Réduction des émissions de gaz à effet de serre où en est la France ?

Réduction des émissions de gaz à effet de serre où en est la France ?

Dossier : Environnement & sociétéMagazine N°783 Mars 2023Par Alexandre BRY (X21)

Une enquête du Binet NeXt ana­lyse la tra­jec­toire de la France en ce qui concerne son objec­tif de réduc­tion des émis­sions de gaz à effet de serre d’ici 2050 et indique que les émis­sions impor­tées doivent être prises en compte dans le cal­cul de l’empreinte carbone.

Le minis­tère de la Tran­si­tion éco­lo­gique dans une note métho­do­lo­gique d’octobre 2021 affirme : « L’empreinte car­bone repré­sente la quan­ti­té de gaz à effet de serre (GES) induite par la demande finale inté­rieure d’un pays […], que ces biens ou ser­vices soient pro­duits sur le ter­ri­toire natio­nal ou impor­tés. En tenant compte du conte­nu en gaz à effet de serre des impor­ta­tions, l’empreinte car­bone per­met d’apprécier les pres­sions sur le cli­mat de la demande inté­rieure fran­çaise, quelle que soit l’origine géo­gra­phique des pro­duits consommés. »

Le calcul de l’empreinte carbone

Autre­ment dit, l’empreinte car­bone est com­po­sée par les émis­sions ter­ri­to­riales – les émis­sions des pro­duits expor­tés + les émis­sions des pro­duits impor­tés. Cela per­met de prendre en compte uni­que­ment les émis­sions liées à la consom­ma­tion des Fran­çais. Ce der­nier point a des limites puisque nous ne pou­vons pas, par exemple, chan­ger le mix éner­gé­tique des pays dont on importe nos biens de consom­ma­tion, qui repré­sente une part de notre empreinte carbone.

Les GES pris en compte varient : le Ser­vice des don­nées et études sta­tis­tiques (SDES) prend en compte le CO2, le CH4 et le N2O, là où par exemple l’OCDE ne s’intéresse qu’au CO2. C’est le SDES qui cal­cule l’empreinte car­bone de la France pour le minis­tère de la Tran­si­tion éco­lo­gique. Une méthode de cal­cul détaillée est impos­sible pour les années les plus récentes (à ce jour de 2019 à 2022) à cause d’un manque de don­nées. Pour cela des esti­ma­tions ont été faites à l’aide d’autres critères.

Par ailleurs, il faut dis­tin­guer les émis­sions brutes et les émis­sions nettes. Les émis­sions brutes sont celles lâchées direc­te­ment dans l’atmosphère, tan­dis que, dans le cal­cul des émis­sions nettes, sont déduites les absorp­tions de CO2 par les puits de car­bone. L’empreinte par pays est dif­fé­rente de celle par habi­tant. L’empreinte d’un pays est l’empreinte cumu­lée de tous ses habi­tants, là où l’empreinte par habi­tant est la moyenne de cette der­nière. Enfin, lorsque sont énon­cés des objec­tifs de réduc­tion des émis­sions, l’année de réfé­rence est presque tou­jours l’année 1990.

L’évolution des émissions territoriales de la France depuis 1990 jusqu’à 2050

Ce sont les émis­sions ter­ri­to­riales de la France, et pas l’empreinte car­bone, qui sont prises en compte dans les objec­tifs cli­ma­tiques de la France et de l’union européenne.

Le nou­vel objec­tif euro­péen pour 2030 est de réduire les émis­sions ter­ri­to­riales nettes de GES de 55 % par rap­port à 1990. La France s’est donc don­né comme objec­tif ‑50 % sur ses émis­sions ter­ri­to­riales brutes. Or les émis­sions de GES pour 2021 sont esti­mées à 418 Mt éqCO2, ce qui repré­sente une baisse de 23,1 % par rap­port à 1990. Le rythme annuel moyen de réduc­tion a ain­si été de 1,9 % sur la période 2019–2021, de l’ordre de 1,71 % de réduc­tion annuelle moyenne sur la période 2010–2019.

Pour atteindre ses objec­tifs, la France devra donc réus­sir à récu­pé­rer les 26,9 % man­quants sur une période de neuf années (2022−2030) ! Cela repré­sente une baisse d’environ 16 Mt éqCO2 par an en moyenne, à com­pa­rer aux 8,1 Mt éqCO2 par an en moyenne depuis 2010. Vu autre­ment, cela revient à réduire de 4,7 % par an les émis­sions par rap­port à l’année pré­cé­dente, contre un rythme moyen de 1,8 % depuis 2010. 

Émissions territoriales de la France

La neutralité carbone passe par la réduction des émissions territoriales de GES

Depuis 2015, la France a une Stra­té­gie natio­nale bas-car­bone (SNBC), qui défi­nit des objec­tifs détaillés pour chaque sec­teur concer­nant les émis­sions de GES. Cette feuille de route fixe des objec­tifs d’émissions moyennes à ne pas dépas­ser sur des périodes de plu­sieurs années. Or ces objec­tifs n’ont pas été atteints sur la période 2015–2018. Et pour la période 2019–2023, ils sont à ce jour res­pec­tés grâce aux mesures liées à la pan­dé­mie et au relè­ve­ment du bud­get fait en 2020. Pour don­ner un ordre d’idées, le bud­get annuel sur 2019–2023 est de 422 Mt éqCO2 selon la SNBC, juste au-des­sus des 418 Mt éqCO2 de 2021. Alors que le bud­get a été réhaus­sé en 2020 et que les objec­tifs ini­tiaux étaient de ‑40 % en 2030 au lieu de ‑50 % !

Émissions territoriales de la France

Quant à la neu­tra­li­té car­bone, l’objectif de la France est de l’atteindre en 2050. La neu­tra­li­té car­bone signi­fie une cap­ta­tion à 100 % des gaz à effet de serre émis par les puits de car­bone. D’après la SNBC, cela signi­fie réduire les émis­sions ter­ri­to­riales par un fac­teur 6 au moins par rap­port à 1990, ce qui signi­fie atteindre envi­ron 91 Mt éqCO2 en 2050. Cela néces­si­te­rait une baisse des émis­sions de 5,3 % par an chaque année jusqu’en 2050.

La nécessité de penser la neutralité carbone au niveau global

Les dis­cours et les pro­messes s’enchaînent, mais l’accélération de la réduc­tion des émis­sions se fait tou­jours attendre. Et il y a d’autres élé­ments que ces émis­sions ter­ri­to­riales ne montrent pas.

Tout d’abord les émis­sions ter­ri­to­riales et l’empreinte car­bone sont dif­fé­rentes. Délo­ca­li­ser une pro­duc­tion émet­trice de gaz à effet de serre peut certes réduire les émis­sions ter­ri­to­riales, en revanche aug­men­ter l’empreinte car­bone, notam­ment si la consom­ma­tion et les GES par pro­duit aug­mentent du fait de la délo­ca­li­sa­tion dans un pays où la main‑d’œuvre est moins chère et l’énergie plus car­bo­née. À l’inverse, relo­ca­li­ser une pro­duc­tion en France peut aug­men­ter les émis­sions ter­ri­to­riales et dimi­nuer l’empreinte car­bone. Cet exemple montre que regar­der les GES uni­que­ment via les émis­sions ter­ri­to­riales occulte une par­tie du tableau.

Différentes catégories d’émissions de la France

Ain­si, l’empreinte car­bone de la France est entre 1,4 et 1,5 fois plus éle­vée que ses émis­sions ter­ri­to­riales. Et, du fait que les émis­sions des pro­duits expor­tés depuis la France ne sont pas comp­tées dans l’empreinte car­bone, celle-ci est en fait com­po­sée à 50 % d’émissions impor­tées. 

« Atteindre la neutralité carbone en 2050 avec une courbe concave ou une courbe convexe ne donne pas le même climat à la fin. »

De plus, ce n’est pas l’année où la neu­tra­li­té car­bone est atteinte qui compte, mais le cumul des GES émis ! Atteindre la neu­tra­li­té car­bone en 2050 avec une courbe concave ou une courbe convexe ne donne pas le même cli­mat à la fin, puisque la hausse de tem­pé­ra­ture dépend des GES émis au total.

Enfin, il ne faut pas oublier que le réchauf­fe­ment cli­ma­tique n’est qu’un des nom­breux bou­le­ver­se­ments que subit notre pla­nète. Même si les dif­fé­rents enjeux sont imbri­qués, ces courbes d’émissions de GES ne résou­dront pas les pro­blèmes de l’acidification des océans, de la perte de bio­di­ver­si­té, des micro­plas­tiques dans les océans, des pénu­ries de res­sources, des inéga­li­tés ou de la pol­lu­tion de l’air. 


Article ini­tia­le­ment paru dans l’IK n° 1432 du 4 jan­vier 2023 à l’initiative du NeXt (asso­cia­tion d’écologie et de pro­mo­tion de la tran­si­tion durable des modes de vie à l’École polytechnique).
Mer­ci à Sofiane Aïs­sa­ni (X21) et à la rédaction
de l’IK pour l’aimable repro­duc­tion de cet article.


Sources :

https://drive.google.com/drive/folders/1jKBGAg9D3xhY1gkjQ_zWx7-kYxKDAU7g?usp=sharing

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