Un objectif essentiel : aider les PMI à exporter en Asie -

Dossier : ExpressionsMagazine N°524 Avril 1997Par Serge RAVANEL (39)

L’idée qu’un véri­ta­ble courant d’exportations de nos PMI puisse et doive se dévelop­per vers les pays émer­gents d’Asie est récente.

Le 29 août 1996 le Prési­dent Chirac a don­né aux ambas­sadeurs de France l’objectif pri­or­i­taire d’aider les PMI à exporter dans leurs pays respectifs.

On sait que dans la lutte con­tre le chô­mage, le rôle des PMI est essen­tiel. Elles con­stituent un des prin­ci­paux lieux de créa­tion d’emplois. Le développe­ment de leurs activ­ités d’exportation peut donc jouer un rôle important.

Mal­heureuse­ment l’exportation, surtout en direc­tion de nou­veaux marchés loin­tains, est une oeu­vre de longue haleine. Les réper­cus­sions sur l’emploi ne peu­vent donc être immé­di­ates. Par con­tre dans une stratégie à long terme elle devient essentielle.

Accroître les expor­ta­tions répond à l’évolution de notre monde et à l’internationalisation crois­sante des échanges économiques. Les activ­ités d’exportation joueront un rôle gran­dis­sant dans notre économie. Les entre­pris­es doivent s’y pré­par­er et savoir anticiper.

Pourquoi insis­ter ici sur l’Asie ? On pour­rait tout aus­si bien par­ler de l’ensemble des pays émer­gents. C’est parce que, pour des raisons où la cul­ture tient sans doute une grande place, les pays asi­a­tiques pos­sè­dent une espèce de génie d’adaptation à notre monde indus­triel mod­erne. Ce n’est pas par hasard que l’on y voit sur­gir du sous-développe­ment des zones entières. En out­re le marché poten­tiel est gigan­tesque. Trois mil­liards d’habitants. En 1995, le PNB de la Chine s’est accru de 9,5%.

Pour quelles raisons nos entre­pris­es – et plus spé­ciale­ment nos PMI – y sont-elles beau­coup moins présentes que leurs con­cur­rents améri­cains, anglais, alle­mands, italiens ?

Une pre­mière rai­son tient sans doute à la répu­ta­tion que les pays d’Asie se sont faite. Doués d’un dynamisme extra­or­di­naire, expor­ta­teurs de pro­duits à bas prix, ter­res d’accueil d’activités délo­cal­isées, ils don­nent le sen­ti­ment qu’on ne peut y exporter que très dif­fi­cile­ment. Con­clu­sion : “Mieux vaut porter ses efforts ailleurs ”.

Or, cela ne cor­re­spond pas tou­jours à la réal­ité. Ils pos­sè­dent quelque chose de rare à notre époque : une économie en expan­sion, de grands besoins et beau­coup d’argent. Sit­u­a­tion inverse de celle qui existe sur le marché nation­al (et européen) ou encore dif­férente de celle qui existe dans les pays de l’Est ou d’Amérique latine.

Une autre rai­son tient, nous sem­ble-t-il, au fait que, même à haut niveau, on con­naît encore mal cette région du globe. On a pour excuse que les moeurs en sont par trop dif­férentes des nôtres et qu’elle com­porte un nom­bre de plus en plus élevé de “ zones ” dis­tinctes ayant cha­cune leurs car­ac­téris­tiques et se trou­vant à un stade dif­férent de développe­ment. Les plus petites d’entre elles représen­tent sou­vent plusieurs dizaines de mil­lions d’habitants. La Chine à elle seule en compte plus d’une vingtaine.

Il y a de la place pour beau­coup de monde. Même s’il y existe une forte con­cur­rence. Une PMI peut par­faite­ment se lim­iter à une seule zone. Si elle sait y arriv­er au bon moment, elle peut s’y créer une “ niche ” et accom­pa­g­n­er, en gran­dis­sant, le développe­ment de la zone.

À dis­tance on ne se rend pas tou­jours compte de l’importance de ces réal­ités et des oppor­tu­nités qu’elles représentent.

Deux d’entre elles méri­tent une atten­tion particulière.

La pre­mière est que cette fan­tas­tique créa­tion de richess­es donne nais­sance à une classe aisée dont les besoins gran­dis­sent rapi­de­ment. Pour des raisons de mode ou de con­fort, elle est sen­si­ble aux pro­duits de con­som­ma­tion occi­den­taux. Or la France y pos­sède une tra­di­tion con­nue. La qual­ité dans ce domaine peut com­penser le bas prix des arti­cles pro­duits locale­ment ou copiés des nôtres. En out­re les acheteurs sont solvables.

La sec­onde est que le développe­ment de l’industrie et du com­merce atteint, dans cer­taines zones, un taux telle­ment élevé que les indus­tries locales ont du mal à suiv­re le mou­ve­ment. Il sem­blerait, par exem­ple, que la zone de Shang­hai qui pour­suit l’ambition d’égaler Hong-Kong aurait besoin de l’apport de nom­breuses entre­pris­es de bâti­ment étrangères pour con­stru­ire des immeubles de rap­port, com­mer­ci­aux ou spé­cial­isés. Il y a de la place pour des entre­pris­es moyennes tout autant que pour des Bouygues. Les travaux de con­cep­tion, d’études, de con­trôle, la four­ni­ture d’équipements demeur­eraient français, même si les réal­i­sa­tions fai­saient appel à la main‑d’œuvre locale.

Il en est de même pour de nom­breux pro­duits d’équipement ou encore dans des secteurs où nous pos­sé­dons expéri­ence, savoir-faire, com­pé­tence. Sans compter les tech­nolo­gies avancées.

L’Asie n’est évidem­ment pas à la portée de toutes les PMI. Il faut qu’elles dépassent un cer­tain vol­ume cri­tique. Une entre­prise de dix per­son­nes cen­trée sur son seul patron n’y parvien­dra pas. Elle doit égale­ment faire preuve d’un esprit con­quérant et avoir une bonne pra­tique du com­merce inter­na­tion­al. L’exportation ne réus­sit que si elle s’accompagne d’un pro­fes­sion­nal­isme des com­porte­ments, par­ti­c­ulière­ment à l’intérieur de l’entreprise. Tra­vailler avec l’Asie oblige très spé­ciale­ment à se famil­iaris­er avec les mœurs locales.

L’entreprise doit donc choisir avec soin sa “ zone d’intervention ” et y dévelop­per des rela­tions en pro­fondeur avec les décideurs locaux. Les pays asi­a­tiques sont sen­si­bles aux rela­tions per­son­nelles de con­fi­ance. Elles ne s’établissent pas du jour au lende­main. Il est bon de par­ler les langues locales. Il faut faire acte de présence régulière.

Il existe de nom­breuses sociétés de représen­ta­tion qui pro­posent leurs ser­vices aux PMI pour les aider à ven­dre sur place leurs pro­duits ou ser­vices. Beau­coup y pos­sè­dent de bonnes implan­ta­tions. Leur rôle est impor­tant et à encourager.

Toute­fois il serait égale­ment souhaitable de dévelop­per dans les dif­férentes zones des implan­ta­tions per­ma­nentes qui, étant à l’affût des oppor­tu­nités du marché local, en informeraient les entre­pris­es françaises.

Cer­tains organ­ismes s’y emploient déjà. Ce sont les postes d’expansion économique des ambas­sades et les cham­bres de com­merce et d’industrie fran­colo­cales. Ils sont présents surtout dans les cap­i­tales nationales.

Le secré­tari­at d’État au Com­merce extérieur, con­scient de l’importance d’une forte présence en Asie, a décidé d’y ren­forcer ses postes sur la base d’un redé­ploiement général de ses personnels.

En out­re sa déci­sion de main­tenir les per­son­nels d’encadrement plus longtemps en poste (jusqu’à qua­tre à six ans) les incit­era à appren­dre les langues, à créer des réseaux durables de rela­tions per­son­nelles, et à assur­er un meilleur suivi de l’activité des entre­pris­es. Encore con­vien­dra-t-il que, lorsqu’ils quit­tent leur poste, ils soient mis en mesure de trans­met­tre à leurs suc­cesseurs les savoirs acquis, ce qui néces­site qu’ils tra­vail­lent ensem­ble pen­dant un cer­tain temps. Cela ne sem­ble pas encore être le cas.

Faisons en sorte que l’on ne voie plus cer­taines entre­pris­es préfér­er chercher con­seil auprès de l’ambassade d’Allemagne jugée plus efficace.

De leur côté, les Cham­bres de com­merce et d’industrie mixtes sont surtout com­posées de grandes entre­pris­es présentes sur place, ce qui néces­site un effort par­ti­c­uli­er d’adaptation aux men­tal­ités, besoins et habi­tudes de tra­vail des PMI.

Tout le monde est con­scient qu’un effort doit être accom­pli afin que le dis­posi­tif en place gagne sans cesse en efficacité.

On notera cepen­dant que ces implan­ta­tions sont con­cen­trées au niveau des cap­i­tales nationales et plus rarement de quelques très grandes villes de province. Il serait donc utile de les com­pléter par des implan­ta­tions situées dans des villes impor­tantes où nous n’en pos­sé­dons pas. Il en existe qui sont de véri­ta­bles métrop­o­les. C’est sur ce point que nous nous pencherons par­ti­c­ulière­ment.

Selon nous, une méth­ode effi­cace d’y par­venir con­sis­terait à s’appuyer sur des cen­tres d’initiative à créer sur place. Ces organ­ismes joueraient le long terme en s’intégrant dans la société locale et dévelop­pant des liens avec les entre­pris­es autochtones. Ils chercheraient tout par­ti­c­ulière­ment à détecter celles qui peu­vent être intéressées à coopér­er avec des entre­pris­es français­es désireuses d’offrir leurs pro­duits ou ser­vices

Bien enten­du, ces “ Cen­tres d’initiative ” tra­vailleraient en rap­port étroit avec les postes d’expansion économique et les Cham­bres de com­merce et d’industrie mixtes avec lesquels ils con­stitueraient une espèce de réseau. Ils s’appuieraient sur les entre­pris­es, organ­ismes, rési­dents français présents dans le voisinage.

Certes, un cer­tain nom­bre de PMI ont déjà réus­si à s’implanter en Asie par leurs pro­pres moyens ou en s’appuyant sur des sociétés spé­cial­isées. Mais, si l’on veut chang­er d’échelle on aura besoin de telles implantations.

Ces Cen­tres d’initiative déclencheraient le proces­sus per­me­t­tant de rechercher les oppor­tu­nités locales, d’en informer des entre­pris­es français­es, d’aider à la venue de can­di­dats désireux de les explor­er.

Car, ce qui manque avant tout à nos PMI, c’est d’être infor­mées de l’existence de ces oppor­tu­nités. Dans ce domaine nous pos­sé­dons un retard con­sid­érable. Nous sommes bien moins effi­caces que les Améri­cains, les Anglais, les Alle­mands ou les Ital­iens qui dis­posent sur place d’organismes rodés.

Il faut néan­moins sig­naler qu’une prise de con­science s’effectue. Des forces divers­es com­men­cent à se mobilis­er en direc­tion de l’Asie.

Des PMI pour­ront notam­ment s’appuyer sur une asso­ci­a­tion qui vient de se créer à l’instigation de M. Yves Gal­land, min­istre délégué aux Finances et au Com­merce extérieur, “ Parte­nar­i­at-France-Entre­pris­es pour l’export ” qui groupe une cinquan­taine de grandes entre­pris­es dis­posées à les aider en s’appuyant sur leurs implan­ta­tions locales. L’état d’esprit de ces entre­pris­es est à sig­naler. Elles se veu­lent “ citoyennes ” et désireuses de faire oeu­vre de solidarité.

Peut-être cer­tains des cen­tres d’initiative pro­posés pour­raient-ils s’appuyer sur les implan­ta­tions locales de ces grandes entre­pris­es. Les notions de réseau, de coopéra­tion, de sol­i­dar­ité néces­si­tent d’être mis­es en oeu­vre, tout par­ti­c­ulière­ment lorsqu’on se trou­ve en pays lointain.

Quels seraient les mis­sions prin­ci­pales de ces cen­tres d’initiative ? Ils devraient jouer un rôle d’animateur, d’incitateur, de recherche d’information, de recherche de parte­naires locaux.

Prenant la forme d’associations ayant des activ­ités com­mer­ciales mais à voca­tion de ser­vice pub­lic, ils ne pré­tendraient à aucun mono­pole. Ils se borneraient à jouer un rôle d’initiative et de “ mise sur les rails ”.

De quoi ont besoin les PMI dans une pre­mière étape ?

1 — C’est d’abord de disposer d’une bonne information

C’est le point de départ obligé. Elle peut certes résul­ter des voy­ages en groupe fréquem­ment organisés.

Mais la véri­ta­ble infor­ma­tion devrait être recher­chée de façon sys­té­ma­tique, ce dont les organ­ismes et entre­pris­es français se trou­vant sur place pour­ront dif­fi­cile­ment se charg­er en dehors de quelques cas particuliers.

L’efficacité de cha­cun de ces Cen­tres d’initiative serait, évidem­ment, con­di­tion­née par la com­pé­tence et le dynamisme de leurs dirigeants. Un sinon deux d’origine française par Asso­ci­a­tion pour com­mencer. Mais sélec­tion­nés sur la base d’un cahi­er des charges sévère qui impli­querait notamment :

– expéri­ence du com­merce inter­na­tion­al, expéri­ence du méti­er de vendeur, con­nais­sance suff­isante de la PMI pour y avoir vécu, cul­ture générale tech­nique, apti­tude à “ observ­er ” un marché, bon esprit de com­mu­ni­ca­tion et qual­ité du con­tact humain,
– engage­ment à appren­dre les langues et à s’intégrer dans la société locale,
– engage­ment à appli­quer des règles déon­tologiques de dis­cré­tion et de neu­tral­ité vis-à-vis des entre­pris­es, à ne pas accepter d’avantages matériels per­son­nels. Trans­parence financière,
– et, si pos­si­ble, avoir déjà vécu dans la région.

Enfin il fau­dra qu’ils sachent s’entourer de per­son­nels d’origine locale com­pé­tents et motivés.

2 — Préparer les entreprises à venir sur place en courte durée et les aider

Ce sera un des objec­tifs des cen­tres d’initiative. Il faut que l’entreprise en vis­ite se sente accueil­lie, que son séjour ait été soigneuse­ment pré­paré, qu’elle soit mise en con­tact avec de bons inter­locu­teurs et accom­pa­g­née pen­dant les quelques jours où elle se trou­ve sur place. C’est à ce prix que son séjour sera rentable. C’est aus­si à ce prix qu’elle pour­ra mieux com­pren­dre le marché, la place qu’elle pour­rait y occu­per, les adap­ta­tions à effectuer sur ses pro­duits, les parte­nar­i­ats à développer.

L’essentiel pour la PMI est d’être mise en rap­port avec des parte­naires de qual­ité s’intéressant à l’importation de ses produits.

Les Cen­tres d’initiative se lim­it­eraient à intro­duire les entre­pris­es sur le marché local et à les aider dans leurs pre­miers pas.

3 — Combien coûteraient de telles implantations ?

Com­posées pour l’essentiel de per­son­nels recrutés sur place, les coûts seraient peu élevés en regard de leur util­ité. Mais il faut pren­dre en compte que les dépens­es ne seraient pas équili­brées par les recettes avant un délai de l’ordre de trois ou qua­tre ans ce qui per­me­t­tra de se faire une idée de l’importance des fonds pro­pres dont ils devront disposer.

Com­ment les trouver ?

Pourquoi cer­tains con­seils régionaux ne prendraient-ils pas à charge une implan­ta­tion, quitte à se met­tre à plusieurs ? Pourquoi cer­taines grandes entre­pris­es ne s’y emploieraient- elles pas, par­ti­c­ulière­ment celles qui dis­posent d’implantations sur place ? Pourquoi pas des entre­pris­es moyennes en se regroupant ?

4 — Qui prendrait à charge les frais de prospection ?

Les voy­ages sur place coû­tent cher. Réalis­er des pro­duits adap­tés aux besoins locaux est coû­teux. Nos PMI souf­frent sou­vent d’avoir une dimen­sion et des moyens (en hommes, en finances) trop faibles pour se le per­me­t­tre. Heureuse­ment il existe des aides publiques nom­breuses. Pas seule­ment les aides de la Coface ou de con­seils régionaux. Encore fau­dra-t-il pos­séder sur place des référents ayant com­pé­tence pour éval­uer les projets.

Aider les PMI à exporter sur les marchés asi­a­tiques néces­site donc une stratégie à long terme de la part des pou­voirs publics. Les divers­es étapes du proces­sus d’une opéra­tion d’exportation (ou d’une opéra­tion de coopéra­tion avec des parte­naires locaux) doivent être claire­ment iden­ti­fiées. Des dis­po­si­tions spé­ci­fiques sont à pren­dre pour cha­cune, sim­ples ou peu com­plex­es, les unes de car­ac­tère privé, les autres de car­ac­tère public.

La France a besoin d’une telle stratégie glob­ale. Il faut s’en préoc­cu­per rapi­de­ment. Avec le souci d’agir selon les règles du pro­fes­sion­nal­isme et de rechercher un retour sur investisse­ment des sommes avancées.

5 — Et les jeunes X ?

Que pour­raient-ils faire dans ce cadre ? Ils doivent d’abord réfléchir à l’idée (pas encore habituelle) que la mon­di­al­i­sa­tion de l’économie ira en s’accélérant, intro­duisant un boule­verse­ment dans nos économies aus­si impor­tant que la révo­lu­tion indus­trielle du siè­cle dernier. Ils doivent savoir que le com­merce avec les pays émer­gents et tout par­ti­c­ulière­ment ceux d’Asie devien­dra une don­née majeure de l’époque à venir. Un cer­tain nom­bre d’entre eux devraient choisir d’y tra­vailler. C’est un créneau porteur.

Pre­mière néces­sité : con­naître les langues et les cul­tures. Qu’ils fassent preuve de courage et appren­nent le chi­nois, le japon­ais ou d’autres langues. Qu’ils se famil­iarisent avec ces pays en y faisant des séjours uni­ver­si­taires ou en entreprises.

Offrant à leur retour leurs ser­vices à des entre­pris­es français­es, ils leur apporteront non seule­ment le réseau de rela­tions qu’ils se seront con­sti­tué, mais une ouver­ture sur des modes de pen­sée avec lesquels elles sont peu famil­iarisées pour la plupart.

Ils pour­raient même imag­in­er d’y dévelop­per eux-mêmes des activités.

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