports français l’op­por­tu­nité de rec­oller au pelo­ton des meilleurs ports européens en copi­ant un mod­èle qui a fait ses preuves. Elle doit per­me­t­tre dès la reprise économique de val­oris­er les atouts des ports français et en par­ti­c­uli­er leur acces­si­bil­ité nau­tique excep­tion­nelle per­me­t­tant d’ac­cueil­lir les porte-con­teneurs de dernière généra­tion, à con­di­tion, bien sûr, de réalis­er les investisse­ments de capac­ité indis­pens­ables tant sur ces ports que sur les infra­struc­tures nationales fer­rovi­aires et fluviales.

Un secteur en forte concentration
En l’e­space de dix ans, une con­cen­tra­tion très impor­tante s’est opérée en matière de con­teneurs, les entre­pris­es locales ayant lais­sé la place à des opéra­teurs “globaux” présents sur tous les con­ti­nents. PSA (Sin­gapour), APMT (Maer­sk), HPH (Hongkong) et DPW (Dubaï) assurent à eux qua­tre 30% de la manu­ten­tion mon­di­ale des con­teneurs. Leur assise finan­cière (PSA et DPW sont détenus par des fonds sou­verains!) ou leur lien avec des arma­teurs leur con­fèrent des capac­ités d’in­vestisse­ments con­sid­érables et un pou­voir de négo­ci­a­tion redoutable.

 
1.
Mar­seille, Le Havre, Dunkerque, Nantes Saint- Nazaire, Rouen, La Rochelle et Bordeaux.
2. Les seules excep­tions étant celle de Dunkerque, qui a mis en place des opéra­teurs inté­grés dès 1999 et, dans une moin­dre mesure, les ter­minaux à con­teneurs du Havre où des salariés de l’établissement pub­lic sont « mis à dis­po­si­tion » des opéra­teurs privés qui ont financé les portiques.

Poster un commentaire