Le Parrain

Nino Rota : Le Parrain

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°739 Novembre 2018Rédacteur : Marc Darmon (83) et Laurent Darmon, docteur en sociologie du cinéma

Il est nor­mal qu’au bout de treize ans cette rubrique con­sacrée à la musique clas­sique sous forme de con­certs et d’opéras filmés s’intéresse une fois à la musique de film. Et notam­ment pour un clas­sique du ciné­ma s’il en est Le Par­rain de Fran­cis Ford Coppola.

La musique du Par­rain est presque aus­si célèbre que le film lui-même. C’est dire l’impact de sa bande orig­i­nale. Le film avait été pen­sé ini­tiale­ment avec un bud­get raisonnable, mais la Para­mount choisit finale­ment de lancer une nou­velle poli­tique com­mer­ciale qui s’appuierait désor­mais sur une super­pro­duc­tion annuelle ser­vant de « loco­mo­tive » aux autres pro­duc­tions du stu­dio. L’adaptation du roman à suc­cès de Mario Puzo sera la pre­mière expéri­ence en 1972 de cette stratégie gag­nante puisque le film devien­dra le pre­mier à attein­dre le seuil des 100 M$ de recettes aux États-Unis (4 mil­lions d’entrées en France).

Fran­cis Cop­po­la cher­chait un com­pos­i­teur ital­ien à qui con­fi­er la musique de son film sur une com­mu­nauté ita­lo-améri­caine mafieuse. Même si la livrai­son des com­po­si­tions musi­cales con­nut quelques dif­fi­cultés (retard et refus d’enregistrement de la part du com­pos­i­teur), Cop­po­la trou­va en Nino Rota l’artiste idéal, qui allait pro­pos­er une musique accom­pa­g­nant idéale­ment cette his­toire de famille à la fois intime et baroque. Nino Rota, comme Ennio Mor­ri­cone, est un com­pos­i­teur clas­sique (il a fait ses études musi­cales au Cur­tis Insti­tute à Philadel­phie dans les années 30) mais qui est plus con­nu pour ses musiques de films (au-delà des trois Par­rains, il est surtout con­nu pour ses musiques pour Felli­ni, La Stra­da, La Dolce Vita, etc.). On lui doit pour­tant aus­si notam­ment qua­tre sym­phonies, des musiques de cham­bre et quelques opéras.

La musique qu’il com­posa pour Le Par­rain fit le tour du monde. Il y eut des repris­es un peu partout du fameux Love theme. À la sor­tie du film, Andy Williams chante sur cet air : Speak soft­ly love. Il devient Par­le plus bas chan­té par Dal­i­da en France. Il existe aus­si une ver­sion espag­nole, ital­i­enne et même ukraini­enne. Cette fameuse musique se dirigea vers un Oscar, à l’image du film lui-même qui en gagna trois dont celui du meilleur film, après avoir gag­né le Gold­en Globe de la meilleure musique. Mais après avoir reçu une nom­i­na­tion à l’Oscar, la musique fut dis­qual­i­fiée de la com­péti­tion. On reprocha à la bande orig­i­nale de repren­dre un thème d’un autre film : For­tunel­la, un film de Eduar­do De Fil­ip­po datant de 1958 (et large­ment inspiré du ciné­ma de Felli­ni). Le com­pos­i­teur de la musique en est… Nino Rota. Repren­dre cer­taines de ses pro­pres com­po­si­tions n’est pas nou­veau : les musi­ciens clas­siques (Bach, Vival­di…) le fai­saient déjà. À l’écoute, l’ambiance sonore n’est pas du tout la même entre la mélan­col­ie du Par­rain et l’entrain de For­tunel­la, mais le thème du film de Cop­po­la est indé­ni­able­ment sim­i­laire. Écoutez la séquence à par­tir de 50 sec­on­des en suiv­ant le lien http://bit.ly/2PmxaYE (ou tapez sur Youtube : For­tunel­la Nino Rota).

Mais ce qu’on sait moins, c’est que la plu­part des autres thèmes musi­caux du film sont rem­plis d’emprunts à d’autres com­po­si­tions. Par exem­ple, l’autre grand thème très con­nu du Par­rain est le fameux The God­fa­ther waltz repris à de nom­breuses repris­es dans le film (dont le générique de fin). Il reprend directe­ment une musique d’accompagnement du doc­u­men­taire Les clowns tourné en 1970 par Fed­eri­co Felli­ni avec qui Nino Rota col­lab­o­ra régulière­ment de 1952 jusqu’à sa mort. Écoutez à par­tir de 2’09’’ avec le lien http://bit.ly/2PoVRUi (ou tapant sur Youtube : Felli­ni clowns funerale).

La scène du bap­tême reprend par deux fois des arrange­ments de la fameuse Pas­sacaille en ut mineur de Johann Sebas­t­ian Bach. Ce n’est pas éton­nant car cette musique est faite pour rap­pel­er la musique religieuse qui accom­pa­gne ce moment spir­ituel et de vio­lence. Mais la séquence musi­cale, signée Nino Rota, com­prend égale­ment quelques mesures de la fin du Prélude en ré majeur BWV 532. Lors du mariage de Con­nie on entend une chan­son pop­u­laire napoli­taine reprise en chœur par les invités. Il s’agit de C’è Luna mez­zo mare, qui est sou­vent jouée lors des mariages de l’Italie du Sud dont La Dan­za de Rossi­ni est à l’origine. Quant au morceau The pick-up, il utilise deux créa­tions antérieures de Nino Rota de 1962 et 1968. Au final, si on neu­tralise les musiques offi­cielle­ment écrites par d’autres, il ne reste plus un seul morceau totale­ment nouveau.

Mal­gré tout, après avoir revu le film, nous pen­sons évidem­ment qu’il ne faut en rien pondér­er la gloire du musi­cien ital­ien et que la musique, une fois de plus, est un élé­ment déter­mi­nant du suc­cès du film.

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