RÊVES D’HIVER

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°670 Décembre 2011Rédacteur : Jean SALMONA (56)

L’hiver est sans doute la sai­son la plus prop­ice pour l’écoute de la musique, et pas seule­ment parce qu’on est plus volon­tiers à l’intérieur, chez soi ou dans une salle de con­cert. C’est une péri­ode favor­able à l’introspection : celle des bilans, bien sûr, de l’année qui s’achève et pourquoi pas, pour les mélan­col­iques, de toute une vie, même brève ; mais c’est aus­si le meilleur moment pour éla­bor­er des plans pour l’année qui vient, sere­ine­ment, bien au chaud dans son salon, en écoutant de la musique, stim­u­lant incom­pa­ra­ble de votre imag­i­na­tion créatrice.

Et puis, rien ne vous empêche, quand vous pré­parez l’avenir et ses incer­ti­tudes, de tourn­er les yeux, ne serait-ce qu’un instant, vers les cer­ti­tudes ras­sur­antes du passé.

Fauré

Rien ne témoigne de cette déli­cieuse ambiguïté plus que la musique de cham­bre de Fau­ré, qui oscille en per­ma­nence entre joie et mélan­col­ie, mais tou­jours d’une extrême sen­su­al­ité. La pub­li­ca­tion de l’intégrale de la musique de cham­bre de Fau­ré pour cordes et piano1 est un événe­ment à mar­quer d’une pierre blanche : Renaud et Gau­ti­er Capuçon, Michel Dal­ber­to et Nico­las Angelich et le Quatuor Ébène ont enreg­istré les deux Sonates pour vio­lon et piano, les deux Sonates pour vio­lon­celle et piano, les deux Quatuors avec piano, les deux Quin­tettes avec piano, ain­si que le Trio avec piano, plus rarement joué, aux­quels s’ajoute le Quatuor à cordes dont l’enregistrement par le Quatuor Ébène a déjà été cité dans ces colonnes.

Fau­ré, né en 1845 et mort en 1924, est sans doute, de tous les musi­ciens, celui qui a porté le plus haut, le plus loin la musique tonale après les excès du Roman­tisme. À la dif­férence de sa musique pour piano seul, rien de mineur par­mi ces dix pièces qui sont autant de petits chefsd’œuvre abso­lus et qui jalon­nent toute une vie, du lyrisme aux inces­santes et exquis­es mod­u­la­tions de la 1re Sonate pour vio­lon au dés­espoir proche de l’atonalité du Quatuor à cordes.

Le plaisir d’écoute ne faib­lit jamais et atteint sou­vent l’ineffable. Même si l’on a gardé un sou­venir ébloui de tel ou tel enreg­istrement plus ancien – les deux Sonates pour vio­lon par Fer­ras et Bar­bi­zet, les deux Sonates pour vio­lon­celle par Torte­lier et Hei­d­sieck, le 1er Quatuor avec piano avec Sam­son François – l’interprétation ici est par­faite et homogène.

Un cof­fret vrai­ment exceptionnel.

Valeriy Sokolov

Il y a comme un mir­a­cle dans le renou­velle­ment des inter­prètes à tra­vers les généra­tions, tout par­ti­c­ulière­ment des vio­lonistes : de Menuhin, Heifetz, Mil­stein, Stern, Oïs­trakh, à Perl­man et Kre­mer, puis Vengerov, Repin, Hilary Hahn, Sarah Chang, aucune discontinuité.

Et aujourd’hui un nou­veau : Valeriy Sokolov, qui s’illustre dans un blue chip, le Con­cer­to de Tchaïkovs­ki et dans une œuvre plus rare et incom­pa­ra­ble­ment orig­i­nale, le 2e Con­cer­to de Bar­tok, avec le Ton­halle-Orch­ester Zürich dirigé par David Zin­man2. Du Con­cer­to de Tchaïkovs­ki, musique de film avant la let­tre et logique­ment pop­u­lar­isée récem­ment par un film3, tout a été dit ; Sokolov le joue à la fois avec pré­ci­sion et un lyrisme tzi­gane ma non trop­po qui con­vi­en­nent bien à cette œuvre jail­lis­sante. Le 2e Con­cer­to de Bar­tok, c’est une autre affaire. C’est une œuvre mar­quée par les boule­verse­ments de la fin des années 1930 en Europe et qui coïn­cide avec l’apogée de l’art de Bar­tok, avant son départ en 1940 pour les États-Unis et la mort dans la quasi-misère.

Coffret CD Bach

Comme avec Fau­ré mais quinze ans plus tard – Stravin­s­ki et Prokofiev entre autres, et le nazisme, sont passés par là – Bar­tok exploite toutes les ressources de la musique tonale et du con­tre­point, avec une recherche de la com­plex­ité extrême dans l’harmonie et le rythme et de l’orchestration sub­tile, tout en refu­sant le piège fatal du dodé­ca­phon­isme ; et puis un génie bien par­ti­c­uli­er, qui fait que la pat­te de Bar­tok se recon­naît dans n’importe laque­lle de ses œuvres orches­trales dès les pre­mières mesures.

Sokolov se joue des dif­fi­cultés tech­niques et donne de cette œuvre com­plexe et puis­sante une inter­pré­ta­tion que Menuhin n’aurait pas désavouée.

Bach – La chair et l’esprit

Sous ce titre, Out­here par­court la vie de Bach en un bel opus­cule illus­tré, et son œuvre entière organ­isée par thème en 6 CD : Cordes frot­tées (vio­lon, vio­le, vio­lon­celle), Cordes pincées et cordes frap­pées, Du clavecin à l’orgue, Grands effec­tifs pro­fanes (con­cer­tos bran­de­bour­geois, can­tates pro­fanes), Musique sacrée, et, sous le titre Open Bach, divers­es pièces assor­ties d’improvisations con­tem­po­raines, le tout dans un lux­ueux cof­fret4. Cer­tains inter­prètes sont con­nus (comme Gus­tav Leon­hardt ou Café Zim­mer­mann), d’autres moins, la plu­part des baro­queux. Pour un fam­i­li­er de l’œuvre de Bach, il est frus­trant d’entendre un extrait d’une Suite pour vio­lon­celle ou de La Pas­sion selon saint Jean. Mais pour qui veut décou­vrir tout Bach en atten­dant le print­emps, ce recueil con­stitue une agréable et intel­li­gente introduction.

1. 5 CD Virgin.
2. 1 CD Virgin.
3. « Le Concert ».
4. 1 Cof­fret Outhere.

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