Réflexions sur les parcours des élèves : Former les jeunes pour les aider à s’orienter

Dossier : De l'écoleMagazine N°613 Mars 2006
Par René-Pierre HALTER

L’ori­en­ta­tion est perçue, depuis quelques années, comme un enjeu majeur. Le “grand débat sur l’é­cole” voulu par Luc Fer­ry et ani­mé par Claude Thélot a con­sti­tué, de ce point de vue, un for­mi­da­ble révéla­teur. Aujour­d’hui, pas un homme poli­tique, pas un respon­s­able, pas un acteur du sys­tème édu­catif ne se risque à nier l’im­por­tance de la ques­tion de l’ori­en­ta­tion. Et pas un par­ent non plus… Cepen­dant, der­rière ce terme se cachent des visions très différentes.

Adéqua­tion sim­pliste entre la for­ma­tion et l’emploi : “Pourquoi n’ori­ente-t-on pas les élèves dans les for­ma­tions débouchant sur des secteurs por­teurs d’emploi ?” Cette vision est essen­tielle­ment portée par cer­tains respon­s­ables du monde économique qui ont du mal à recruter, dans des secteurs dont l’im­age est assez forte­ment dégradée.

Vision util­i­tariste de l’ori­en­ta­tion : “Ce qui est impor­tant c’est de gér­er au mieux les capac­ités d’ac­cueil offertes aux élèves. L’ori­en­ta­tion c’est d’abord une bonne ges­tion des flux d’élèves…” Il s’ag­it de posi­tions pris­es surtout par des respon­s­ables du sys­tème édu­catif, tant au sein de l’É­d­u­ca­tion nationale que dans les col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales et notam­ment les régions.

D’autres inter­pré­ta­tions exis­tent, qui reflè­tent la vision que l’on peut avoir de cette ques­tion en fonc­tion du point de vue duquel on la regarde. Il en est un cepen­dant qui est encore trop rarement adop­té : c’est le point de vue de l’élève lui-même.

La “vox pop­uli”, et par­ti­c­ulière­ment les élèves, ou leurs par­ents quand ils évo­quent leur pro­pre par­cours, par­le d’ori­en­ta­tion de manière sou­vent néga­tive “j’ai été mal orienté”.

Cela démon­tre à quel point cette dimen­sion essen­tielle du par­cours de for­ma­tion est vécue comme étrangère à la déci­sion indi­vidu­elle, appar­tenant en quelque sorte au sys­tème plutôt qu’à l’individu.

La précé­dente loi d’ori­en­ta­tion pour l’é­d­u­ca­tion (1989) a voulu plac­er l’élève au cen­tre du sys­tème édu­catif. Il s’agis­sait déjà d’une prise de con­science de cette néces­sité de mieux “con­cern­er” l’élève et de mieux l’aider à se pren­dre en charge. L’ori­en­ta­tion a tardé à récolter les fruits de cette évo­lu­tion. L’é­d­u­ca­tion à l’ori­en­ta­tion appa­raît offi­cielle­ment en 1996 et encore, sous la forme d’une cir­cu­laire inci­ta­tive, par­lant “d’ex­péri­men­ta­tion” en col­lège. La mise en place de l’é­d­u­ca­tion à l’ori­en­ta­tion se fait désor­mais de manière pro­gres­sive dans les étab­lisse­ments, repose d’abord sur les bonnes volon­tés et sup­pose que le chef d’étab­lisse­ment y con­tribue active­ment, notam­ment dans le cadre de l’or­gan­i­sa­tion des emplois du temps.

Car, jusqu’à l’an­née sco­laire dernière, cette “grande cause nationale” que con­stitue l’ori­en­ta­tion ne béné­fi­ci­ait d’au­cun temps sco­laire pour sa mise en œuvre ! La mise en place, timide il est vrai, de la décou­verte pro­fes­sion­nelle, sous la forme d’une option fac­ul­ta­tive de trois heures heb­do­madaires pro­posée aux élèves de troisième est une véri­ta­ble révo­lu­tion : pour la pre­mière fois, l’emploi du temps des élèves com­porte des séquences con­sacrées à la pré­pa­ra­tion de l’orientation !

Le véri­ta­ble enjeu de l’ori­en­ta­tion est bien là désor­mais. Il réside dans la capac­ité que nous aurons à aider chaque jeune à acquérir la for­ma­tion néces­saire pour qu’il puisse lui-même trac­er son chemin, plutôt qu’à vouloir lui indi­quer un chemin tout tracé, cote mal tail­lée entre ses aspi­ra­tions per­son­nelles et les besoins collectifs.

Nous sommes donc bien au-delà de l’aide à s’ori­en­ter, de l’ac­com­pa­g­ne­ment. Il s’ag­it aujour­d’hui d’ac­quérir des con­nais­sances et une méthodolo­gie sur lesquelles pour­ront s’ap­puy­er les déci­sions d’ori­en­ta­tion, tout au long de la vie. C’est en ce sens que l’on peut par­ler d’une for­ma­tion à l’ori­en­ta­tion. On pour­rait la com­par­er à l’ac­qui­si­tion de la lec­ture ou du mécan­isme des qua­tre opéra­tions de base en cal­cul : il s’ag­it de fon­da­men­taux, sans lesquels il devient très dif­fi­cile d’ac­quérir l’au­tonomie. L’am­bi­tion est énorme : con­tribuer à la démoc­ra­ti­sa­tion de la for­ma­tion (au-delà de sa mas­si­fi­ca­tion) en per­me­t­tant à chaque jeune de dis­pos­er des mêmes infor­ma­tions, des mêmes out­ils méthodologiques, out­ils et méth­odes qui jusqu’à peu de temps étaient réservés à une élite sociale. L’in­scrip­tion à l’emploi du temps de tous les élèves est donc à terme une évo­lu­tion indis­pens­able, faute de quoi nous n’au­rons fait qu’une petite par­tie du chemin, au risque même de ren­forcer les inégalités.

Il n’est pas néces­saire d’en­tr­er ici dans les con­tenus de cette for­ma­tion. Elle pour­rait se divis­er en qua­tre grands domaines : l’en­vi­ron­nement économique, son organ­i­sa­tion et les activ­ités pro­fes­sion­nelles ; le sys­tème de for­ma­tion, ses modal­ités d’or­gan­i­sa­tion, ses final­ités ; les com­posantes per­son­nelles de chaque indi­vidu ; la méthodolo­gie de prise de déci­sion. Compte tenu de la diver­sité des thèmes abor­dés au cours de ces étapes de for­ma­tion, sa mise en œuvre néces­site de faire appel à des inter­venants d’o­rig­ines divers­es. La for­ma­tion à l’ori­en­ta­tion sup­pose donc, et c’est bien le moins qu’on puisse lui deman­der, une ouver­ture des étab­lisse­ments sur leur envi­ron­nement. Elle sup­pose même la volon­té des acteurs du sys­tème édu­catif d’in­té­gr­er dans l’or­gan­i­sa­tion des for­ma­tions des inter­venants “non enseignants”. Le chef d’étab­lisse­ment devient, plus que jamais, le moteur de cette for­ma­tion à l’ori­en­ta­tion, comme il l’est pour l’ensem­ble des for­ma­tions dis­pen­sées dans son étab­lisse­ment. Dans ce domaine, il est aus­si le garant de la qual­ité des inter­venants et de la nature même de leurs interventions.

L’im­por­tance que l’on accorde aujour­d’hui à la ques­tion de l’ori­en­ta­tion néces­site donc, plus que jamais, que le con­cept soit explic­ité. La mise en place d’un temps spé­ci­fique pour l’ori­en­ta­tion, notam­ment au col­lège, devient une néces­sité. Il fau­dra que ce temps soit une par­tie inté­grante de l’emploi du temps de tous les élèves et que les con­tenus de cette for­ma­tion soient défi­nis et fassent l’ob­jet d’une pro­gres­sion tout au long de la sco­lar­ité. L’é­cole doit ain­si con­stituer la pre­mière étape de la for­ma­tion à l’ori­en­ta­tion, for­ma­tion qui se pro­longera, selon l’ap­pel­la­tion désor­mais con­sacrée, “tout au long de la vie”.

Il existe toute­fois une ques­tion majeure que le sys­tème édu­catif devra régler, si l’on veut que la for­ma­tion à l’ori­en­ta­tion ne con­stitue pas une for­mi­da­ble supercherie : amélior­er l’af­fec­ta­tion des élèves… Il s’ag­it bien sûr d’un autre débat, et Claude Thélot s’en est large­ment fait l’é­cho, mais il serait vain de pré­ten­dre “for­mer à l’ori­en­ta­tion” sans per­me­t­tre aux jeunes con­cernés d’aller jusqu’au bout de la démarche dans le cadre d’une affectation.

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