Un Sujet de roman

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°556 Juin/Juillet 2000Par : Sacha Guitry, dans une mise en scène de G. Thénier, J. BouchaudRédacteur : Philippe OBLIN (46)

On ne sau­rait être trop recon­nais­sant à Michel Aumont et Gene­viève Casile d’avoir mon­té une pièce peu connue de Sacha Gui­try : Un Sujet de roman. Pièce d’un genre inha­bi­tuel d’ailleurs chez cet auteur, puisqu’elle ne res­sor­tit ni à la comé­die de bou­le­vard ni à l’évocation d’un per­son­nage historique.

Certes, le thème bien sacha­gui­tryien du couple en dif­fi­cul­té – pour ne pas dire plus – par la faute de la femme est pré­sent, et consti­tue même l’essence de la pièce : l’épouse d’un grand et pro­fond roman­cier n’a jamais rien com­pris, non seule­ment à l’œuvre dif­fi­cile de son mari, qu’elle n’a d’ailleurs jamais pris la peine de lire vrai­ment, mais à ce qu’est la voca­tion d’écrivain. Pour elle, tout roman­cier est un amu­seur public, car la lec­ture demeure à ses yeux un passe-temps comme un autre.

Seule une entrée à l’Académie fran­çaise pour­rait jus­ti­fier ces bali­vernes et enno­blir un tel métier. Entrée que son mari, quelque peu misan­thrope et per­ma­nent insa­tis­fait de soi, n’a jamais dai­gné sol­li­ci­ter. Mais le thème cette fois est trai­té avec tant de luci­di­té désa­bu­sée, voire déses­pé­rée, qu’on se croi­rait sou­vent plu­tôt chez Jules Renard que chez notre étin­ce­lant Sacha, tan­dis que les jeux rete­nus mais intenses de Michel Aumont et Gene­viève Casile ajoutent au poids dramatique.

On a dit, et impri­mé, que pour écrire cette pièce, le dra­ma­turge s’était lar­ge­ment ins­pi­ré du cas et de la per­son­na­li­té de son aîné et confrère Octave Mir­beau. Cela se peut mais c’est ne rien connaître aux mys­tères de la créa­tion lit­té­raire que de cher­cher, et de croire trou­ver, des clefs dans les œuvres d’imagination, romans comme com­po­si­tions dramatiques.

Les choses ne se passent pas du tout ain­si. Il est d’abord très rare que les per­son­nages de créa­tion n’empruntent pas leurs traits à plu­sieurs êtres réels. En outre et sur­tout de tels traits ne sont jamais que d’aspect exté­rieur, ou de situa­tion, et servent seule­ment d’enveloppe, d’habit ou de cadre si l’on peut dire, à l’expression des propres sen­ti­ments du créa­teur, qui pétrit le per­son­nage d’une part plus ou moins large de matière tirée de lui-même. Et si la per­son­na­li­té de l’écrivain n’était pas pré­ci­sé­ment consti­tuée de mille facettes, il ne pour­rait pas être un créa­teur, mais tout au plus un mémo­ria­liste, ou un revuiste, quelles que soient par ailleurs sa maî­trise de la langue et son aisance dans la construc­tion d’un récit, ou d’un dialogue.

Lais­sons donc Octave Mir­beau tran­quille. Nous aurions, si nous le vou­lions, assez à faire avec ses propres impré­ca­tions. Et reve­nons à Sacha Gui­try. La situa­tion posée, il en tire, comme on peut s’y attendre, de pres­ti­gieux dia­logues où l’amertume de l’homme et la mal­adresse de la femme se heurtent et se déchirent. Et les com­bats ne sont pas à fleu­rets mou­che­tés, croyez-moi.

Il n’est cepen­dant jamais facile à un dra­ma­turge de ter­mi­ner son der­nier acte, en dénouant une situa­tion que son habi­le­té jus­te­ment a conduit à déployer dans toute sa richesse et sa com­plexi­té. Or dans Un Sujet de roman, pour­tant écrite en début de matu­ri­té – Sacha avait trente-huit ans lorsqu’il la conçut pour son père Lucien Gui­try et Sarah Bern­hardt, qui la répé­ta mais hélas dut s’aliter et mou­rut avant la pre­mière – l’auteur m’a sem­blé ne pas avoir bien su conclure.

On demeure en effet un peu sur sa faim : sou­dain, la lec­ture d’une lettre d’admiratrice âgée des­sille les yeux de la femme, qui demande à son mari par­don de ses incom­pré­hen­sions en un long mono­logue dont il faut toute la sobrié­té de Gene­viève Casile pour évi­ter un nau­frage dans le mélo­drame, tan­dis que d’autres aspects, sans doute mineurs, de l’action res­tent pendants.

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