Une brève histoire de l’aérosurveillance

Dossier : L'espaceMagazine N°623 Mars 2007Par Georges ATTAL
Par David DORNBUSCH (89)

La guerre de 14–18 fut la pre­mière occa­sion de voler au-des­sus du ter­ri­toire de l’ennemi pour l’observer depuis la troi­sième dimen­sion, la jumelle ayant sa limite. La suite, nous la connais­sons : désir de » tou­jours plus » ? Pro­grès ? La pho­to­gra­phie aérienne est née de notre envie de voir tou­jours plus loin, avec de plus en plus de détails.

La pho­to­gra­phie aérienne a connu un déve­lop­pe­ment rapide grâce à sa liai­son avec la pho­to­gram­mé­trie et à la mise au point par Georges Poi­vil­liers et Hen­ri Rous­silhe (1898) de la « sté­réo­pho­to­gram­mé­trie » aérienne qui a réso­lu le pro­blème de la res­ti­tu­tion en uti­li­sant un couple de pho­to­gra­phies aériennes asso­ciées et a mis en oeuvre la vision sté­réo­sco­pique.

La vue aérienne est à l’o­ri­gine de la car­to­gra­phie qui a ser­vi des dis­ci­plines très diverses, telles que l’ar­chéo­lo­gie ou géo­mor­pho­lo­gie, laquelle a fait l’ob­jet d’une publi­ca­tion de l’I­GN célèbre en son temps : Atlas des formes du relief.

Dès 1915, un obser­va­teur mili­taire pou­vait com­plé­ter grâce à la pho­to­gra­phie aérienne le ren­sei­gne­ment visuel frag­men­taire par l’i­mage exacte du champ de bataille, oblique et pano­ra­mique, puis ver­ti­cale avec recou­pe­ment (prises de vues tenant compte de la vitesse de dépla­ce­ment de l’a­vion et du temps d’es­pa­ce­ment des prises).

Jus­qu’à la Seconde Guerre mon­diale, le maté­riel ne fai­sait appel qu’aux prin­cipes clas­siques de la pho­to­gra­phie, géné­ra­le­ment au for­mat 24 x 24 à maga­sins à mains pour les vues obliques, pano­ra­miques et fixes, en mon­tage dit ven­tral. Des esca­drons de recon­nais­sance ont été ain­si créés. Ils dis­po­saient de centres pho­to per­met­tant aux inter­pré­ta­teurs spé­cia­le­ment for­més de four­nir aux états-majors de pré­cieuses sources de ren­sei­gne­ments, allant de la cou­ver­ture de base au 120 000 à la cou­ver­ture d’i­ti­né­raires pour déce­ler les mou­ve­ments de l’ennemi.

Tou­te­fois, le » temps réel » n’exis­tait pas encore et les infor­ma­tions de la mis­sion-pho­to arri­vaient une heure après l’at­ter­ris­sage de l’aéronef.

Les per­fec­tion­ne­ments méca­niques et la vitesse crois­sante des avions ont ren­du caduque la tech­nique tra­di­tion­nelle pho­to­gra­phique grâce au rem­pla­ce­ment des plaques pho­to­sen­sibles par des maga­sins à film, télé­com­man­dés auto­ma­ti­que­ment depuis l’o­pé­ra­teur à bord. En paral­lèle, l’é­vo­lu­tion des émul­sions du sup­port a per­mis une amé­lio­ra­tion très sen­sible de leur rapi­di­té ain­si que de leur sen­si­bi­li­té aux infra­rouges et aux radia­tions émises par divers colo­rants (chi­miques ou natu­rels). La camé­ra pou­vait déjà, par exemple, faire le dis­tin­guo entre le vert chlo­ro­phyl­lien et le vert de pein­ture de camou­flage. L’élec­tro­nique a appor­té dans les années cin­quante une for­mi­dable évo­lu­tion des maté­riels pho­to­gra­phiques. Pro­gres­si­ve­ment, la déno­mi­na­tion » appa­reils de prises de vues » a lais­sé place à la » camé­ra de prises de vues « .

Les escadres d’a­vions d’ob­ser­va­tion trou­vèrent la pleine mesure de leur emploi lors des guerres de Corée et dans les reliefs de l’At­las algé­rien, rem­pla­çant petit à petit les postes fixes d’ob­ser­va­tion (« obser­va­toires »), cibles prio­ri­taires de l’en­ne­mi. Des offi­ciers spé­cia­le­ment for­més à l’ob­ser­va­tion aérienne et à la topo­gra­phie pou­vaient recon­naître et trans­mettre les objec­tifs de com­bat et les mou­ve­ments adverses en temps réel, par moyen radio, aux postes de com­man­de­ment ain­si que les coor­don­nées pré­cises de tir ou de bombardement.

Dans ce domaine, la » guerre » d’Al­gé­rie a plus pré­ci­sé­ment été un affron­te­ment de type gué­rilla dans lequel les dépla­ce­ments de l’en­ne­mi s’or­ga­ni­saient en petites uni­tés extrê­me­ment mobiles, évo­luant sou­vent sous l’as­pect de vil­la­geois. L’a­vion d’ob­ser­va­tion, constam­ment en dépla­ce­ment, avait des dif­fi­cul­tés pour obte­nir des infor­ma­tions pré­cises sur les uni­tés ennemies.

Cette gué­rilla a pris un tour­nant déci­sif grâce aux pro­grès en matière d’in­té­gra­tion des maté­riels, qui ont per­mis à l’a­via­tion fran­çaise d’é­qui­per pour la pre­mière fois des héli­co­ptères avec camé­ras embar­quées, les­quelles se sont révé­lées redou­tables de sou­plesse d’o­pé­ra­tion et de pré­ci­sion, alliant ain­si dans une même mis­sion l’ob­ser­va­tion, la détec­tion, l’i­den­ti­fi­ca­tion et l’in­ter­ven­tion, avec le suc­cès mili­taire que l’on connaît.

Ce mode d’o­pé­ra­tion a fait école puisque l’ar­mée amé­ri­caine l’a uti­li­sé en masse au Viêt­nam, quoique avec une effi­ca­ci­té toute rela­tive due au milieu tro­pi­cal (jungle épaisse) radi­ca­le­ment dif­fé­rent du dje­bel algérien.

Dans les années soixante-dix, la DGA1 a été une nou­velle fois pré­cur­seur d’un moyen d’ob­ser­va­tion pas­sif du champ de bataille, » Le drone d’ob­ser­va­tion « , plus connu aujourd’­hui sous le nom d’UAV (Unma­ned Aerial Vehicle), inven­tion qu’on attri­bue sou­vent à tort aux Israé­liens. Ceux-ci ont été, en revanche, les pre­miers à opé­rer sur le champ de bataille des sec­tions d’UAV, déve­lop­pés et pro­duits par IAI (Israel Air­craft Industry).

Le concept de drone d’ob­ser­va­tion a été et res­te­ra pour long­temps encore la réponse à la vul­né­ra­bi­li­té des héli­co­ptères en mis­sion d’ob­ser­va­tion opé­rant sur le champ de bataille. Le drone épargne des vies humaines et aug­mente la fia­bi­li­té de la col­lecte d’in­for­ma­tions. Le pre­mier drone d’ob­ser­va­tion a été déve­lop­pé sous le nom « d’Al­ba­tros » à la fin des années soixante-dix par la Divi­sion balis­tique et spa­tiale de l’ex-Aéro­spa­tiale. Il se pré­sen­tait sous forme d’un petit avion à cel­lule cylin­drique. Celui-ci inté­grait en fron­tal une camé­ra vidéo à tube mono­chrome de haute réso­lu­tion déve­lop­pée par Aaton, lea­der fran­çais de camé­ras ciné­ma­to­gra­phiques, cou­plée à un zoom vidéo déve­lop­pé par la firme Angé­nieux. L’en­semble élec­tro-optique était fixé à un méca­nisme d’o­rien­ta­tion évo­luant en site et azi­mut et télé­com­man­dé depuis le sol grâce à un récep­teur UHF. À l’in­té­rieur de la cel­lule de l’a­vion avait été ins­tal­lé un émet­teur hyper­fré­quence (1,5 GHz) cou­plé à une antenne omni­di­rec­tion­nelle per­met­tant la trans­mis­sion en temps réel des images à une sta­tion sol. Ce petit aéro­nef, long d’un mètre qua­rante, était pro­pul­sé par un moteur à deux temps, de type ton­deuse à gazon, et une hélice en bois.

Les résul­tats, à l’é­poque, n’ont pas convain­cu les res­pon­sables de la DGA et le pro­jet » Alba­tros » a été aban­don­né en 1982. Mais deux années plus tard, une autre filiale du groupe Aéro­spa­tiale, Élec­tro­nique Aéro­spa­tiale, eut l’i­dée géniale de récu­pé­rer les deux pro­to­types Alba­tros pour en faire un pod d’ob­ser­va­tion des­ti­né aux » appli­ca­tions civiles » et bap­ti­sé « sys­tème Atal « . L’en­semble avait été recon­fi­gu­ré en un pod cylin­drique avec les mêmes fonc­tions de visua­li­sa­tion et de trans­mis­sion que celles de l’Al­ba­tros. On pou­vait fixer ce pod à l’ex­té­rieur de la cel­lule d’un avion ou d’un héli­co­ptère. Un boî­tier de contrôle camé­ra et un sys­tème de trans­mis­sion vidéo étaient ins­tal­lés pour l’o­pé­ra­teur en cabine. 

Le pre­mier client fut le fameux CRIR, Centre régio­nal d’in­for­ma­tion rou­tière de Cré­teil, qui dis­po­sait à l’é­poque d’un avion Dor­nier 128.

Le PC de gen­dar­me­rie de Ros­ny-sous- Bois rece­vait les images du sys­tème Atal et infor­mait en temps réel les auto­mo­bi­listes pari­siens des condi­tions de cir­cu­la­tion. Le suc­cès fut immé­diat, très vite popu­la­ri­sé par les sta­tions de radio (Europe 1) qui ont contri­bué ulté­rieu­re­ment à la nais­sance de » Bison futé « .

D’autres orga­nismes » para­ci­vils » se sont mon­trés très inté­res­sés par le nou­veau concept de pod d’aé­ro­sur­veillance. La Gen­dar­me­rie royale maro­caine fut le pre­mier client à l’ex­por­ta­tion, sui­vie par les cara­bi­niers et la Poli­zia ita­lienne pour un usage inten­sif dans la lutte contre les Bri­gades rouges et la maf­fia. Un exem­plaire fut même ven­du à l’US Army.

En 1989, tous les Pari­siens pré­sents aux fes­ti­vi­tés du bicen­te­naire de la Révo­lu­tion ont pu voir, au-des­sus de leur tête, un superbe diri­geable de 6 000 mètres cubes voler durant trente jours et trente nuits (record mon­dial). Rares sont ceux qui savaient que ce diri­geable était équi­pé du sys­tème Atal et d’une camé­ra infra­rouge. En effet, cet aéro­stat assu­rait, au sein d’un impres­sion­nant dis­po­si­tif de sécu­ri­té, l’ob­ser­va­tion et » l’aé­ro­sur­veillance » du som­met du G8 puis des confé­rences Nord-Sud, qui ont réuni plus de 35 chefs d’É­tat dans la capi­tale française.

Ce dis­po­si­tif fran­çais de sur­veillance d’é­vé­ne­ments majeurs et ponc­tuels a été choi­si pour la sur­veillance de la Coupe du monde de foot­ball 1990 en Ita­lie, ain­si que pour les jeux Olym­piques de Bar­ce­lone en 1992.

Mal­gré son suc­cès et les amé­lio­ra­tions tech­niques appor­tées, le sys­tème Atal a atteint ses limites et n’a plus suf­fi aux nou­velles exi­gences des polices, en quête de » tou­jours plus ».

L’i­den­ti­fi­ca­tion doit s’o­pé­rer à dis­tance pour être dis­crète. Cela n’est pos­sible qu’a­vec des optiques per­for­mantes de très grandes focales qui ne souffrent pas la moindre vibration.

Le salut est curieu­se­ment arri­vé par le ciné­ma, pour lequel une jeune entre­prise cana­dienne Istec Inc. avait déve­lop­pé une plate-forme sphé­rique de 36 pouces, gyros­ta­bi­li­sée dans les trois axes (rou­lis, tan­gage, lacet). Inté­grant une camé­ra et des optiques de très grandes focales (550 mm à 1200 mm) iso­lées des vibra­tions par un sys­tème à car­dan pen­du­laire bre­ve­té sous l’ap­pel­la­tion » Wes­cam « , cette plate-forme garan­tis­sait une sta­bi­li­sa­tion infé­rieure à 5 micro­ra­dians ! Istec, socié­té d’une dizaine d’employés, four­nis­sait des ser­vices aux socié­tés de pro­duc­tions hol­ly­woo­diennes avec des plates-formes équi­pées de camé­ras 35 mm pour des prises de vues et effets spé­ciaux de films à très gros bud­get, tels que les James Bond, India­na Jones, Top Gun

Un accord de par­te­na­riat a per­mis d’im­por­ter la plate-forme Wes­cam pour sa pre­mière uti­li­sa­tion en France par la SFP2, pour des prises de vues aériennes du Tour de France et plus tard pour les émis­sions Ushuaia et Oka­van­go. Sous le nom de sys­tème « Atal-Wes­cam », elle a équi­pé plus d’une ving­taine de pays. Elle satis­fait l’exi­gence de lec­ture de la plaque miné­ra­lo­gique d’un véhi­cule en mou­ve­ment à 3000 pieds d’al­ti­tude et à un kilo­mètre de dis­tance. Elle per­met d’i­den­ti­fier le visage d’un indi­vi­du à la même dis­tance. Autre exemple, elle repère les mines flot­tantes comme celles qui s’é­chouaient en nombre sur les côtes des pays du golfe Ara­bo- Per­sique après la guerre Iran-Irak.

Pour ces incroyables per­for­mances de sta­bi­li­sa­tion, la plate-forme Wes­cam a fait l’ob­jet d’un contrat d’ac­qui­si­tion par la DGA/Onera3 pour la mise au point des carac­té­ris­tiques optiques des futurs mis­siles autodirecteurs.

L’é­vo­lu­tion des sys­tèmes d’aé­ro­sur­veillance a été remar­quable grâce notam­ment aux tech­no­lo­gies duales. Les per­for­mances des sen­seurs infra­rouges inté­grés dans les plates-formes gyros­ta­bi­li­sées de der­nière géné­ra­tion, à usage civil ou para­ci­vil, sont en fait très peu dif­fé­rentes de celles réser­vées et contrô­lées par les États d’o­ri­gine. Pour­tant, ces plates-formes sont auto­ri­sées à l’ex­por­ta­tion dans la majo­ri­té des pays du monde. À une période où les bud­gets mili­taires stag­nent dans les pays déve­lop­pés, l’a­mé­lio­ra­tion des sys­tèmes d’aé­ro­sur­veillance résulte des bud­gets consi­dé­rables en faveur des orga­nismes char­gés de la sécu­ri­té civile et inté­rieure. Ces réorien­ta­tions tech­niques et bud­gé­taires ouvrent de nou­velles oppor­tu­ni­tés de car­rière aux ingé­nieurs diplô­més de haut niveau, insuf­fi­sants en nombre dans les admi­nis­tra­tions char­gées de la sécurité.

Dans le contexte de la mon­tée de l’is­la­misme radi­cal (atten­tats de sep­tembre 2001), l’aé­ro­sur­veillance fait par­tie des dis­po­si­tifs de plus en plus sophis­ti­qués mis à la dis­po­si­tion de tous les orga­nismes civils et mili­taires actifs dans la sécu­ri­té des biens, des per­sonnes et de l’en­vi­ron­ne­ment. Leurs mis­sions sont variées : lutte contre le tra­fic de drogue, l’im­mi­gra­tion clan­des­tine, contrôle des mani­fes­ta­tions, du tra­fic rou­tier, de la délin­quance urbaine, lutte anti­feu et anti­ter­ro­riste, lutte contre les pol­lu­tions marines…

Des ver­sions bisen­seurs équi­pées de camé­ra cou­leur de très haute réso­lu­tion tri-ccd et aujourd’­hui tri­sen­seurs, voire qua­dri­sen­seurs cou­leur-infra­rouge- BNL-LRF4, plus com­pactes, ont été déve­lop­pées à la fin des années quatre-vingt-dix. Citons les socié­tés amé­ri­caines Flir Inc. et Gyro­cam, sud-afri­caines Denel Ken­tron ou l’Is­raé­lien Controp. L’ap­port du trai­te­ment par camé­ras infra­rouges a per­mis d’é­tendre les appli­ca­tions au domaine pure­ment civil, notam­ment dans l’é­tude et la détec­tion des phé­no­mènes géo­lo­giques et des pol­lu­tions mari­times ou ter­restres. C’est ain­si que des labo­ra­toires éta­tiques sont dotés d’a­vions équi­pés de camé­ras infra­rouges, per­met­tant d’a­na­ly­ser le réchauf­fe­ment de la pla­nète. Pour faire un peu de pros­pec­tive en conclu­sion et même si le couple héli­co­ptère-optro­nique a encore un bel ave­nir il est pro­bable que les drones civils et les satel­lites assu­re­ront un jour en temps réel la sur­veillance rou­tière, la sur­veillance des foules ou celle de sites sensibles.

1. DGA : Délé­ga­tion géné­rale pour l’armement.
2. SFP : Socié­té fran­çaise de production.
3. DGA-ONERA : Délé­ga­tion géné­rale pour l’ar­me­ment – Office natio­nal d’é­tudes et de recherches aérospatiales.
4. BNL : Bas niveau de lumière – LRF : Laser Range Fin­der, télé­mètre laser.

Pour l’a­nec­dote, grâce à la camé­ra infra­rouge, lors des sur­vols en sta­tion­naire du diri­geable au-des­sus de la place de la Bas­tille, des spé­cia­listes éber­lués ont pu détec­ter des empreintes infra­rouges de l’emplacement de l’an­cienne pri­son de la Bas­tille ain­si que l’im­pres­sion­nante « acti­vi­té noc­turne » du bois de Bou­logne, aujourd’­hui interdite.

Commentaire

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zeha­nirépondre
17 août 2013 à 10 h 19 min

Auteur Georges Attal
je sou­hai­te­rais, dans la mesure du pos­sible, avoir les coor­don­nées de l’au­teur, que l’ai connu dans les années 90 et dont j’ai per­du toute trace jus­qu’à la lec­ture de cet article Je vous remer­cie d’avance

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