Sophie Brocart

Sophie Brocart (90), un parfum d’excellence

Dossier : TrajectoiresMagazine N°749 Novembre 2019
Par Pierre LASZLO

Elle fait preuve dans son par­cours, qui épouse sa per­son­na­li­té, de luci­di­té, d’anticipation, de juge­ment et d’un esprit de déci­sion, valeurs fortes qui la confortent dans sa fonc­tion de PDG. Mère de trois enfants, presque tous ado­les­cents, elle reste très pré­sente à eux et dès qu’elle le peut, les emmène en voyage aux quatre coins du monde. Quelles que soient ses contraintes pro­fes­sion­nelles, elle se fixe en objec­tif de visi­ter avec eux une expo­si­tion ou un musée chaque week-end.

Un milieu familial porteur

Elle sait à quel point la culture et l’art sont néces­saires au déve­lop­pe­ment de l’esprit. Elle est d’origine auver­gnate du côté de son père (son grand-père était issu du monde rural). Son père Gérard Conac, émi­nent consti­tu­tion­na­liste, était pro­fes­seur à la Sor­bonne. Il rédi­gea les Consti­tu­tions de plu­sieurs pays en voie de déve­lop­pe­ment, ain­si que de nom­breux livres qui font réfé­rence dans leur domaine. Sa mère Fran­çoise Conac, géo­graphe au CNRS, main­te­nant à la retraite, était spé­cia­liste de l’irrigation dans les pays médi­ter­ra­néens et a notam­ment beau­coup mili­té pour le res­ser­re­ment de liens fran­co-rou­mains. C’est ain­si que Sophie gran­dit dans une ambiance fami­liale qui la ren­dit fami­lière de l’élite intellectuelle.

Ses plus loin­tains et agréables sou­ve­nirs d’enfance sont de Nice où elle pas­sait ses vacances d’été chez sa grand-mère mater­nelle, per­son­na­li­té forte qui avait vécu sa jeu­nesse dans les Années folles, dévo­reuse de romans poli­ciers et déjà femme libé­rée. Col­lège Sévi­gné, Mai­son d’éducation de la Légion d’honneur, avant la pré­pa à Hen­ri-IV l’ont conduite fina­le­ment à Louis-le-Grand. Son choix d’études scien­ti­fiques sur­prit agréa­ble­ment ses parents, très lit­té­raires pourtant !

“Allier intelligence relationnelle
et intelligence émotionnelle”

Serai-je chimiste ?

À l’École, elle sui­vit la majeure de chi­mie, dont je m’occupais et dont elle me dit gar­der un excellent sou­ve­nir. Elle se rap­pelle aus­si avec bon­heur le cours d’Alain Fin­kiel­kraut. Dans le cadre de sa sco­la­ri­té, elle par­tit faire un stage à l’université Cor­nell, dans le labo­ra­toire de Jer­ry Mein­wald, pion­nier de l’étude de la com­mu­ni­ca­tion chi­mique chez les insectes. Il lui per­mit de suivre à Itha­ca (État de New York) des cours d’études ciné­ma­to­gra­phiques et d’art, en alter­nance avec ses recherches au labo­ra­toire. Autres ensei­gnants dont elle conserve un sou­ve­nir ébloui : Mme Sapri­stein à Sévi­gné, dans le pri­maire, qui lui fit décou­vrir les maths ; la nor­ma­lienne phi­lo­sophe Sabine Pro­kho­ris, en ter­mi­nale à la Légion d’honneur. Un sou­ve­nir sco­laire mar­quant est une grève de la faim à la Légion d’honneur qu’elle avait orga­ni­sée, par fra­ter­ni­té envers une élève injus­te­ment punie.

Sa der­nière année sur le Pla­teau, elle eut à sur­mon­ter une crise iden­ti­taire. Elle se ren­dit compte alors qu’il lui fal­lait se détour­ner d’une car­rière de scien­ti­fique, que les contacts humains étaient pour elle prio­ri­taires, et qu’elle devait aus­si cher­cher un métier qui lui per­met­trait d’être en contact avec l’art et la création.

Ce sera : dirigeante

Sophie Bro­cart dirige actuel­le­ment Jean Patou. Après quelques autres mis­sions du même type qu’elle a déjà menées à bien (Nicho­las Kirk­wood, J.W. Ander­son, etc.), cette mai­son de mode lui a été confiée par LVMH, lea­der mon­dial du luxe. Sa mis­sion est de faire renaître cette marque, d’un créa­teur mon­dia­le­ment célèbre dans les années 20 et 30. Et d’en faire un suc­cès endéans trois ans.

Cela n’effraie pas cette femme de carac­tère à la vie de mère de famille bien rem­plie. Elle décrit son rôle comme sem­blable à celui d’un pro­duc­teur de ciné­ma, qui serait à la fois décou­vreur de talents : elle est res­pon­sable aus­si du men­to­rat du prix LVMH, où elle par­ti­cipe à la décou­verte de nou­veaux talents et accom­pagne dans l’éclosion de leur car­rière les créa­teurs vedettes de demain.

Faire renaître Patou doit prendre en compte que les nou­veaux vec­teurs de com­mu­ni­ca­tion ont consi­dé­ra­ble­ment chan­gé la donne gou­ver­nant l’essor d’une marque. Pour exemple, à l’époque de la « pre­mière gloire de Patou », la mode ne com­por­tait que deux sai­sons par an ; aujourd’hui il faut en créer quatre, voire douze pour les marques de mode grand public. Le monde vit à un rythme accé­lé­ré par l’internet, les réseaux sociaux, et la mode accom­pagne cette évolution.

Un maître-mot : créativité

Sa prin­ci­pale qua­li­té dans sa pro­fes­sion est d’allier intel­li­gence rela­tion­nelle et intel­li­gence émo­tion­nelle. En effet, Sophie Bro­cart met très haut la créa­ti­vi­té, lorsqu’elle s’accompagne de géné­ro­si­té. Elle y puise son éner­gie. Tota­le­ment à l’aise dans les rela­tions humaines construc­tives, elle s’épanouit dans la ren­contre réus­sie de ces nou­veaux défis.

Elle appor­ta sa pierre à la pari­té homme-femme dans son entre­prise : 40 % des diri­geants de LVMH sont désor­mais des femmes, une évo­lu­tion majeure ces dix der­nières années. Elle est éga­le­ment fière de repré­sen­ter LVMH dans toutes ses mis­sions, un des fleu­rons de l’industrie du luxe mais aus­si de l’industrie fran­çaise. LVMH est actuel­le­ment la pre­mière capi­ta­li­sa­tion bour­sière de la Bourse de Paris, ce qui était loin d’être le cas quand elle choi­sit de faire car­rière dans la mode.

D’ailleurs, quand Sophie Bro­cart met gen­ti­ment un terme à cet entre­tien, avec un sou­rire tout auréo­lé d’une can­deur enfan­tine et son regard bleu bien­veillant, on se dit qu’il doit être très dif­fi­cile – même en tant qu’artiste – de se rebel­ler contre son approche tout en subtilité. 

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