Rigault de Genouilly

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°592 Février 2004Par : Bulletin n° 35 de la SabixRédacteur : Jean-Paul DEVILLIERS (57)

Por­té par son pen­chant pour les grands explo­ra­teurs, Chris­tian Mar­bach, Pré­sident de la Sabix, avait consa­cré le bul­le­tin n° 31 à Hya­cinthe de Bou­gain­ville, poly­tech­ni­cien de la pro­mo­tion 1799, qui com­man­da une expé­di­tion autour du monde entre 1824 et 1826. Dans le bul­le­tin n° 35 il étend son pro­pos à l’ensemble des anciens élèves qui ont ser­vi dans la marine, l’hydrographie, la signa­li­sa­tion mari­time… À par­tir du Dic­tion­naire des marins fran­çais publié récem­ment par Étienne Taille­mite, il en dresse une liste et cherche à en déga­ger une vision glo­bale en dis­tin­guant trois groupes prin­ci­paux, un gros tiers de “ tech­no­logues ”, un petit tiers de plu­tôt “ géo­graphes ”, un tiers à domi­nante déli­bé­ré­ment militaire.

Par­mi ce groupe Rigault de Genouilly mani­feste sa forte per­son­na­li­té et le bul­le­tin est cen­tré sur sa bio­gra­phie pré­sen­tée par Étienne Taille­mite, his­to­rien et membre de l’Académie de marine. Le récit de la car­rière assez mou­ve­men­tée d’un homme opi­niâtre et auto­ri­taire illustre de façon vivante l’histoire de la poli­tique exté­rieure de la France au cours du XIXe siècle. En effet, Rigault de Genouilly, poly­tech­ni­cien de la pro­mo­tion 1825, appa­raît sur tous les fronts, l’expédition de Morée, le débar­que­ment de Sidi-Fer­ruch, la bataille de Lis­bonne, le débar­que­ment d’Ancône, une pre­mière cam­pagne en Extrême-Orient (1847), la guerre de Cri­mée, puis la conquête de Saï­gon. Nom­mé ministre de la Marine en 1867, il œuvre acti­ve­ment pour la pré­pa­ra­tion des navires de com­bat et pour l’instruction des hommes, mais à la décla­ra­tion de guerre la situa­tion géné­rale paraît bien com­pro­mise et le pro­jet aven­tu­reux d’un débar­que­ment sur les rivages prus­siens de la Bal­tique est aban­don­né… puis il quitte le gou­ver­ne­ment dans les tristes cir­cons­tances du 4 sep­tembre 1870.

Rigault de Genouilly fut aus­si le pre­mier pré­sident de la Socié­té cen­trale de sau­ve­tage des nau­fra­gés, ce qui donne à Chris­tian Mar­bach l’occasion d’appeler l’attention des lec­teurs sur la richesse des archives de la Socié­té de sau­ve­tage en mer.

Vincent Gui­gue­no (88), auteur d’un ouvrage récent sur le Ser­vice des phares, sou­ligne l’importance des tra­vaux col­lec­tifs de la Com­mis­sion ins­ti­tuée par le comte Molé en 1811 dans la construc­tion d’un réseau de phares sur les côtes de France au cours du XIXe siècle. Il met en ques­tion le mythe entre­te­nu autour de la figure tuté­laire de Fres­nel dont le mérite n’est peut-être pas tant la réa­li­sa­tion des len­tilles à éche­lon… que son obs­ti­na­tion à faire réa­li­ser un appa­reil dont chaque élé­ment – les len­tilles, la lampe et le sys­tème de rota­tion – appar­te­nait à des domaines de com­pé­tences jusqu’alors dis­joints… Quant aux empla­ce­ments des phares, ils furent déci­dés non pas au coup par coup en réponse à des catas­trophes mari­times, mais comme un sys­tème résul­tant d’une logique fon­dée sur des expé­riences et des savoirs scientifiques.

Oli­vier Cha­puis traite des rela­tions entre l’École poly­tech­nique et l’hydrographie fran­çaise. Il rap­pelle que si l’École est très rapi­de­ment deve­nue le four­nis­seur exclu­sif du corps des ingé­nieurs hydro­graphes, la for­ma­tion pra­tique de ces der­niers… a long­temps été mar­quée de l’empreinte… de Beau­temps-Beau­pré, père de l’hydrographie moderne.

Mais com­ment les marins auraient-ils navi­gué sans scru­ter le ciel ? Jus­te­ment l’image du ciel constel­lé sert d’affiche à la remar­quable expo­si­tion réa­li­sée par la Biblio­thèque de l’École, inti­tu­lée La tête dans les étoiles à l’École poly­tech­nique, l’astronomie à l’origine des sciences. La biblio­thèque pré­sente une belle série d’instruments du XIXe siècle prê­tés par l’IGN, des pan­neaux rap­pe­lant les grandes étapes de la mesure du monde, et de vieux trai­tés d’astronomie habi­le­ment pré­sen­tés dans les salles de lecture.

Le bul­le­tin Sabix accom­pagne cette mani­fes­ta­tion par un bref article, “Les X astro­nomes”, rédi­gé par Mar­tin Lemoine (88, Ins­ti­tut d’astrophysique de Paris) et Guy Per­rin (90, Obser­va­toire de Paris). Ce texte rela­ti­ve­ment court, mais clair et dense, résume les contri­bu­tions des poly­tech­ni­ciens aux pro­grès de l’astronomie au cours du XIXe siècle. Il montre que si les Fran­çais ont pris une part active aux suc­cès écra­sants de la méca­nique céleste à cette époque, ils ont coopé­ré aus­si à la muta­tion de l’astronomie en une astro­phy­sique dotée d’instruments d’investigation puis­sants qui per­mettent de quan­ti­fier les carac­té­ris­tiques des objets célestes. Ceci alors qu’au début de ce siècle Auguste Comte déses­pé­rait de ne pou­voir un jour connaître la com­po­si­tion des astres !

Le bul­le­tin n° 35 s’achève par la trans­crip­tion d’un expo­sé pro­non­cé par Gilles Cos­son (57) devant l’assemblée géné­rale de la Sabix sur le thème : Le roman his­to­rique : démarche per­son­nelle ou recons­ti­tu­tion ? Dans une pre­mière par­tie, d’analyse cri­tique, le confé­ren­cier s’appuyait sur une riche expé­rience de lec­teur pour s’interroger sur les attri­buts qui peuvent nous conduire à consi­dé­rer une oeuvre lit­té­raire comme un roman his­to­rique. Dans une deuxième par­tie, il des­si­nait sans aucun fard les cir­cons­tances et le che­mi­ne­ment intel­lec­tuel très per­son­nel qui l’ont ame­né à écrire de tels romans1. Pour notre part ajou­tons que si Gilles Cos­son construit ses romans à par­tir d’une explo­ra­tion scru­pu­leuse de docu­ments d’archives et d’une réflexion lucide sur les grands pro­blèmes tou­chant à la phi­lo­so­phie ou à la poli­tique, il réus­sit par­fai­te­ment à faire res­sen­tir par son lec­teur l’émotion des grands pay­sages et des situa­tions d’extrême ten­sion dans les­quelles il place sou­vent ses personnages.

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1. Aren­na, Flam­ma­rion, 1988.
Les tau­reaux de Khor­sa­bad, Plon, 1993.
Le Che­va­lier de Saint-Jean d’Acre, Plon, 1995.
Tour­mente et Pas­sion, édi­tions de Paris, Max Cha­leil, 2001.

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