Carl de Poncins (X99) a cofondé Panthea-Theatre in Paris. © Audray Saulem

Panthea-Theatre in Paris : leader du sous-titrage pour le spectacle vivant

Dossier : TrajectoiresMagazine N°779 Novembre 2022
Par Hervé KABLA (84)

En 2014, Carl de Poncins (X99) a cofondé Panthea-The­atre in Paris, leader européen des solu­tions de sous-titrage pour le spec­ta­cle vivant. Panthea pro­pose des ser­vices com­plets de sur­titrage, qui inclu­ent le découpage et la tra­duc­tion des sur­titres, l’implantation tech­nique sur place, ain­si que les dif­férentes presta­tions pen­dant les représen­ta­tions. Panthea gère égale­ment Theatreinparis.com, un site de bil­let­terie en ligne pour les spec­ta­teurs inter­na­tionaux à Paris, la ville la plus vis­itée d’Europe.

Quelle est l’activité de la société Panthea-Theatre in Paris ? 

Nous avons deux activ­ités, l’une BtoB et l’autre BtoC. Sous la mar­que Panthea, nous avons dévelop­pé une activ­ité de ser­vices et matériels de sous-titrage à des­ti­na­tion des pro­duc­teurs, théâtres, opéras et fes­ti­vals. Nous leur four­nissons les écrans de pro­jec­tion, des tra­duc­tions de grande qual­ité grâce à l’utilisation d’un logi­ciel que nous avons dévelop­pé sur mesure, et enfin les opéra­teurs de régie qui, con­crète­ment, sont ceux qui font défil­er le sous-titrage lors du spec­ta­cle, à l’aide du même logiciel.

“Nous avons développé une activité de services et matériels de sous-titrage pour le théâtre.”

Nous avons égale­ment dévelop­pé un ser­vice révo­lu­tion­naire per­me­t­tant le sous-titrage indi­vid­u­al­isé sur appareils mobiles, notam­ment sur des lunettes con­nec­tées. Dans ce cas, les sous-titres appa­rais­sent dans les lunettes, ce qui per­met à chaque spec­ta­teur de prof­iter du spec­ta­cle dans sa langue, avec un affichage per­son­nal­isé dans son champ de vision, sans déranger les autres spec­ta­teurs dans la salle. Nous avons été les tout pre­miers à met­tre sur le marché une telle solu­tion pour le théâtre. C’est un art par­ti­c­ulière­ment adap­té à ce sys­tème de réal­ité aug­men­tée, car le spec­ta­teur a besoin de garder les yeux sur la scène pour rester con­cen­tré et prof­iter pleine­ment de l’expérience. Les lunettes con­nec­tées per­me­t­tent donc un gain en con­fort impor­tant par rap­port à des écrans classiques. 

En par­al­lèle, nous gérons une activ­ité BtoC sous le nom « The­atre in Paris ». Theatreinparis.com est un site de bil­let­terie per­me­t­tant de réserv­er des spec­ta­cles parisiens acces­si­bles à tous, Français comme étrangers. Nous pro­posons notam­ment opéras, con­certs de musique clas­sique, jazz, et des pièces de théâtre en français sous-titrées en anglais pour le pub­lic anglo­phone. Le site est disponible en anglais et en français, et nous soignons tout par­ti­c­ulière­ment le ser­vice client pour être au niveau des stan­dards des spec­ta­teurs venus du monde entier qui ne con­nais­sent pas tou­jours les codes des salles de spec­ta­cle français­es, mais aus­si pour la clien­tèle française exigeante. 

Quel est le parcours des fondateurs ? 

Nous sommes trois asso­ciés à l’origine du pro­jet : Christophe Plotard, jour­nal­iste dans le secteur du tourisme, Romain Beytout, chanteur d’opéra, et moi-même, X99 ayant tra­vail­lé dix ans dans l’innovation dans de grands groupes indus­triels. Nous nous sommes ren­con­trés au con­ser­va­toire de Lev­al­lois où nous chan­tions ensem­ble dans le Jeune Chœur d’Île-de-France. Mal­gré la diver­sité de nos par­cours, nous étions réu­nis par l’amour du chant en par­ti­c­uli­er, et du monde du spec­ta­cle en général. Pour ma part, j’avais acquis de pre­mières expéri­ences dans la con­duite de pro­jets inno­vants, puis dans la ges­tion d’un porte­feuille d’innovations. À un moment don­né, je me suis dit que, après avoir mené ces pro­jets d’innovation au ser­vice d’actionnaires, j’avais envie de le faire de façon autonome, en créant ma pro­pre entreprise. 

En 2016, nous avons fusion­né avec une agence alle­mande spé­cial­isée dans le sous-titrage de théâtre, ce qui nous a amenés à être rejoints par deux asso­ciés berli­nois : David Mass et Anna Kas­ten. Aujourd’hui, Panthea est donc présent à Paris et à Berlin. Cette expan­sion à l’international, et en Alle­magne en par­ti­c­uli­er, fait écho à mon par­cours, car j’ai effec­tué mon école d’application à l’université alle­mande d’Aix-la-Chapelle, la RWTH. Du génie indus­triel et auto­mo­bile au monde du spec­ta­cle, il y avait un long chemin, mais c’est finale­ment la langue alle­mande et le goût de l’innovation qui en ont été le fil directeur.

Comment t’est venue l’idée ?

L’idée est née de dis­cus­sions avec Nico­las Lormeau, socié­taire de la Comédie-Française, en 2013. Il nous avait racon­té son expéri­ence de tournées en Russie et en Chine, et je cite de mémoire : « Nous jouions une comédie de Fey­deau en français à Moscou, et la salle riait plus qu’en France ! » Intrigué par cette expéri­ence au-delà des fron­tières, j’en ai par­lé avec deux amis du con­ser­va­toire et après quelques bières nous avons décidé de creuser cette ques­tion : et si, avec des sous-titres anglais, il était pos­si­ble d’ouvrir le théâtre français au pub­lic international ? 

Par la suite, nous avons élar­gi le con­cept pour pro­pos­er une bil­let­terie qui place le spec­ta­teur au cen­tre de l’expérience, avec un soin par­ti­c­uli­er apporté au ser­vice client. Nous avons diver­si­fié notre offre pour référencer tous les spec­ta­cles acces­si­bles aux étrangers, puis avons ouvert une ver­sion en français du site Theatreinparis.com, pour que les clients fran­coph­o­nes, ou par­tielle­ment fran­coph­o­nes, ou sim­ple­ment à la recherche d’un site plus per­son­nal­isé et pre­mi­um que les grandes bil­let­ter­ies, trou­vent leur bonheur.

“Et si, avec un sous-titrage, il était possible d’ouvrir le théâtre français au public international ?”

Très vite, nous avons iden­ti­fié le besoin d’améliorer et numéris­er les out­ils dédiés à la tra­duc­tion pour le monde du spec­ta­cle, afin de gér­er les vol­umes gran­dis­sants. L’un de nos parte­naires, la Schaubühne de Berlin, dirigée par Thomas Oster­meier, est par exem­ple l’une des plus grandes scènes au monde pour le théâtre con­tem­po­rain. Leurs spec­ta­cles tour­nent lit­térale­ment dans le monde entier. Il pou­vait donc exis­ter, pour un spec­ta­cle don­né, jusqu’à 9 fichiers de sous-titres dans des langues dif­férentes et par­fois sous des for­mat dif­férents (Pow­er­Point, for­mat texte…). Si une scène de ce spec­ta­cle était mod­i­fiée un jour aux États-Unis, elle devait être adap­tée égale­ment pour la représen­ta­tion de la semaine suiv­ante en Corée du Sud… un véri­ta­ble enfer de traite­ment manuel. 

Lau­réats du Con­cours d’innovation numérique du min­istère de l’Économie, nous avons dévelop­pé un logi­ciel appelé Spec­ti­t­u­lar® qui est devenu une plate­forme SaaS présen­tant tous les avan­tages du cloud : col­lab­o­ra­tive, mul­ti­lingue, mul­ti­sup­port. Nous appor­tons un vrai pro­fes­sion­nal­isme dans l’art du « sur­titrage » (le nom don­né au sous-titrage dans le théâtre et l’opéra), qui est un méti­er qui était peu recon­nu jusqu’alors.

Qui sont les concurrents ? 

Du côté de l’activité de sous-titrage, il existe quelques agences his­toriques qui sont pour la plu­part locales et liées à un lieu emblé­ma­tique : 36caracteres en Espagne et le Teatro Real de Madrid ; Prescott Stu­dio en Ital­ie et la Scala de Milan ; ou encore Stage­text au Roy­aume-Uni qui a le statut de char­i­ty. Nous nous dif­féren­cions par une offre com­plète, com­bi­nant la loca­tion-vente de matériel (écrans, lunettes con­nec­tées), le logi­ciel, la créa­tion des con­tenus et l’opération – qui pour­rait paraître sim­ple mais qui en réal­ité demande une exper­tise très pointue – con­sis­tant à faire défil­er les sous-titres pen­dant les représen­ta­tions. Aujourd’hui nous dis­posons d’un réseau unique au monde de près d’une cen­taine de tra­duc­teurs et opéra­teurs mul­ti­lingues. Notre objec­tif est vrai­ment qu’un max­i­mum de spec­ta­cles soient acces­si­bles au plus grand nom­bre grâce au sous-titrage. 

Pour la branche BtoC, dans la bil­let­terie inter­na­tionale, les grands acteurs sont Tri­pAd­vi­sor (via sa fil­iale Via­tor) et GetY­our­Guide, une start-up alle­mande. Ce sont les grands super­marchés inter­na­tionaux des activ­ités touris­tiques. Toute­fois, au-delà des grands incontour­nables tels que bateaux-mouch­es, stat­ue de la Liber­té, tour Eif­fel, etc., il est dif­fi­cile de trou­ver sur ces sites des propo­si­tions qui sor­tent des sen­tiers bat­tus. C’est sur ce créneau que nous nous posi­tion­nons à Paris. Dans la bil­let­terie française, les lead­ers sont bien con­nus : Fnac, Bil­letre­duc, Tick­e­tac, The­atre­on­line. Là aus­si, notre spé­ci­ficité est claire : out­re une nav­i­ga­tion entière­ment pen­sée pour un vis­i­teur occa­sion­nel inter­na­tion­al, nous pro­posons un ser­vice d’épicerie fine. Sur Theatreinparis.com, vous pou­vez ain­si décou­vrir une sélec­tion de spec­ta­cles choi­sis, un ser­vice client per­son­nal­isé et bilingue, avec un tra­vail soigné de mise en valeur de la cen­taine de spec­ta­cles référencés.

Quelles ont été les étapes clés depuis la création ? 

Dès 2014, à la créa­tion du site Theatreinparis.com, nous avons con­nu une récep­tion ent­hou­si­aste du marché et de l’écosystème. Cela nous a per­mis de défendre une mar­que BtoC très tôt dans un secteur touris­tique peu prop­ice à l’émergence d’idées inno­vantes, puis de lever des fonds et de con­tin­uer notre développement.

Fin 2016, la fusion évo­quée précédem­ment avec l’Allemagne nous a per­mis de dévelop­per une branche BtoB pro­posant aux théâtres, opéras et fes­ti­vals à tra­vers le monde des ser­vices de tra­duc­tion et de sous-titrage, une niche sur laque­lle nous sommes désor­mais leader avec plus de 150 clients parte­naires dans toute l’Europe et au-delà : Opéra de Berlin, Fes­ti­val de Salzbourg, Théâtre nation­al de Bre­tagne, Odéon Théâtre de l’Europe, Théâtre nation­al de Brux­elles, Schaubühne de Berlin, et bien d’autres. Récem­ment, nous avons équipé le Teatro Sta­bile de Turin en Ital­ie, le Théâtre français de Toron­to au Cana­da et bien­tôt le Roy­al Opera House à Londres.

“Nous avons développé le sous-titrage multilingue sur appareils mobiles, notamment sur lunettes de réalité augmentée.”

Nous avons égale­ment dévelop­pé des solu­tions tech­nologiques inno­vantes (on ne se refait pas !) en étant les pre­miers au monde à pro­pos­er le sous-titrage mul­ti­lingue sur appareils mobiles, notam­ment sur lunettes de réal­ité aug­men­tée. Cette tech­nolo­gie, qui per­met une per­son­nal­i­sa­tion de l’expérience et un con­fort de lec­ture iné­galé, est déployée régulière­ment dans des fes­ti­vals et dans des lieux pio­nniers souhai­tant offrir un ser­vice d’accessibilité inno­vant. Nous l’avons déployé sur des spec­ta­cles du fes­ti­val « IN » d’Avignon, notam­ment sur la scène iconique de la cour d’honneur du palais des Papes.

Cette sai­son, l’Opéra de Lille s’est égale­ment équipé de lunettes de réal­ité aug­men­tée pour pro­pos­er, en com­plé­ment du sous-titrage tra­di­tion­nel sur écrans, des sous-titres en néer­landais ou en français adap­tés aux sourds et malen­ten­dants. Con­crète­ment le spec­ta­teur sourd ou malen­ten­dant voit dans ses lunettes une per­son­ne qui par­le en langue des signes. C’est un pro­grès impor­tant pour cette grande mai­son publique qu’est l’Opéra de Lille dans sa volon­té d’être acces­si­ble au plus grand nombre !

Les 24 derniers mois ont été difficiles pour le monde du spectacle. Comment s’est passée la reprise ? 

Pour dire les choses sans détour : nous sor­tons de deux ans de cauchemar. Quand vos clients et vos four­nisseurs (touristes et théâtres) dis­parais­sent simul­tané­ment, il ne vous reste que vos yeux pour pleur­er… Heureuse­ment, nous avons pu béné­fici­er d’une com­bi­nai­son de deux fac­teurs : d’une part, notre struc­ture finan­cière solide avec des action­naires et des ban­ques fidèles, et une tré­sorerie impor­tante en début de crise ; d’autre part, des aides publiques massives.

Dès que les théâtres ont rou­vert leurs portes de façon pérenne et que les voyageurs inter­na­tionaux sont revenus, nous avons donc pu recom­mencer à accueil­lir des spec­ta­teurs et à fournir nos ser­vices avec une mon­tée en puis­sance au cours de la sai­son 2021–2022. Nous avons con­staté un retour des voyageurs inter­na­tionaux et une inten­si­fi­ca­tion des propo­si­tions de la part des salles de spectacle.

Mais c’est véri­ta­ble­ment en sep­tem­bre 2021 que les choses sérieuses ont recom­mencé. Entre les spec­ta­cles décalés, les nou­veautés et l’envie farouche de rou­vrir, il y a eu un embouteil­lage de propo­si­tions et nous avons dû pass­er en quelques jours de l’hibernation à l’hyperactivité. Ce n’était pas évi­dent pour les nerfs, même si ce sont de bien meilleurs prob­lèmes que ceux qui con­sis­taient à sur­vivre sans eau dans le désert. Et nous avons pu con­stater que le tra­vail réal­isé pen­dant la crise por­tait ses fruits : notre répu­ta­tion est intacte et nous avons gag­né de nou­veaux parte­naires grâce à la qual­ité du tra­vail de nos équipes et au bouche à oreille.

Si nous par­venons à gér­er habile­ment cette nou­velle mon­tée en charge, nous prévoyons de gag­n­er des parts de marché et donc de surper­former par rap­port à notre secteur. Et main­tenant nous avons cinq ans pour rem­bours­er notre dette Covid…

La quasi-disparition des touristes à Paris vous a‑t-elle contraints à revoir le business plan initial ? 

Passé le moment de sidéra­tion du début du con­fine­ment (« Nous sommes en guerre, etc. »), nous avons mené deux actions : sécuris­er finan­cière­ment l’entreprise et adapter notre activ­ité à la nou­velle réal­ité. Sur le pre­mier point, le tra­vail a été intense mais somme toute assez clas­sique : recherche d’aides divers­es, endet­te­ment, réduc­tion pro­vi­soire des coûts… En revanche, pour adapter notre activ­ité, c’était beau­coup plus com­pliqué. Comme je l’ai déjà dit, quand vous n’avez plus ni clients ni four­nisseurs, vous êtes en état de mort cérébrale.

Nous avons finale­ment mis en œuvre deux déci­sions com­plé­men­taires : à court terme, accom­pa­g­n­er nos parte­naires pour numéris­er leur offre. Nous avons ain­si sous-titré des spec­ta­cles joués sur Zoom comme Splendid’s de Jean Genet au Théâtre nation­al de Bre­tagne ou sur Insta­gram comme _jeanne_dark_ de Mar­i­on Siéfert. Nous avons égale­ment coor­don­né des con­férences mul­ti­lingues pour des fes­ti­vals se ten­ant entière­ment à dis­tance. Et à moyen terme, grâce à notre solid­ité finan­cière et à nos fonds pro­pres élevés, nous avons con­tin­ué à per­fec­tion­ner notre logi­ciel de sous-titrage et notre site de bil­let­terie. L’objectif était d’être prêts à la reprise et de gag­n­er des parts de marché.

Notre busi­ness plan a ain­si été décalé de deux ans, mais la reprise est très dynamique, supérieure à la sit­u­a­tion précrise. Et, lorsque les touristes revi­en­nent, nous avons une meilleure offre à leur proposer.

Comment lutter contre des concurrents qui se nomment Netflix, Amazon, Disney, UGC ou Gaumont ? 

Les études d’opinion indiquent que le retour au spec­ta­cle sera certes lent, mais avec un désir accru de sor­ties. Rien n’indique qu’un « retour à la nor­male » ne se fera pas. Autrement dit, le rem­place­ment d’un diver­tisse­ment expéri­en­tiel par un diver­tisse­ment à la mai­son n’aura pas lieu.

On le con­statait déjà depuis quelques années dans l’industrie musi­cale, où les con­certs ont tou­jours plus de suc­cès alors qu’on peut écouter à tout moment son artiste préféré sur une plate­forme de stream­ing. Le stream­ing n’a pas tué les con­certs, il est devenu une source de revenus et un out­il de mar­ket­ing pour attir­er les spec­ta­teurs en salle. Je prédis le même des­tin au numérique pour le théâtre et l’opéra. Ce que nous imag­i­nons, c’est que l’offre de diver­tisse­ment va devenir tou­jours plus hybride, avec une forte val­ori­sa­tion de l’événementiel, enrichi par une expéri­ence pro­longée avant, pen­dant et après le spec­ta­cle, et avec une per­son­nal­i­sa­tion accrue.

“La reprise est très dynamique, supérieure à la situation précrise.”

Dans un autre reg­istre, je suis devenu en 2021 tré­sori­er de Fedo­ra, la plate­forme européenne de pro­mo­tion de l’innovation dans l’opéra et le bal­let. Fedo­ra a pour objec­tif d’aider à la trans­for­ma­tion de cette indus­trie qui est en dan­ger de mort. Cela passe par des prix pres­tigieux, les plus grands prix au monde pour le bal­let et l’opéra, soutenus par de grands mécènes, mais aus­si par une nou­velle ini­tia­tive bap­tisée Next Stage qui a pour but de soutenir finan­cière­ment des pro­jets de trans­for­ma­tion des maisons d’opéra selon 3 axes : le développe­ment durable, le numérique et la diver­sité. Ain­si Fedo­ra s’attache à défendre la beauté et l’excellence, avec une dimen­sion sociale et poli­tique assumée. Il faut que ces mer­veilleux arts vivants entrent chez les gens par les portes, les fenêtres et tous les moyens pos­si­bles, car cela peut véri­ta­ble­ment chang­er leur vie.

Le secteur du cinéma a entrepris une numérisation lente, qui permet aujourd’hui de choisir sa place ou de partager l’achat de billets (appli Gaumont Pathé, par exemple). Cela arrivera-t-il dans l’univers du théâtre ? 

Le plus dif­fi­cile est d’éviter ce que j’appelle « l’effet gad­get » : une nou­velle tech­nolo­gie émerge, et tout l’écosystème se pré­cip­ite dessus en vous expli­quant que ce sera le nou­veau stan­dard. Or j’ai appris de mes années dans l’automobile qu’il existe un out­il essen­tiel qui doit être au cœur de toute inno­va­tion : l’analyse fonc­tion­nelle. Cette analyse per­met de décrire le besoin du client dans toutes ses dimen­sions et de con­cevoir des solu­tions qui répon­dent à ce besoin – et non de pouss­er à tout prix le dernier gad­get à la mode sans se souci­er de savoir s’il sert à quelque chose.

Cela étant posé, des inno­va­tions dans la bil­let­terie sont atten­dues depuis trop longtemps et devraient arriv­er à plus ou moins court terme : général­i­sa­tion du choix de la place sur plan, sim­u­la­tion de la vis­i­bil­ité de la scène, de l’espace pour les jambes, du vol­ume sonore. En ce qui con­cerne les fonc­tion­nal­ités de e‑commerce, il y a des pos­si­bil­ités de partage d’achat de places comme tu le dis, mais aus­si de sécuri­sa­tion via les chaînes de blocs, notam­ment pour les événe­ments très demandés. Toutes ces inno­va­tions visent à ren­dre le par­cours d’achat plus sim­ple, plus flu­ide, plus con­fort­able, et à apporter de la réas­sur­ance, con­cept clé de la vente de bil­lets de spec­ta­cle à dis­tance. Tout ce qui va dans ce sens nous va bien ! Nous sommes un bon cobaye pour ce type d’innovation, car nous par­lons à beau­coup d’acteurs dif­férents, avec des clients dans le monde entier.

La remise des César 2021 a laissé un goût assez aigre dans la bouche d’une grande partie du public, alors que des films et spectacles d’excellente qualité ont été produits ces derniers mois malgré les conditions difficiles. Comment expliques-tu cette dérive incompréhensible aux yeux des profanes ? 

Le milieu cul­turel est un secteur absol­u­ment incroy­able, très proche de celui de l’entrepreneuriat et des start-up : on y ren­con­tre des génies, ayant un goût du risque et de l’aventure bien au-dessus de la moyenne, et une mul­ti­tude de gens qui veu­lent vivre de leur pas­sion et créer quelque chose à par­tir d’une feuille blanche. C’est extrême­ment éner­gisant ! Toute­fois, le revers de la médaille est une nécrose qui atteint le secteur, un embour­geoise­ment lié à des prében­des, un entre-soi mor­tifère. De mon point de vue, la céré­monie des César 2021 a été le som­met de cette absur­dité : une petite com­mu­nauté d’aigris qui ne par­lent qu’à eux-mêmes et à leur min­istère de tutelle et qui s’entredévorent. Cela m’a fait beau­coup de peine.

Ma con­vic­tion est que chaque par­tie prenante de cet univers doit se sec­ouer les puces pour sor­tir de l’impasse. Et d’abord, avant tout et obses­sion­nelle­ment, se con­cen­tr­er sur le beau. Pour les spec­ta­teurs, s’astreindre à ne pas se laiss­er gag­n­er par les pas­sions tristes et addic­tives con­sis­tant à regarder, avec un regard atter­ré, les pris­es de parole les plus néga­tives. Oser pren­dre des risques en se lais­sant de temps en temps sur­pren­dre par des nou­veautés, des styles aux­quels on n’est pas habitué. Se laiss­er séduire, en somme.

“Oser prendre des risques en se laissant de temps en temps surprendre.”

Pour les créa­teurs, ne pas s’enfermer dans des reven­di­ca­tions bour­geois­es et con­ser­va­tri­ces aux antipodes de ce en quoi on croit, et pro­pos­er tou­jours un regard posi­tif, décalé, je dirais même espiè­gle, sur le monde. « Enfourcher le tigre », pour repren­dre une expres­sion chi­noise employée par notre Prési­dent de la République en 2020.

Pour les décideurs poli­tiques enfin, avoir une véri­ta­ble poli­tique cul­turelle pen­sée et assumée, comme ne l’a… pas fait notre Prési­dent de la République, ni aucun de ses prédécesseurs depuis François Mit­ter­rand. Ou bien s’autodissoudre, si on ne sert à rien ! Car faire de la poli­tique, de mon point de vue, c’est faire des choix et ori­en­ter le bien com­mun. Et la cul­ture est un champ poli­tique, jusque dans le diver­tisse­ment (Net­flix, Dis­ney ou Pathé ? Ou des bib­lio­thèques publiques ? La langue française ou le glo­bish ?…) mais aus­si dans les choix de langue (La Princesse de Clèves ou Boo­ba ? Zadig de Voltaire, ou Zadig et Voltaire ? Français clas­sique ou écri­t­ure dite inclusive ?).

L’un des artistes que j’admire le plus, Waj­di Mouawad, le directeur du Théâtre nation­al de la Colline, abor­de ces ques­tions avec la meilleure approche qui soit : avec un regard de poète. Je vous recom­mande chaleureuse­ment son man­i­feste de mai 2021 inti­t­ulé Fasci­ite nécrosante, c’est bril­lant d’intelligence et de finesse. Et, si vous avez l’âme plus vagabonde, plongez-vous dans son Man­i­feste pour l’ombre. Appelez-moi si vous ne versez pas une petite larme, c’est tout sim­ple­ment magnifique !


Références :

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