Robots aériens : autonomie et sécurité des drones

Dossier : La RobotiqueMagazine N°655 Mai 2010
Par Patrick FABIANI (87)

Il existe de nom­breux mod­èles de drones couram­ment util­isés sur les théâtres d’opéra­tions mil­i­taires et depuis plusieurs décen­nies. La fia­bil­ité de ces drones et la sûreté de leurs sys­tèmes de con­trôle peu­vent encore être grande­ment améliorées : on est très loin du niveau actuel de sécu­rité des aéronefs pilotés.

REPÈRES
Qu’est-ce qu’un drone, sinon un “robot” aérien ? Encore faut-il appréci­er la sig­ni­fi­ca­tion de cette équiv­a­lence, si on l’ac­cepte, à sa juste valeur. Le terme ” robot ” ren­voie à la notion de ” tra­vailleur “, donc de tâche ou de mis­sion à accom­plir. Un drone est un engin sans pilote à bord, conçu pour réalis­er des mis­sions de façon plus sûre ou plus effi­cace qu’un engin piloté. Le reste est plutôt affaire d’aéro­mod­élisme. Sur le plan de l’an­ci­en­neté, les drones n’ont pas à rou­gir de la com­para­i­son avec leurs cousins robots : les mêmes mécan­ismes d’hor­logerie, qui gou­ver­naient les pre­miers auto­mates, ont per­mis le vol ” autonome ” des pre­miers drones dès la Pre­mière Guerre mon­di­ale. Pour l’ef­fi­cac­ité on a fait mieux depuis. Pour la sécu­rité aussi.

Les util­isa­teurs de drones cherchent des ter­rains d’ex­er­ci­ce adéquats, car les risques de dom­mages col­latéraux sont inac­cept­a­bles sous nos lat­i­tudes : l’Afghanistan ou l’I­rak con­vi­en­nent, le Koso­vo a con­venu, la fron­tière améri­canomex­i­caine a con­venu jusqu’au pre­mier accident.

On est très loin du niveau actuel de sécu­rité des aéronefs pilotés

On se soucie cepen­dant tou­jours d’ef­fi­cac­ité, car lorsqu’on perd le con­trôle d’un drone, il ne peut plus accom­plir sa mis­sion. D’ailleurs, les mis­sions des drones actuels sont encore restreintes à celles de l’avi­a­tion de la Pre­mière Guerre mon­di­ale, et encore : obser­va­tion certes, désig­na­tion d’ob­jec­tifs aus­si, bom­barde­ment peu, attaque très occa­sion­nelle­ment… pas de com­bat aérien, peu de trans­port, quelques acro­baties, mais unique­ment en laboratoire.

Pro­téger des vies
Les mis­sions de recherche et sauve­tage de per­son­nes en milieu hos­tile sont un exem­ple intéres­sant d’emploi des drones : ceux-ci pour­raient per­me­t­tre de ne pas expos­er inutile­ment un grand nom­bre de per­son­nes dans le but d’en sauver d’autres et de n’in­ter­venir qu’après éval­u­a­tion des risques.

Applications civiles

Un cer­tain nom­bre de travaux de recherche, cer­tains financés par la Com­mis­sion européenne, ont per­mis d’é­tudi­er les con­cepts d’ap­pli­ca­tions futures pos­si­bles des drones dans le domaine civ­il. Les drones sont cer­taine­ment une alter­na­tive tech­nologique sérieuse à l’emploi de satel­lites d’ob­ser­va­tion. Plus promet­teuse serait la pos­si­bil­ité d’employer ces engins dans des con­textes d’in­ter­ven­tion au sein d’ensem­bles d’a­gents plus com­plex­es ou comme mail­lons act­ifs d’un réseau d’in­for­ma­tion et de déci­sion. Un grand nom­bre de mis­sions en milieu hos­tile pour lesquelles il faut actuelle­ment ris­quer la vie de plusieurs per­son­nes pour­raient être con­sid­érées autrement si était faite la démon­stra­tion de la fais­abil­ité de drones dotés de capac­ités déci­sion­nelles suffisantes.

Suc­cès commercial
Yama­ha a ven­du plusieurs mil­liers de drones civils (Yama­ha R50 et RMaX) pour l’é­pandage agri­cole sur des champs de thé ou de riz au Japon et en Asie du Sud-Est. Ils volent bas et pas loin, mais ils sont renta­bles et opérés de façon rou­tinière. Ce suc­cès notable s’est accom­pa­g­né du déploiement d’un réseau de détail­lants, con­ces­sion­naires et garages où l’on peut faire réalis­er la vidan­ge et la révi­sion de son drone.

Les mis­sions de sur­veil­lance sont un exem­ple sim­ple : le sys­tème autonome prend en charge les tâch­es de pilotage et de guidage, ain­si que des tâch­es de veille pour lesquelles la vig­i­lance humaine est fail­li­ble. Il soulage véri­ta­ble­ment l’opéra­teur afin que celui-ci puisse se con­sacr­er à la ges­tion de la mis­sion. Au ray­on des appli­ca­tions poten­tielles, on trou­ve pléthore de propo­si­tions, depuis la lutte anti-incendie jusqu’à la sur­veil­lance des ouvrages d’art, le tout avec, pour le moment, une foule indis­tincte d’ap­pareils can­di­dats de toutes formes et de toutes tailles. Où l’on trou­ve plus cer­taine­ment une logique pro­mo­tion­nelle que prag­ma­tique de la part des fabricants. 

Sécuriser l’espace aérien

Sur ce marché émer­gent, des drones assez légers et de petite taille sont disponibles : quelques kilos. Ils ne sont pas très sûrs, mais ils sem­blent moins dan­gereux. Cepen­dant, la sim­ple ren­con­tre d’un petit drone et d’un pare­brise de véhicule pour­rait engen­dr­er un acci­dent très grave. D’où cer­taines réti­cences jus­ti­fiées. De façon générale, les besoins opéra­tionnels ne sont pas bien exprimés, les con­di­tions d’emploi ne sont pas pré­cis­es. La régle­men­ta­tion actuelle reste donc très générale, très con­traig­nante (“ lim­i­tante ”) pour garan­tir la sécu­rité des biens et des per­son­nes envi­ron­nantes, pour le moment sou­vent en inter­dis­ant les drones.

Autonomie
Les capac­ités d’au­tonomie ou “l’au­tonomie” définis­sent la capac­ité d’un sys­tème à s’adapter seul à son envi­ron­nement. Le drone étant con­stru­it pour être dédié à une tâche ou à une mis­sion, il est opéré par un opéra­teur, qui super­vise de façon très intéressée sa mis­sion ou son tra­vail. On recherche une plus grande effi­cac­ité en mis­sion en déchargeant l’opéra­teur de cer­taines tâch­es rou­tinières que les drones sont cen­sés assumer : n’ont-ils pas été ini­tiale­ment imag­inés pour les mis­sions rou­tinières, dan­gereuses ou sales (dull, dan­ger­ous and dirty) ?

Multiples expérimentations

Il existe des drones expéri­men­taux et de lab­o­ra­toire : l’u­ni­ver­sité de Geor­giaT­e­ch tra­vaille avec des héli­cop­tères Yama­ha R50 depuis 1995 et depuis 1998 avec son suc­cesseur le Yama­ha RMaX. L’u­ni­ver­sité de Berke­ley et celle de Carnegie Mel­lon de même tra­vail­lent sur ce type d’en­gins et en ont acquis de véri­ta­bles petites flottes aéri­ennes. L’équipe de l’US-Army Heli­copter Divi­sion local­isée dans le cen­tre de recherche d’Ames de la NASA tra­vaille avec des Yama­ha RMaX depuis 1999. En France, l’On­era tra­vaille sur ces mêmes engins depuis 2002 et sur d’autres petits drones depuis 1995. De nom­breuses uni­ver­sités et bureaux d’é­tudes indus­triels tra­vail­lent dans le domaine des drones dans le but de ren­dre ces derniers plus “autonomes”. 

Une conception adaptée aux performances

On cherche à dévelop­per l’au­tonomie des drones en regard des aspects liés à la con­cep­tion, aux per­for­mances et à la sécu­rité. La con­cep­tion d’un drone doit être adap­tée à sa mis­sion dans des con­di­tions d’emploi nom­i­nales et dégradées.

On trou­ve plus une logique pro­mo­tion­nelle que prag­ma­tique de la part des fabricants

En matière de per­for­mances, le drone a besoin d’une cer­taine intel­li­gence embar­quée pour lui per­me­t­tre de percevoir, de décider et de s’adapter locale­ment à l’en­vi­ron­nement et aux autres aéronefs ou agents, comme le ferait un pilote : atter­rir sans dan­ger, rat­trap­er une rafale de vent, éviter des obsta­cles imprévus, éviter les autres aéronefs, etc. Enfin, au plan de la sécu­rité, tout sys­tème de drones doit à tout moment rester sous le con­trôle des opéra­teurs qui le super­visent, en assur­ant une bonne infor­ma­tion sur la sit­u­a­tion. En cas d’ur­gence, le drone doit rester dans une enveloppe de sécu­rité garantie pour un retour au sol sans dan­ger pour autrui.

Des drones plus autonomes pour garan­tir plus de sécurité

Il peut être néces­saire d’avoir des drones plus autonomes pour garan­tir plus de sécu­rité, c’est prob­a­ble­ment le fac­teur le plus déter­mi­nant pour le développe­ment de l’au­tonomie des drones. 

Autonomie limitée

La notion ” d’au­tonomie ” a ain­si été attachée au terme de ” drone ” de façon quelque peu abu­sive. On entend main­tenant par­ler de “drones sous-marins “, ” drones marins “, voire “drones ter­restres “, mais c’est faire grande injus­tice aux robots qui peu­plent nos ouvrages de sci­ence-fic­tion, nos usines, nos lab­o­ra­toires de robo­t­ique et d’in­tel­li­gence arti­fi­cielle depuis fort longtemps main­tenant. On peut égale­ment trou­ver nom­bre d’ex­em­ples où une tâche peut être accom­plie par un drone, sans qu’il fasse preuve d’une très grande autonomie : les drones d’é­pandage agri­cole sont opérés manuelle­ment, car la ver­sion autonome du Yama­ha RMaX ne sait pas se pass­er d’un opéra­teur de sécu­rité au bord du champ à traiter, ni tenir compte de rafales soudaines de vent, ni faire une pause au moment du pas­sage d’é­col­iers ou d’autres pas­sants. Les drones mil­i­taires ne font guère plus que suiv­re leur plan de vol et les déroute­ments qu’on leur impose : si ce n’est pour­suiv­re automa­tique­ment une cible avec un cap­teur de désig­na­tion. La prise de déci­sion relève du com­man­de­ment et heureusement.

Automa­ti­sa­tion indispensable
Dans l’ex­em­ple d’une tâche d’ap­pon­tage d’un drone sur le pont d’un navire dans la houle, il est pra­tique­ment impos­si­ble à un opéra­teur déporté, qui plus est situé sur le navire en mou­ve­ment sous l’ef­fet de la houle, de pilot­er l’ap­pon­tage d’un drone, ni en pilotage à vue ni aux instru­ments. Il lui faudrait tout à la fois faire abstrac­tion des mou­ve­ments du navire pour mieux con­trôler ceux de l’aéronef d’une part et tenir compte des mou­ve­ments du navire pour mieux choisir le meilleur moment pour la manoeu­vre finale d’autre part. Les expéri­men­ta­tions améri­caines ont per­mis de con­clure à une impos­si­bil­ité pra­tique sur ce point.

Les phases critiques

On peut cepen­dant aus­si trou­ver des mis­sions ou des tâch­es, que l’on ne peut pas encore deman­der à un drone faute d’une plus forte autonomie du sys­tème. Le besoin d’au­toma­ti­sa­tion des phas­es cri­tiques au cours de ces tâch­es ou mis­sions appa­raît claire­ment lorsqu’il est forte­ment néces­saire de s’adapter à l’é­tat de l’ap­pareil ou à un envi­ron­nement immé­di­at changeant et incertain. 

Premiers succès

On cherche donc à ren­dre cer­tains drones plus autonomes et, en lab­o­ra­toire, on y arrive.

Prouess­es
Les drones “autonomes”, prin­ci­pale­ment ceux dévelop­pés par les lab­o­ra­toires, mais aus­si par les indus­triels du domaine, ont pu réalis­er des démon­stra­tions par­fois très spec­tac­u­laires comme des appon­tages sur pont de navire dans la houle, des “atter­ris­sages au pla­fond “, des “récupéra­tions” de capac­ités de con­trôle après perte asymétrique des deux tiers d’une aile.

Cer­taines démon­stra­tions de lab­o­ra­toire sont fondées sur des recherch­es avancées en traite­ment du sig­nal et intel­li­gence arti­fi­cielle, comme l’in­té­gra­tion de capac­ités de traite­ment d’im­age embar­quées per­me­t­tant des adap­ta­tions du vol et de la mis­sion : détec­tion et évite­ment d’ob­sta­cles ténus (câbles) ; suivi automa­tique de cibles mobiles ; explo­ration et car­togra­phie d’en­vi­ron­nements peu struc­turés (cou­verts forestiers) et mal con­nus (vil­lages endom­magés) ; replan­i­fi­ca­tion de la mis­sion à bord en fonc­tion de la per­cep­tion ou de la car­togra­phie de l’en­vi­ron­nement ; coor­di­na­tion de plusieurs engins pour la réal­i­sa­tion de tâch­es com­munes. Cer­tains drones sont plutôt ” des drones d’in­térieur “, qui se trou­vent très myopes et facile­ment éblouis à l’ex­térieur de bâti­ments, et d’autres sont des ” drones d’ex­térieur ” qui ont bien du mal à nav­iguer sans encom­bre entre ou dans les bâti­ments qui leur masquent leur sacro-saint sig­nal GPS. Le rythme des démon­stra­tions mon­tre l’ex­is­tence d’une réelle base tech­nologique pour avancer dans la bonne voie. 

Outils de preuve

Cepen­dant, il faut égale­ment con­stater que les démon­stra­tions réal­isées ne sont jamais étof­fées de garanties sat­is­faisantes de repro­ductibil­ité ou de robustesse. Les prouess­es accom­plies sont éphémères, rarement rou­tinières. Or en robo­t­ique, l’ef­fet “démo” mis à part, la physique a ten­dance à pren­dre le pas et à l’emporter sur le sys­tème arti­fi­ciel. Les capac­ités d’adap­ta­tion automa­tique ou autonome, dont on voudrait dot­er les drones, posent même de sérieux prob­lèmes quand il s’ag­it de prou­ver que le con­cept imag­iné est capa­ble de se com­porter de façon déter­min­iste par rap­port aux exi­gences de sécu­rité (à une autorité de cer­ti­fi­ca­tion ou d’au­tori­sa­tion de vol par exem­ple). “Cou­vrir ” tous les cas pos­si­bles, quels que soient les événe­ments et occur­rences dans l’en­vi­ron­nement non déter­min­iste, com­plexe, changeant et incer­tain du sys­tème est un voeu pieux : des out­ils de preuve sont nécessaires. 

Recherches multidisciplinaires

Out­re l’a­vancée de la matu­rité de cer­taines tech­nolo­gies, dont la maîtrise est l’a­panage des indus­triels du domaine, un cer­tain nom­bre d’a­vancées doivent être accom­plies au car­refour des recherch­es en automa­tique, intel­li­gence arti­fi­cielle, traite­ment du sig­nal et des images et sys­tèmes embar­qués (temps réel). Ces recherch­es sont ain­si con­duites au sein de la com­mu­nauté inter­na­tionale des lab­o­ra­toires de recherche, avec les organ­ismes insti­tu­tion­nels français et européens des domaines de la défense, de l’avi­a­tion civile et de l’in­térieur, ain­si qu’avec les indus­triels du secteur, pour une future util­i­sa­tion en sécu­rité des drones. 

Un triple constat

Les travaux de recherche actuels sont fondés sur le triple con­stat : il est pos­si­ble de dot­er un drone de capac­ités de déci­sion embar­quées, même pour des mis­sions assez com­plex­es ; de telles fonc­tions d’au­tonomie devront être intrin­sèque­ment liées à un gain d’ef­fi­cac­ité dans la mis­sion et surtout à une amélio­ra­tion de la sécu­rité et de la sûreté de fonc­tion­nement ; pour con­cevoir ces fonc­tions d’au­tonomie, on a besoin d’outils per­me­t­tant de garan­tir la sûreté de fonc­tion­nement dans tous les cas et de moyens pour prou­ver que le résul­tat après inté­gra­tion est con­forme aux exi­gences initiales. 

Les prouess­es accom­plies sont éphémères

Trois axes de travail

Les travaux por­tent donc sur trois axes essen­tiels : tout d’abord la coopéra­tion (un drone autonome n’est jamais “tout seul “, il coopère avec humains et robots); ensuite, la per­cep­tion (un drone autonome a besoin de percevoir son envi­ron­nement) ; enfin, la sûreté de fonc­tion­nement (un drone très ” intel­li­gent ” doit être d’au­tant plus fiable et per­me­t­tre qu’on le démontre).

Avec l’évo­lu­tion des tech­niques actuelles, et celle de la régle­men­ta­tion, on ne peut pas encore pré­ten­dre qu’on n’a jamais été aus­si proche de faire vol­er (insér­er) des drones en sécu­rité dans les espaces aériens, mais on peut affirmer qu’on n’a jamais été aus­si proche de s’at­ta­quer aux vrais points durs.

Drones et aéronefs pilotés

L’On­era a dévelop­pé un lab­o­ra­toire de drones expéri­men­taux et con­duit actuelle­ment des recherch­es mul­ti­dis­ci­plinaires en ce sens en col­lab­o­ra­tion avec le Lab­o­ra­toire de robo­t­ique et d’in­tel­li­gence arti­fi­cielle du LAAS-CNRS sur la con­cep­tion, l’amélio­ra­tion des per­for­mances et les moyens de garan­tir la sûreté de fonc­tion­nement et la sécu­rité des sys­tèmes de drones et de leurs sys­tèmes de con­trôle, avec des retombées égale­ment pour la sécu­rité et les per­for­mances des futurs avions et héli­cop­tères pilotés.

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