Tendances mondiales : de nouveaux défis pour la finance à l’âge de raison

Dossier : Le nouvel espace financierMagazine N°652 Février 2010
Par Pierre-Ignace BERNARD (90)

REPÈRES

REPÈRES
La crise actuelle amène de pro­fondes évo­lu­tions des règles et com­porte­ments, dic­tées par une volon­té de retrou­ver une vision saine des réal­ités. N’échappant pas à cette logique du « raisonnable », les acteurs de la finance voient se dessin­er un nou­v­el espace financier mon­di­al, avec ses nou­velles règles et de nou­veaux impérat­ifs. Ain­si, alors que les ban­ques avaient pris l’habitude de gér­er un bilan représen­tant jusqu’à 20–25 fois leurs cap­i­taux pro­pres, une nou­velle norme pour­rait s’établir autour de 14–15. De même, si l’endettement total de pays dévelop­pés tels que les États-Unis ou le Roy­aume-Uni a pu attein­dre à cer­taines péri­odes jusqu’à 350 % du PNB, la nou­velle cible pour­rait se situer plutôt autour de 200%.

Des nouvelles normes issues de la crise : l’âge de raison ?

L’é­conomie et la finance mon­di­ales ne ressor­tiront pas intactes de la crise de 2007–2009 et c’est sur de nou­veaux par­a­digmes que les sys­tèmes vont devoir se (re)construire.

Des besoins en investisse­ments d’en­v­i­ron 10 000 mil­liards d’eu­ros dont 40 % en Asie

Prin­ci­pal boule­verse­ment, les dif­férents acteurs s’ac­cor­dent sur le besoin de refo­calis­er l’at­ten­tion sur les fon­da­men­taux de l’é­conomie, à com­mencer par une vision à plus long terme et une réduc­tion de l’en­det­te­ment. Ain­si, dans le nou­v­el envi­ron­nement d’après-crise, l’ère du court terme et des retours sur investisse­ment de 20 % pour­rait bien être révolue.

Beau­coup d’en­tre­pris­es se con­tenteront prob­a­ble­ment désor­mais de retours sur cap­i­taux de 15 %, pourvu que ces derniers assurent une sta­bil­ité accrue sur le long terme et une résis­tance plus impor­tante aux chocs con­jonc­turels. Les retours sur investisse­ment des entre­pris­es s’in­scrivent par ailleurs à présent dans une per­spec­tive plus large, com­prenant notam­ment des attrib­uts non financiers tels que respon­s­abil­ité sociale et environnementale.

Six tendances structurantes pour l’industrie financière

Pour­tant, les change­ments générés par la crise finan­cière de 2007–2009 ne remet­tent pas en cause les ten­dances pro­fondes qui sont à l’oeu­vre dans une économie de plus en plus mon­di­al­isée. Dans le nou­v­el envi­ron­nement et la nou­velle norme d’après-crise, ces ten­dances de fond restent déter­mi­nantes pour le secteur financier sur le long terme. Six d’en­tre elles nous parais­sent par­ti­c­ulière­ment struc­turantes pour l’in­dus­trie financière.

Consommateurs

Pre­mière ten­dance : les pays émer­gents apporteront un mil­liard de con­som­ma­teurs sup­plé­men­taires. L’en­richisse­ment de ces pays devrait amen­er une aug­men­ta­tion de 10 % par an du nom­bre de leurs con­som­ma­teurs au cours des dix prochaines années. Pour les entre­pris­es, cette évo­lu­tion sig­ni­fie un mil­liard de clients poten­tiels supplémentaires.

Nou­veaux consommateurs
Sont con­sid­érés comme con­som­ma­teurs les indi­vidus vivant dans un foy­er dis­posant de plus de 5 000 US$ par an. Les nou­veaux con­som­ma­teurs vien­dront prin­ci­pale­ment de l’Inde (550 mil­lions), de la Chine (250 mil­lions), du Brésil (50 mil­lions) et de la Russie (50 millions).

Une urban­i­sa­tion gigan­tesque accom­pa­gne cette évo­lu­tion, qui devrait faire appa­raître vingt-cinq nou­velles méga­lopoles de plus de dix mil­lions d’habi­tants dans la prochaine décen­nie, pour la moitié d’en­tre elles situées en Chine et en Inde. En Chine, ce mou­ve­ment se répar­tit dans un assez grand nom­bre de villes de taille moyenne et se traduit par l’ex­plo­sion de cent soix­ante-seize zones urbaines de plus d’un mil­lion d’habi­tants qui offrent déjà les oppor­tu­nités d’un vaste marché plus facile d’accès. 

Infrastructures

Deux­ième ten­dance : la nais­sance de besoins mas­sifs de dépens­es en infra­struc­ture. Dans les cinq prochaines années, la crois­sance économique mon­di­ale devrait créer des besoins en investisse­ments d’en­v­i­ron 10 000 mil­liards d’eu­ros dont 40 % en Asie. Ces investisse­ments généreront cer­taine­ment des besoins pour de nou­veaux modes de finance­ment, dont les parte­nar­i­ats pub­lic-privé qui ont un fort poten­tiel de développe­ment, y com­pris en Chine. 

Vieillissement

Troisième ten­dance : les défis et oppor­tu­nités créés par le vieil­lisse­ment de la pop­u­la­tion. Les trente prochaines années devraient voir explos­er la pro­por­tion de retraités dans le monde, avec un ratio qui devrait pass­er de 2 ou 3 retraités pour 10 act­ifs aujour­d’hui à un ratio de plus de 4 retraités pour 10 actifs.

Un vieil­lisse­ment général
Le phénomène de vieil­lisse­ment est d’au­tant plus mar­qué dans les pays au faible renou­velle­ment démo­graphique comme le Japon ou l’I­tal­ie. Mais les pays émer­gents ne seront pas épargnés. Ain­si, en Asie, on s’at­tend à pass­er d’un retraité pour 10 act­ifs en 2001 à 2 pour 10 en 2020, et à dépass­er le nom­bre de 3 retraités pour 10 act­ifs avant 2050.

Dans les pays dévelop­pés, le vieil­lisse­ment de la pop­u­la­tion aura un impact majeur sur la pro­duc­tiv­ité des pays et les dépens­es de ser­vice pub­lic ; mais au-delà, cette ten­dance implique aus­si de nou­veaux besoins de ser­vices : par exem­ple, à l’hori­zon 2025, la France ver­ra aug­menter de 3,1 points la part, dans son PIB, des dépens­es sociales (soins de san­té, soins de longue durée et retraites) et la zone euro de 3,5 points (sources OCDE, BIPE).

Ressources

Qua­trième ten­dance : la lim­i­ta­tion des ressources face à une demande illim­itée. Alors que les besoins ne cessent de croître, l’aug­men­ta­tion de la pop­u­la­tion mon­di­ale et l’ac­céléra­tion de la crois­sance des pays en développe­ment génèrent une aug­men­ta­tion de la demande de ressources naturelles, l’a­menant à dépass­er struc­turelle­ment l’offre.

Une demande en ressources naturelles qui dépasse l’offre

Ain­si, en Chine, la demande en ressources naturelles a plus que dou­blé en dix ans pour la plu­part des matières premières.

Nouveaux flux

Cinquième ten­dance : le développe­ment de nou­veaux flux com­mer­ci­aux et financiers en dehors de l’Eu­rope et des États-Unis. Les prochaines années devraient égale­ment voir se nouer de nou­velles ententes com­mer­ciales, avec le développe­ment des échanges com­mer­ci­aux entre les pays émer­gents, par exem­ple entre l’Amérique latine et l’Asie, entre la Chine et l’Inde, ou encore entre l’Asie du Nord et l’Afrique.

Men­aces sur l’eau
En 2030, 40 % de la demande d’eau mon­di­ale pour­rait ne pas être sat­is­faite : en effet, en 2005, la demande mon­di­ale en eau s’él­e­vait à 4 200 mil­liards de m3. On prévoit qu’elle pour­rait attein­dre 6 900 mil­liards de m3 en 2030, ce qui cor­re­spond à un taux de crois­sance annuel moyen de 2 %, fon­da­men­tale­ment lié à la crois­sance démo­graphique, à l’in­dus­tri­al­i­sa­tion et à l’aug­men­ta­tion du niveau de vie des pop­u­la­tions des pays émergents.

Les flux sur ces ” nou­velles routes de la soie ” qui relient le Moyen-Ori­ent, la Chine et l’Asie du Sud pour­raient pass­er d’en­v­i­ron 60 mil­liards de dol­lars en 2005 à 350–500 en 2020. Déjà, les flux à l’in­térieur de l’Asie sont aujour­d’hui deux fois plus impor­tants que les flux entre l’Asie et le reste du monde et aug­mentent deux fois plus vite.

Par ailleurs, l’Asie con­tin­uera d’at­tir­er une part crois­sante des investisse­ments mon­di­aux, prin­ci­pale­ment parce que la crois­sance et les oppor­tu­nités s’y trou­vent. Jusqu’à main­tenant, les cap­i­taux excé­den­taires de l’Asie et du Moyen-Ori­ent étaient investis en Europe et en Amérique du Nord à plus de 80 %, pour une grande part sous forme de bons du Tré­sor améri­cain. Ces flux devraient être redirigés pour financer les besoins de développe­ment locaux.

Vers l’Asie

Six­ième ten­dance : le déplace­ment des cen­tres économiques et financiers vers l’Asie. Les cen­tres de revenus financiers vont se con­cen­tr­er sur l’Asie, du fait du développe­ment accéléré des pays émer­gents. Selon les mod­èles du McK­in­sey Glob­al Insti­tute, l’é­conomie de l’Asie hors Japon croî­trait plus rapi­de­ment que le reste du monde et égalerait le poids économique de l’Eu­rope de l’Ouest autour de 2025. Dans les ser­vices financiers, l’Asie devrait pass­er devant l’Eu­rope dès les prochaines années et attein­dre le niveau de l’Amérique du Nord vers 2012.

Anticiper les enjeux et opportunités pour le marché de la finance

Ces ten­dances de fond ont un impact inévitable sur l’é­conomie mon­di­ale. Pour les acteurs de la finance, elles représen­tent autant d’en­jeux que d’op­por­tu­nités à saisir.

Nou­veaux flux d’investissement
Entre 2002 et 2006, 73 % des flux de cap­i­taux sor­tant de pays du Golfe étaient à des­ti­na­tion des États-Unis et de l’Eu­rope con­tre 11 % à des­ti­na­tion de l’Asie. La pro­por­tion s’in­verse pro­gres­sive­ment et la part de l’Asie dans ces investisse­ments devrait dou­bler dans les trois à cinq prochaines années.

Par exem­ple, com­ment répon­dre aux besoins — par exem­ple dans les offres de crédit — liés aux nou­veaux besoins de con­som­ma­tion dans les pays émer­gents et s’or­gan­is­er pour touch­er les mil­lions de nou­veaux con­som­ma­teurs urbains ?

Com­ment saisir les oppor­tu­nités de nou­veaux pro­duits et ser­vices dans les pays occi­den­taux générés par le vieil­lisse­ment de la pop­u­la­tion ? Peut-on repenser la pro­tec­tion finan­cière des per­son­nes âgées pour pro­pos­er de nou­velles offres avec de nou­velles approches de commercialisation ?

Pour répon­dre aux besoins mas­sifs de finance­ment d’in­fra­struc­tures ou de développe­ment d’én­ergie pro­pre à tra­vers le monde — investisse­ments qui se chiffrent en mil­liers de mil­liards d’eu­ros — peut-on imag­in­er de nou­veaux instru­ments, comme des ” oblig­a­tions d’in­fra­struc­ture “, qui se sub­stitueraient au finance­ment ban­caire des pro­jets, à l’in­star des oblig­a­tions foncières ?

Enfin, naturelle­ment, com­ment se posi­tion­ner dans la course mon­di­ale vers l’Asie, qui con­tin­uera d’at­tir­er une part crois­sante des investisse­ments mon­di­aux, prin­ci­pale­ment parce que la crois­sance et les oppor­tu­nités s’y trou­vent ? Com­ment repenser les réseaux com­mer­ci­aux et l’or­gan­i­sa­tion des activ­ités pour s’in­scrire dans les flux com­mer­ci­aux et pren­dre part aux échanges entre pays émergents ?

Des stratégies adaptées à la nouvelle donne

Com­ment se posi­tion­ner dans la course mon­di­ale vers l’Asie

Ain­si, alors que la crise économique a redéfi­ni tout à la fois les niveaux d’at­tente et de ” nor­mal­ité ” dans le nou­v­el espace financier mon­di­al, les grandes ten­dances de fond qui façon­nent l’é­conomie mon­di­ale restent les fac­teurs les plus déter­mi­nants des défis qui se profilent.

Si la crise a incité les entre­pris­es à ren­forcer leur effi­cac­ité opéra­tionnelle, les enjeux de l’après-crise remet­tent la réflex­ion stratégique au cœur des pri­or­ités : où se posi­tion­ner ? Avec quelles inno­va­tions dans les pro­duits et mod­èles de ser­vices ? Com­ment redé­ploy­er ses ressources pour s’in­té­gr­er dans les nou­veaux équili­bres ? Face à ces nom­breux boule­verse­ments, en cours et à venir, la com­préhen­sion des enjeux et des oppor­tu­nités générés par les ten­dances de fond doit per­me­t­tre aux acteurs de la finance d’i­den­ti­fi­er les mou­ve­ments stratégiques à opér­er, dès à présent, pour cap­tur­er une part de la crois­sance mon­di­ale des prochaines années.

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