Quand le monde associatif et des start-up en Biotechnologie de Santé travaillent main dans la main pour la recherche et le développementde nouvelles thérapies innovantes…

Dossier : Vie des entreprises - HealthtechMagazine N°793 Mars 2024
Par Laetitia CLABÉ-LEVÈRE
Par Zakia BELAID-SANDAL

Lae­ti­tia Cla­bé-Levère, pré­si­dente de l’Association Des étoiles dans la mer, et Zakia Belaid-San­dal, cofon­da­trice et CEO de THERANOVIR, nous racontent com­ment elles se sont retrou­vées dans la lutte contre le can­cer. Elles nous en disent éga­le­ment plus sur les sujets et les enjeux qui les mobi­lisent au quotidien.

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre association, Des Étoiles dans la Mer ?

Lae­ti­tia Cla­bé-Levère : Je suis soi­gnante de pro­fes­sion et cadre de san­té for­ma­trice spé­cia­li­sée en bloc opé­ra­toire. Je connais par­ti­cu­liè­re­ment bien le can­cer du cer­veau. J’ai exer­cé en neu­ro­chi­rur­gie et j’ai éga­le­ment été confron­tée dans ma vie pri­vée. 

À par­tir de là, j’y ai res­sen­ti le besoin de sen­si­bi­li­ser sur ce can­cer très peu connu du grand public et autour duquel très peu de pro­jets de recherche sont en cours. En effet, les moyens alloués à la recherche autour du glio­blas­tome sont limi­tés et, depuis près de 20 ans, il n’y a eu aucune évo­lu­tion majeure en termes de trai­te­ment. En mars 2019, j’ai donc créé l’association Des étoiles dans la Mer pour lut­ter contre le glio­blas­tome, cette tumeur céré­brale incu­rable à ce jour. 

Au cœur des mis­sions et de l’engagement de l’association, on retrouve le sou­tien à la recherche alors que la neu­ro-onco­lo­gie est le parent pauvre des finan­ce­ments de la recherche en onco­lo­gie de manière géné­rale. Pour ce faire, nous finan­çons des pro­jets de recherche. 

Nous avons une seconde mis­sion d’accompagnement des familles. 90 % des béné­voles de l’association sont des pro­fes­sion­nels de san­té (méde­cins, infir­miers, psy­cho­logues, ergo­thé­ra­peutes…) qui sou­tiennent les familles et les aidants face à ce can­cer qui pro­voque de graves atteintes cog­ni­tives. 

Enfin, nous avons aus­si une mis­sion de sen­si­bi­li­sa­tion de l’opinion publique, mais aus­si de l’ensemble de nos par­ties pre­nantes, notam­ment publiques et ins­ti­tu­tion­nelles, comme les élus, le minis­tère de la San­té et même le pré­sident de la Répu­blique, pour accé­lé­rer notam­ment le pro­ces­sus d’autorisation de mise sur le mar­ché qui peut prendre des mois, voire des années. Le 7 décembre der­nier, nous avons co-rga­ni­sé la pre­mière jour­née natio­nale du can­cer du cer­veau. 

THERANOVIR est, quant à elle, une jeune entreprise innovante que vous avez cofondée en 2018. Quel est son périmètre d’action ?

Zakia Belaid-San­dal : Ini­tia­le­ment, je suis cher­cheuse, titu­laire d’un PhD en sciences bio­mé­di­cales et phar­ma­ceu­tiques et j’ai sui­vi des for­ma­tions d’onco-entrepreneur et HEC-Chal­lenge+ en ma qua­li­té de présidente/CEO de la star­tup. THERANOVIR a voca­tion à valo­ri­ser mes tra­vaux de recherche. Aujourd’hui, THERANOVIR tra­vaille sur le déve­lop­pe­ment de thé­ra­pies de rup­ture pour 3 patho­lo­gies étroi­te­ment liées : le can­cer, l’obésité et les mala­dies infec­tieuses. La connexion entre ces patho­lo­gies tourne autour d’une pla­te­forme de signa­li­sa­tion régu­lée par un com­plexe de pro­téines que j’avais décou­vert pen­dant mes tra­vaux de thèse. À ce jour, il existe plus de 2 000 publi­ca­tions qui mettent en cause ces pro­téines, la neuropiline‑1 (NRP‑1), la lep­tine et son récep­teur OBR, dans le méca­nisme de résis­tance thé­ra­peu­tique à la radio­thé­ra­pie, la chi­mio­thé­ra­pie, ou encore leur impli­ca­tion dans les rechutes ou le main­tien des cel­lules souches can­cé­reuses. Aucune étude ne s’est pen­chée sur le lien exis­tant entre ces pro­téines. 

Dans le cadre de mes tra­vaux sur des cel­lules grais­seuses, j’ai décou­vert l’interaction entre ces pro­téines et mis en évi­dence leur impli­ca­tion dans les méta­stases. De manière encore plus inté­res­sante, la décou­verte de NRP‑1 comme par­te­naire des deux pro­téines connues prin­ci­pa­le­ment pour leur impli­ca­tion dans l’obésité, ouvre un très grand champ d’investigation pour mieux com­prendre cette patho­lo­gie méta­bo­lique très com­plexe et qui repré­sente un risque de déve­lop­pe­ment de can­cers : en exemple can­cer du sein et du colon. 

Depuis tou­jours, je cherche à valo­ri­ser une approche trans­la­tion­nelle de la recherche afin d’aboutir à des appli­ca­tions concrètes. Aujourd’hui, la mis­sion et l’enjeu de THERANOVIR sont, pre­miè­re­ment, de sen­si­bi­li­ser le monde scien­ti­fique et les dif­fé­rentes auto­ri­tés de san­té à l’existence de ce com­plexe de pro­téines Leptine/NRP‑1/OBR pour ser­vir de test com­pa­gnon pour les thé­ra­pies anti-angio­gé­niques tel que l’Avastin auquel il existe une résis­tance avé­rée des patients. Et, deuxiè­me­ment, de déve­lop­per un anti­corps mono­clo­nal contre ce méca­nisme de résis­tance en ciblant ce com­plexe. 

THERANOVIR tra­vaille donc sur le déve­lop­pe­ment de l’anticorps NOV2 unique sur le mar­ché de l’oncologie au regard de sa pro­prié­té et de sa capa­ci­té à péné­trer dans le noyau des cel­lules can­cé­reuses. Actuel­le­ment, pour dégra­der l’ADN des cel­lules can­cé­reuses, on uti­lise des inhi­bi­teurs de PARP, des ADC…, mais là aus­si, les méde­cins et les patients sont confron­tés à de la résis­tance ou un échec thé­ra­peu­tique via des méca­nismes qui empêchent la molé­cule chi­mique d’atteindre le noyau. Avec notre anti­corps nous sou­hai­tons solu­tion­ner cette pro­blé­ma­tique, notre anti­corps peut aller dans le noyau, dégra­der l’ADN et réduire les télo­mères. Il va éga­le­ment réac­ti­ver la réponse immune anti­tu­mo­rale en agis­sant éga­le­ment sur les cel­lules du sys­tème immu­ni­taire. C’est dans ce cadre que j’ai été ame­née à m’intéresser au glio­blas­tome et à décou­vrir l’association Des étoiles dans la Mer.

En paral­lèle, nous tra­vaillons aus­si sur un second anti­corps pour trai­ter l’obésité et pré­ve­nir ain­si l’apparition de can­cer chez ces patients, car comme pré­cé­dem­ment men­tion­né, nous avons mis en exergue un lien entre ces patho­lo­gies. Sur le plus long terme, il s’agira aus­si de trai­ter aus­si les mala­dies infec­tieuses.  

Comment vous êtes-vous rencontrées ?

Z.B‑S : J’ai décou­vert Des Étoiles dans la Mer via le réseau Lin­ke­dIn. L’association et sa mis­sion ont immé­dia­te­ment rete­nu mon atten­tion. Aujourd’hui, dans le monde des asso­cia­tions de patients, très peu d’entre elles s’engagent dans le finan­ce­ment de jeunes star­tup en Bio­tech San­té mais beau­coup plus dans la recherche académique/publique . Des Étoiles dans la Mer financent des struc­tures comme THERANOVIR, qui sont très actives dans la recherche, même s’il per­siste dans l’opinion publique l’idée reçue selon laquelle la recherche fon­da­men­tale est uni­que­ment réa­li­sée par des labo­ra­toires publics ou aca­dé­miques. Ce finan­ce­ment a per­mis à THERANOVIR de pour­suivre ses recherches et ses déve­lop­pe­ments grâce à un pre­mier inves­tis­se­ment de 30 000 euros. Au-delà, c’est aus­si une forme de recon­nais­sance de la per­ti­nence de nos tra­vaux visant à lut­ter contre le glio­blas­tome et plus lar­ge­ment, toutes les formes de can­cers qui expriment notre cible.

Au-delà, j’ai aus­si béné­fi­cié de l’aide de l’association afin d’avoir accès aux lignées cel­lu­laires pour pou­voir mener nos recherches. L’association a mobi­li­sé son réseau pour m’aider à lever ce frein. C’est, d’ailleurs, ain­si que notre col­la­bo­ra­tion a commencé !

L.C‑L : Des étoiles dans la Mer finance effec­ti­ve­ment des équipes publiques et pri­vées qui tra­vaillent sur le glio­blas­tome. Nous avons ain­si sou­te­nu à hau­teur de 100 000 euros Glio­cure, une bio­tech. Nous sou­te­nons aus­si des enti­tés de recherche publique comme Mir­cade, Glio­tex de l’Institut du Cer­veau. Nous sommes aus­si en lien avec Heme­rion The­ra­peu­tics.  

Et aujourd’hui, quelles sont vos perspectives ?

Z.B‑S : Créée en 2018, THERANOVIR béné­fi­cie d’une licence glo­bale et exclu­sive de l’Inserm Transfert.

L’enjeu prin­ci­pal est donc de pour­suivre nos recherches. À ce stade, nous avons iden­ti­fié l’anticorps avec lequel nous allons nous enga­ger dans la phase régle­men­taire. Nous avons, par ailleurs, dépo­sé un bre­vet. Nous connais­sons son méca­nisme d’action. Pour iden­ti­fier les voies de signa­li­sa­tion d’une patho­lo­gie et déve­lop­per un trai­te­ment spé­ci­fique, il faut non seule­ment bien connaître la molé­cule en ques­tion, mais avoir aus­si une fine com­pré­hen­sion de la mala­die. Actuel­le­ment, nous nous inté­res­sons au glio­blas­tome, en paral­lèle des autres types de can­cers, avec un focus, néan­moins, sur le déve­lop­pe­ment des thé­ra­pies pour les adultes et les can­cers pédia­triques où il y a un véri­table manque. Dans cette démarche, nous sommes confron­tés à un réel frein, car nous avons beau­coup de dif­fi­cul­tés à lever des fonds en France pour­tant vitaux pour ren­for­cer notre équipe, faire de nou­veaux recru­te­ments et conti­nuer à déve­lop­per notre anti­corps qui est prêt à entrer en phase pré­cli­nique régle­men­taire. 

Le pro­jet onco­lo­gie de THERANOVIR est lau­réat du concours iLab 2020. Récem­ment, THERANOVIR a été lau­réate du concours NETVA Bos­ton suite à une sélec­tion par un jury d’experts amé­ri­cains pres­ti­gieux. C’est un gage de recon­nais­sance de la qua­li­té de notre inno­va­tion, mais aus­si de la per­ti­nence de la recherche que nous menons.

L.C‑L : Pour Des étoiles dans la Mer, le prin­ci­pal défi est de pour­suivre la sen­si­bi­li­sa­tion d’un public tou­jours plus large, car le glio­blas­tome est un can­cer qui reste lar­ge­ment mécon­nu. Alors que tout le monde connaît Octobre Rose, notre objec­tif, en 2024, est de faire connaître le gris, cou­leur qui ren­voie aux tumeurx céré­brales, en met­tant de grands rubans gris sur les prin­ci­pales places de plu­sieurs villes pour que cette mala­die soit plus visible. En paral­lèle, le mois de mai, mois des tumeurs céré­brales, sera éga­le­ment ponc­tué d’événements spor­tifs, cultu­rels et soli­daires. Nous allons ain­si orga­ni­ser une chaîne de nage soli­daire de 24 heures. L’association a, par ailleurs, été sélec­tion­née pour por­ter la flamme olym­pique. 

Nous pre­nons part éga­le­ment à tous les évé­ne­ments rela­tifs au glio­blas­tome, comme la semaine du cer­veau. Nous orga­ni­sons aus­si de plus en plus de confé­rences, de sémi­naires qui sont des moments pro­pices aux échanges et au par­tage d’expériences.

À la créa­tion de l’association, nous étions 20 adhé­rents, aujourd’hui, nous sommes 800. Nous avons donc un enjeu de struc­tu­ra­tion de notre action à l’échelle natio­nale et notam­ment régio­nale pour aug­men­ter notre impact et notre visi­bi­li­té. Ce début d’année est, enfin, éga­le­ment mar­qué par la sor­tie de mon livre, un témoi­gnage per­son­nel, spor­tif et pro­fes­sion­nel sur le glio­blas­tome, que j’ai inti­tu­lé Adi­shat, qui signi­fie « au revoir » en patois béar­nais. Ce livre est aus­si un hom­mage aux vic­times, aux patients, et aux familles. 

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