Un compagnon artificiel : NAO

Nao : un robot humanoïde à la française

Dossier : La RobotiqueMagazine N°655 Mai 2010
Par Bruno MAISONNIER (78)
Par Gwennaêl GÂTÉ (02)
Par Patrick Le MESRE de PAS (03)

Recevoir l’as­sis­tance quo­ti­di­enne d’un robot, corvéable à mer­ci, est un vieux rêve qui con­tin­ue d’al­i­menter un nom­bre phénomé­nal d’ef­forts et d’in­vestisse­ments à tra­vers le monde. Para­doxale­ment, si des sys­tèmes robo­t­iques ont pu être dévelop­pés pour faciliter l’exé­cu­tion de cer­taines tâch­es dans bon nom­bre d’usines, l’adap­ta­tion de ces sys­tèmes à nos envi­ron­nements fam­i­liers, apparem­ment moins extrêmes — mais en réal­ité beau­coup plus imprévis­i­bles — est difficile.

REPÈRES
Les Japon­ais font légitime­ment fig­ure de leader dans le domaine des robots domes­tiques. Pour des raisons démo­graphiques, ce sont eux qui sont par­tis les pre­miers sur cette voie. Cer­taines de leurs multi­na­tionales (Toy­ota, Hon­da, Sony) ou cer­tains de leurs cen­tres de recherche s’il­lus­trent régulière­ment en con­ce­vant des robots capa­bles d’ef­fectuer des tâch­es à chaque fois inédites (mon­ter les escaliers, courir, etc.). Néan­moins, la plu­part de ces pro­to­types ont prin­ci­pale­ment voca­tion à servir de plate­forme de recherche ou de vit­rine tech­nologique pour l’en­tre­prise ou le lab­o­ra­toire qui les a fait naître. Ces robots, dont la com­plex­ité se paye très cher (cen­taines de mil­liers à mil­lions de dol­lars), ne sont donc pas de véri­ta­bles pro­duits com­mer­ci­aux. Le robot humanoïde un peu sophis­tiqué le plus ven­du au monde n’est ain­si pas japon­ais ou améri­cain, mais bel et bien français, conçu et fab­riqué par Alde­baran Robot­ics, à Paris.

Le chal­lenge est pour­tant de taille : toutes les études s’é­tant penchées sur les impacts qu’au­rait l’avène­ment de la robo­t­ique domes­tique font état d’un marché à très fort potentiel.

Un com­pagnon artificiel

Le pro­jet un peu fou d’ini­ti­er en France ce que cer­tains con­sid­èrent comme la prochaine grande aven­ture indus­trielle est depuis cinq ans celui de Bruno Maison­nier (78) et de ses 80 salariés. Le pre­mier-né de la famille Alde­baran s’ap­pelle Nao, pèse 4,3 kg et mesure 58 cm. Doté de jambes, bras et mains artic­ulés ain­si que de nom­breux cap­teurs (2 caméras, 4 micro­phones, des sonars, cap­teurs de pres­sion, cen­trale iner­tielle, etc.), ce robot humanoïde mobile est doué de capac­ités cog­ni­tives lui per­me­t­tant par exem­ple d’in­ter­a­gir avec un inter­locu­teur, d’at­trap­er un objet, de com­pren­dre plusieurs cen­taines d’or­dres, de se relever quand il tombe, etc. Il a tout le poten­tiel d’un com­pagnon arti­fi­ciel, dont il faut main­tenant enrichir les com­porte­ments et usages, et pour cela est large­ment et facile­ment pro­gram­ma­ble pour ceux qui veu­lent par­ticiper à l’avène­ment des robots assis­tants personnels.

Nao, premier robot humanoïde français

Le pre­mier robot humanoïde français, Nao, est déjà ven­du comme plate­forme de développe­ment à plusieurs cen­taines de lab­o­ra­toires dans le monde, choisi en rem­place­ment du robot con­cur­rent de Sony comme plate­forme stan­dard pour la coupe du monde robo­t­ique de foot­ball, les pre­miers pas du petit robot humanoïde français sont promet­teurs. Nao reste néan­moins large­ment à inven­ter : appli­ca­tions, design, impacts sur notre vie quo­ti­di­enne sont autant de sujets clés qu’il reste à définir. 

Des applications utiles

À quoi peut bien servir un robot domes­tique ? Cette ques­tion amène sou­vent les mêmes répons­es : faire la cui­sine, le ménage et repass­er les chemis­es. Mal­heureuse­ment la plu­part de ces tâch­es restent pour le moment tech­nologique­ment hors de portée. Il existe néan­moins un cer­tain nom­bre d’ap­pli­ca­tions où un robot domes­tique peut d’ores et déjà trou­ver une réelle utilité.

Ces appli­ca­tions sont à chercher dans trois grands domaines :
— l’aide à la per­son­ne, le loisir et l’é­d­u­ca­tion. En voici quelques exem­ples : détecter qu’une per­son­ne est tombée ou qu’elle a besoin d’aide. Si besoin, con­tac­ter son médecin, un cen­tre de sur­veil­lance ou un mem­bre de sa famille ; et bien­tôt, l’aider à se relever. Cela per­me­t­tra de retarder le recours à un cen­tre spé­cial­isé pour les per­son­nes devenant dépendantes ;
— racon­ter des his­toires à des enfants, faire des quiz, leur appren­dre à par­ler anglais en les reprenant sur leur accent, les exercer au cal­cul men­tal ou toute autre fonc­tion d’edu­tain­ment ;
— équiper des salles de classe pour attir­er les étu­di­ants dans les fil­ières tech­niques telles que l’in­for­ma­tique, l’élec­tron­ique ou l’au­toma­tique, etc.

Pourquoi l’apparence humanoïde ?

Les avis sont var­iés et rarement con­ver­gents lorsqu’il s’ag­it d’imag­in­er la forme qu’un robot domes­tique devrait épouser. Si la lit­téra­ture et le ciné­ma imag­i­nent la plu­part du temps des robots capa­bles de se déplac­er libre­ment dans l’en­vi­ron­nement dans lequel ils se trou­vent, l’in­térêt du car­ac­tère “mobile” d’un sys­tème robo­t­ique domes­tique ne va pas de soi.

L’adapt­abil­ité à l’en­vi­ron­nement domestique
La forme humanoïde est pénal­isante pour la mobil­ité. Faire marcher un robot à pattes est une fonc­tion­nal­ité com­plexe. Mais dans la mesure où les défis sci­en­tifiques liés à la marche humanoïde sont maîtrisés, ce qui est pra­tique­ment le cas, le prob­lème change totale­ment ; il devient une ques­tion de “ren­de­ment de la marche”, en ter­mes de coût d’ac­qui­si­tion, de coût d’au­tonomie, mais aus­si d’op­por­tu­nités de la forme. L’u­til­i­sa­tion du même moyen de loco­mo­tion que l’homme per­met en principe l’adapt­abil­ité par­faite du robot à tout type d’en­vi­ron­nement domes­tique (escaliers, march­es, etc.) et d’adapt­abil­ité aux objets. Acquérir un robot ne vous oblig­era pas à chang­er d’aspi­ra­teur, de meubles, d’usten­siles, ni à équiper vos escaliers d’un monte-charge.

S’il s’ag­it seule­ment pour un robot de don­ner l’alerte en cas de chute de la per­son­ne qu’il sur­veille, il est prob­a­ble qu’un sys­tème de per­cep­tion per­for­mant fixé par exem­ple au pla­fond de la pièce à sur­veiller soit une stratégie plus opti­male que de déploy­er un robot mobile dans cette pièce. La puis­sance de cal­cul économisée par l’ab­sence de sys­tème de loco­mo­tion et de nav­i­ga­tion peut alors être mise au prof­it de la fonc­tion­nal­ité cri­tique ici : la per­cep­tion. Néan­moins, tout sys­tème robo­t­ique sta­tique se heurte à une lim­i­ta­tion impor­tante : une zone de fonc­tion­nement lim­itée ; il faudrait équiper tout l’en­vi­ron­nement. À l’in­verse, un robot mobile aura voca­tion à pou­voir fonc­tion­ner dans une large zone (plusieurs pièces d’un apparte­ment par exem­ple) mais doit pou­voir assumer la com­plex­ité des prob­lèmes liés à ses capac­ités de déplace­ment (éviter de se pren­dre les pieds dans les tapis, ouvrir les portes, etc.). Faire le pari d’un sys­tème mobile pour l’en­vi­ron­nement domes­tique est donc plus risqué mais aus­si plus ambitieux. Dans ce cas, un robot à roues sera bien plus effi­cace et sim­ple ; pour peu qu’il n’y ait pas de march­es d’escalier ou pas de portes. 

La meilleure forme d’interaction avec les personnes

Nous sommes nous-mêmes ” pro­gram­més géné­tique­ment” pour inter­a­gir avec des humains, pour ” détecter et recon­naître des vis­ages ” partout (on joue à voir des vis­ages dans les nuages, dans les arbres), pour recevoir des affects posi­tifs des formes de l’en­fance, des têtes sur­di­men­sion­nées avec de grands yeux bas placés sur le vis­age et des mem­bres courts et trapus ;

La robo­t­ique domes­tique est un marché à fort potentiel

le monde des car­toons ou de la pub s’en est saisi depuis longtemps et nous a fait aimer des bon­shommes Miche­lin, ou des Mick­ey, Don­ald ou autres Titi et Gros Minet dont les formes sont celles des enfants humains. La meilleure forme pour inter­a­gir avec les humains est la forme humanoïde. Même Wall‑e, dont la forme de base est celle d’un robot à che­nilles, agit et bouge en fait comme un humanoïde. 

L’acceptabilité est un défi important

Le déploiement des robots dans nos quo­ti­di­ens n’est enfin pas seule­ment dépen­dant de la lev­ée de cer­tains ver­rous tech­nologiques. L’ac­cept­abil­ité d’un tel ” out­il ” est un défi impor­tant qui dépend en par­ti­c­uli­er de son apparence. Les études mon­trent qu’un robot humanoïde est plus facile­ment adop­té par des non-tech­ni­ciens s’il pos­sède un cer­tain degré de ressem­blance avec l’homme… sans pour autant lui ressem­bler totalement.

La forme humanoïde est pénal­isante pour la mobilité

Les robots humanoïdes Repliee Q1 et R1 dévelop­pés par l’u­ni­ver­sité d’Osa­ka, conçus pour ressem­bler le plus pos­si­ble à l’homme, se sont ain­si avérés rel­a­tive­ment effrayants. Nao prend ain­si la forme générale d’un enfant mais s’en dif­féren­cie suff­isam­ment pour sus­citer la sym­pa­thie, plutôt que la peur. 

Créer ou détruire des emplois

Même s’il est encore trop tôt pour imag­in­er com­plète­ment les impacts soci­aux et socié­taux que l’avène­ment de la robo­t­ique domes­tique est sus­cep­ti­ble de provo­quer, il est d’ores et déjà pos­si­ble d’a­vancer un cer­tain nom­bre d’hy­pothès­es. Si des robots débar­quent un jour dans nos apparte­ments, nos écoles, ou nos hôpi­taux pour exé­cuter des tâch­es qui sont, jusque-là, effec­tuées par l’homme, il y a fort à pari­er que l’im­pact sur l’emploi peu qual­i­fié sera négatif. Néan­moins, la con­cep­tion et la pro­duc­tion de tels robots, et surtout des logi­ciels et des ser­vices, seront à l’in­verse forte­ment généra­tri­ces d’emplois dans les pays où elles pren­dront place. Les robots créeront des emplois dans les pays four­nisseurs de robots, et en détru­iront chez les ” sim­ples con­som­ma­teurs “. Comme Inter­net et la micro-infor­ma­tique l’avaient fait en faveur des États-Unis et au détri­ment de l’Eu­rope. Or la machine est en marche : l’avène­ment de la robo­t­ique a déjà com­mencé en Asie ; il est donc préférable de par­ticiper à la révo­lu­tion qui s’an­nonce plutôt que de la subir.

Un animal de compagnie

Par ailleurs, on peut légitime­ment s’in­ter­roger sur la façon dont de tels robots se com­porteront dans l’exé­cu­tion de leurs tâch­es : prob­a­ble­ment sans sub­til­ité, ni com­préhen­sion, en tout cas infin­i­ment moins qu’un humain. L’emploi de tels sys­tèmes ne con­stituera un pro­grès que s’ils ont une com­préhen­sion plus large que ce pour quoi ils ont été spé­ci­fique­ment conçus : l’as­sis­tance, le diver­tisse­ment et la for­ma­tion. S’il est presque évi­dent de penser que de tels sys­tèmes ne sauront par exem­ple jamais résoudre à eux seuls le prob­lème de la soli­tude des per­son­nes isolées, il est néan­moins prob­a­ble qu’un tel sys­tème puisse pro­gres­sive­ment endoss­er le rôle d’an­i­mal de compagnie.

Les atouts de la France

Alde­baran n’est évidem­ment pas la seule entre­prise à se lancer dans la robo­t­ique de service.

Sécu­rité et vie privée
De tels sys­tèmes, con­nec­tés à Inter­net et doués de capac­ités de per­cep­tion et d’ac­tion, posent enfin un sujet majeur en ter­mes de sécu­rité et du prob­lème du respect de la vie privée, luimême lié à celui de la sécu­rité infor­ma­tique. Il est à pari­er que de tels sys­tèmes représen­teront des cibles moti­vantes pour un hack­er voulant récupér­er des don­nées sen­si­bles, acquis­es par les caméras embar­quées du robot par exem­ple. Par ailleurs, il est pos­si­ble d’imag­in­er des virus “robo­t­iques” à l’ac­tion orig­i­nale : repér­er, saisir et laiss­er tomber une assi­ette tous les jours à midi. Toutes les solu­tions à ces ques­tions restent à inven­ter. Impérativement.

Des entre­pris­es japon­ais­es, dont Hon­da et Kawa­da Indus­tries ont une cer­taine avance, talon­nées très sérieuse­ment par les Coréens et les Chi­nois. Mais Alde­baran a déjà, en plus d’une cer­taine notoriété, une approche orig­i­nale, est située en France et est large­ment soutenue par ses fonds d’in­vestisse­ments CDC Inno­va­tion et iSource, ain­si que par les pou­voirs publics. La France a, en effet, des atouts impor­tants en robo­t­ique de ser­vice grâce à son mix de capac­ités con­ceptuelles de haut niveau, d’ex­cel­lence en soft­wares, de grand savoir-faire en méca­tron­ique, et par sa rela­tion plus ” philosophique ” avec la robo­t­ique : focal­isée sur les usages et préoc­cupée par l’ac­cep­ta­tion, par oppo­si­tion aux préoc­cu­pa­tions de défense des Améri­cains, ou celles résul­tant de rêves d’ingénieurs asi­a­tiques. C’est bien sûr une car­i­ca­ture grossière, mais l’in­ten­sité des pub­li­ca­tions par des lab­o­ra­toires de R&D français (troisièmes en nom­bre absolu de pub­li­ca­tions sci­en­tifiques en robo­t­ique) et leur qual­ité vont dans ce sens. C’est égale­ment vrai de l’Allemagne.

Il est préférable de par­ticiper à la révo­lu­tion plutôt que de la subir

Les aides et sub­ven­tions à la créa­tion d’en­tre­pris­es, au sou­tien à la recherche, à la créa­tion d’emplois, celles de niveau nation­al ou européennes, de la Région Île-de-France (très impliquée) ou de la ville de Paris, com­plè­tent ce tableau en ren­dant com­péti­tive une implan­ta­tion à Paris. L’ac­com­pa­g­ne­ment par un pôle de com­péti­tiv­ité comme Cap Dig­i­tal, au sein duquel le clus­ter Cap Robo­t­ique a été créé (voir arti­cle par ailleurs dans ce même dossier), per­met de savoir béné­fici­er de ces possibilités. 

Une plateforme programmable 

Un tournoi de football
Un exem­ple de coopéra­tion avec les com­mu­nautés d’u­til­isa­teurs par­ti­c­uliers ou pro­fes­sion­nels, en par­ti­c­uli­er les lab­o­ra­toires de recherche, la Robocup, tournoi de foot de robots, à laque­lle par­ticipent 350 équipes de R&D dans le monde, et dont Nao est devenu la “plate­forme standard”.

Pour pro­gress­er avec une petite équipe vers des robots assis­tants per­son­nels effi­caces, donc traiter les quelque deux mille sujets néces­saires, Alde­baran Robot­ics a fait le choix de fournir au marché une plate­forme robo­t­ique pro­gram­ma­ble qui per­met aux util­isa­teurs de dévelop­per eux-mêmes des appli­ca­tions et de se les échang­er via un sys­tème d’échange de com­porte­ments. Cette plate­forme a le “min­i­mum néces­saire et suff­isant” pour explor­er tous les aspects de la robo­t­ique à un prix accept­able. Tourné vers les “usages”, Nao saura évoluer vers un robot d’as­sis­tance per­son­nel, surtout grâce à la com­mu­nauté des développeurs et util­isa­teurs. Des lab­o­ra­toires de R&D médi­caux, des équipes tra­vail­lant sur l’edu­tain­ment, ou sur l’as­sis­tance aux malvoy­ants font égale­ment par­tie de ces com­mu­nautés de développeurs. Tout porte à croire que nous allons assis­ter à ce qui s’est passé dans les années qua­tre-vingt pour l’in­for­ma­tique per­son­nelle : un grand nom­bre de pas­sion­nés vont par­ticiper à l’aven­ture et déter­min­er, imag­in­er, con­cevoir les appli­ca­tions qui ren­dront l’u­til­i­sa­tion d’un robot per­ti­nente. La robo­t­ique domes­tique s’ap­prête donc, tout comme l’in­for­ma­tique, à définir elle-même les con­tours de son marché.

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