Origins.earth permet de mesurer les émissions carbone

Origins.earth l’urgence de mesurer les émissions carbone en temps réel

Dossier : Environnement & SociétéMagazine N°777 Septembre 2022
Par Danielle BENGONO (M19)
Par Karina CUCCHI (X09)
Par Alix VERDET

En 2020 Kari­na Cuc­chi (X09) et en 2021 Danielle Ben­gono (M19) ont rejoint Origins.earth, une start-up fil­iale de Suez, qui développe Météo Car­bone®. C’est un out­il pio­nnier et unique pour éval­uer les émis­sions de CO2 et l’impact des plans cli­mat. Il mesure en temps réel les émis­sions d’un ter­ri­toire, car­togra­phie les émis­sions, suit l’impact glob­al des actions et iden­ti­fie les oppor­tu­nités de réduction.

Quel est votre parcours avant d’arriver chez Origins.earth ?

Danielle Ben­gono (M19) : J’ai un par­cours qui regroupe deux corps de métiers : l’énergie et l’environnement. Je suis depuis longtemps très curieuse et pas­sion­née par tout ce qui est expéri­men­ta­tion. À la fin du deux­ième cycle sec­ondaire au Camer­oun, j’hésitais entre con­tin­uer mes études en médecine ou en chimie. Sur les con­seils de mes pro­fesseurs de lycée, je m’oriente vers la chimie, ce qui cor­re­spond à ma per­son­nal­ité. Je débute une licence en chimie à l’université de Yaoundé I. En L1, je suis retenue par le gou­verne­ment du Camer­oun afin d’aller suiv­re une for­ma­tion en chimie appliquée en Chine. Mon cur­sus pluridis­ci­plinaire se fit en man­darin. Il était con­sti­tué d’une pré­pa inté­grée, de langue et de cul­ture chi­nois­es, à North­east Nor­mal Uni­ver­si­ty, puis de qua­tre ans de sci­ences dures à Bei­hua Uni­ver­si­ty. J’en garde des sou­venirs très forts. 

À mon retour au Camer­oun en 2013, je con­state qu’il existe des prob­lèmes indé­ni­ables d’assainissement et de san­té publique causés par la pol­lu­tion de l’air, du sol et de l’eau. Tout de suite, j’envisage une recon­ver­sion dans le secteur envi­ron­nemen­tal. Désor­mais, je cherche à acquérir une exper­tise sci­en­tifique et tech­nique et une expéri­ence per­ti­nente sur le ter­rain, qui me per­me­t­trait d’adapter les con­cepts à la sit­u­a­tion locale ain­si que d’apporter ma con­tri­bu­tion et mon exper­tise à mon pays dans le domaine. Je décide de retourn­er en Chine pen­dant trois ans pour com­pléter un mas­ter en génie et sci­ences de l’environnement à Cen­tral South Uni­ver­si­ty. Dans un pre­mier temps je suis des cours théoriques sur des thé­ma­tiques liées à l’environnement, puis j’intègre un groupe de recherche sur la con­cep­tion et le recy­clage des bat­ter­ies de lithi­um et de sodi­um. À l’issue de cette for­ma­tion en Chine, je n’avais pas vrai­ment d’expérience sur le ter­rain ; j’arrive à l’École poly­tech­nique en France pour com­pléter mes com­pé­tences en développe­ment de nou­velles méth­odes plus écologiques et durables. Diplômée de l’X avec un Mas­ter of Sci­ence & Tech­nol­o­gy Envi­ron­men­tal Engi­neer­ing and Sus­tain­abil­i­ty Man­age­ment, j’ai rejoint Suez il y a quelques mois main­tenant, plus pré­cisé­ment sa fil­iale Origins.earth.

“On ne peut modérer ce qu’on ne mesure pas.”

Kari­na Cuc­chi (X09) : Mon par­cours est cen­tré sur le développe­ment de solu­tions numériques pour l’environnement. Je suis pas­sion­née par l’utilisation de la don­née et de la mod­éli­sa­tion physique et sta­tis­tique, pour com­pren­dre notre envi­ron­nement et pour résoudre les défis du change­ment cli­ma­tique et d’un mode de vie souten­able. Je suis de la pro­mo­tion X09 de l’École poly­tech­nique, j’avais choisi le PA (pro­gramme d’approfondissement) qui s’appelait à l’époque Mécanique et physique pour l’environnement, que j’ai com­plété par un mas­ter en géo­sciences à l’École des mines de Paris. J’ai ensuite démé­nagé aux États-Unis, où j’ai voulu faire l’expérience de la recherche académique, avec un PhD en Envi­ron­men­tal Engi­neer­ing, sur l’utilisation de la mod­éli­sa­tion envi­ron­nemen­tale pour la ges­tion de la ressource en eau. J’ai mesuré et mod­élisé les écoule­ments d’eau sous les riv­ières (cri­tiques pour la sta­bil­ité des débits d’eau entre l’été et l’hiver et la dépol­lu­tion des eaux de riv­ière). La vie m’ayant retenue plus longtemps qu’initialement prévu aux États-Unis, j’ai pro­longé l’expérience améri­caine avec un post­doc­tor­at à l’École de san­té publique pour rechercher les liens entre con­di­tions envi­ron­nemen­tales et prop­a­ga­tion de mal­adies infec­tieuses, et j’ai ensuite plongé pen­dant deux ans dans l’univers de la tech en tant que data sci­en­tist pour l’agriculture de pré­ci­sion. Je suis ensuite ren­trée en France et j’ai rejoint le groupe Suez il y a main­tenant deux ans, au sein de la start-up Origins.earth.

Danielle, pourquoi as-tu choisi de faire le Master of Science and Technology de l’X ?

DB : Après deux expéri­ences en Chine, j’ai inté­gré le MSc&T de l’X car il pro­pose une ouver­ture excep­tion­nelle sur des sujets liés à l’écologie, à la dura­bil­ité et sur des notions en man­age­ment me per­me­t­tant de com­pléter mes com­pé­tences en envi­ron­nement en accord avec mon pro­jet pro­fes­sion­nel. Un an plus tard, je remar­que le dynamisme de cer­tains cama­rades ; j’intègre alors au sein de l’École plusieurs clubs qui trait­ent des sujets de l’énergie et de l’environnement.

Pouvez-vous nous présenter Origins.earth ?

DB & KC : Face à l’urgence cli­ma­tique, la prin­ci­pale mis­sion d’Origins est d’accompagner les col­lec­tiv­ités dans l’élaboration et le suivi de leur tra­jec­toire bas car­bone. Aujourd’hui, dans l’optique d’une action col­lec­tive, plusieurs acteurs de la société se mobilisent et s’engagent pro­gres­sive­ment. Mais l’implication de chaque indi­vidu dans la sobriété n’est pas encore effec­tive et l’absence d’informations à jour et facile­ment com­préhen­si­bles sur les niveaux d’émissions locales de gaz à effet de serre (GES) con­tribue peut-être à cette iner­tie. À Origins.earth, nous voulons ren­forcer action col­lec­tive et action indi­vidu­elle grâce à des out­ils inno­vants. Ori­gins est née en 2019 au sein de Suez Con­sult­ing, fil­iale de Suez accom­pa­g­nant les col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales dans la tran­si­tion envi­ron­nemen­tale, sur le con­stat de décalage entre les objec­tifs ambitieux de réduc­tion des émis­sions de gaz à effet de serre et la réal­ité des out­ils à dis­po­si­tion des collectivités.

“Faire le pont entre le monde de la science et le monde de la décision publique.”

Aujourd’hui, la tem­péra­ture moyenne plané­taire a déjà pro­gressé d’environ 1 °C par rap­port à la péri­ode pré­industrielle, du fait des émis­sions de GES par l’homme. L’Accord de Paris se fixe pour objec­tif de rester bien en dessous de 2 °C, si pos­si­ble sous les 1,5 °C, et de ren­forcer les actions et les investisse­ments néces­saires. Dans ce cadre, les pays de l’Union européenne se sont engagés à réduire les émis­sions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % pour 2030 par rap­port à 1990, et d’atteindre une économie et une société neu­tres en 2050. C’est sur le suivi de la réduc­tion de ces émis­sions dans les ter­ri­toires qu’Origins.earth se concentre.

Con­crète­ment, en col­lab­o­ra­tion avec le Lab­o­ra­toire des sci­ences du cli­mat et de l’environnement (LSCE), nous avons dévelop­pé une solu­tion qui com­bine des tech­nolo­gies hard­ware et soft­ware. Cette solu­tion, appelée Météo Car­bone®, repose sur trois briques tech­nologiques : un inven­taire dynamique qui traite automa­tique­ment de la don­née d’activité disponible en open data, des cap­teurs mesurant en con­tinu la con­cen­tra­tion de CO2 dans l’atmosphère et un mod­èle atmo­sphérique per­me­t­tant de mod­élis­er le lien entre les émis­sions au sol et les con­cen­tra­tions mesurées dans l’atmosphère. En somme une solu­tion de mesure du CO2 et de suivi en con­tinu sur les territoires.

Qu’est-ce que cette technologie apporte de plus ?

DB & KC : Sur un ter­ri­toire, la mesure atmo­sphérique directe vient com­pléter les méth­odes d’évaluation et d’estimation en vigueur fondées sur des don­nées issues des dif­férents secteurs d’activité, qui se révè­lent par­fois obsolètes. Autrement dit, les méth­odes clas­siques pour éval­uer les émis­sions reposent sur ce qu’on appelle des don­nées d’activité, qui décrivent les activ­ités émet­tri­ces de l’homme sur un ter­ri­toire don­né (par exem­ple le nom­bre de voitures qui passent sur une route, les con­som­ma­tions d’énergie) et qui sont ensuite com­pilées et mul­ti­pliées par un fac­teur d’émission pour cal­culer l’émission glob­ale sur le ter­ri­toire. Ces méth­odes fonc­tion­nent, mais elles néces­si­tent un tra­vail de col­lecte et d’analyse con­sid­érable qui est typ­ique­ment réal­isé en interne dans les col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales ou par des bureaux d’études, tous les trois à six ans.

Ce que nous pro­posons, c’est de mesur­er en temps réel les con­cen­tra­tions de CO2 sur le ter­rain pour les con­fron­ter aux esti­ma­tions théoriques cal­culées ; l’objectif étant de fournir des bilans pré­cis et spa­tial­isés avec une réso­lu­tion tem­porelle plus grande et de réduire les délais entre pilotage et suivi de la réduc­tion des émis­sions. On ne peut mod­ér­er ce qu’on ne mesure pas. Sachant que la plu­part de nos émis­sions sont dans les villes, la com­préhen­sion du fonc­tion­nement des villes est pri­mor­diale pour obtenir des effets rapi­des et assur­er l’atteinte de nos objec­tifs de réduction.

Nous sommes con­va­in­cues que, en util­isant des valeurs plus récentes pour com­mu­ni­quer avec les habi­tants sur la réal­ité des émis­sions de leur ter­ri­toire et sur les efforts qui restent à fournir, les villes se don­nent plus de chance de réus­sir la tran­si­tion vers un monde bas car­bone. La bonne nou­velle est que les capac­ités sci­en­tifiques de mesure sont là et que nous pou­vons les utilis­er à bon escient ! 

Origins est une jeune pousse, a‑t-elle été impliquée dans des projets d’envergure ?

DB & KC : Il y a deux ans, nous avons lancé un pro­jet pilote sur la région parisi­enne, en parte­nar­i­at avec le LSCE et la Ville de Paris. Dans le cadre de ce parte­nar­i­at, nous avons déployé neuf sta­tions qui mesurent la con­cen­tra­tion en CO2 dans l’atmosphère parisi­enne. Ces sta­tions déployées sur des points hauts per­me­t­tent de con­naître la con­cen­tra­tion de fond en CO2 dans l’atmosphère parisi­enne. Un mod­èle atmo­sphérique per­met de pren­dre en compte l’impact des con­di­tions météorologiques, de la végé­ta­tion et du trans­port à large échelle du CO2, et, par une mod­éli­sa­tion inverse, de déduire les émis­sions causées par l’activité humaine. Nous avons ensuite rap­proché nos mesures des bilans car­bone effec­tués en interne par la Ville de Paris et validé la per­ti­nence de la mesure atmo­sphérique pour accéder à un suivi en con­tinu des émis­sions locales dans les villes.

Avez-vous des projets de développement ?

DB & KC : Au-delà du pro­jet parisien, nous sommes égale­ment impliquées dans un pro­jet de recherche type H2020 dans trois villes européennes, afin de déploy­er de nou­veaux réseaux de mesure de CO2 dans les villes pour mieux appréhen­der leurs émis­sions locales de GES et les accom­pa­g­n­er vers la décar­bon­a­tion. Nous avons égale­ment été con­tac­tées par la Banque mon­di­ale et par la Banque de développe­ment asi­a­tique pour leur présen­ter nos solu­tions et envis­ager un déploiement dans d’autres villes du monde. Enfin, nous tra­vail­lons sur des propo­si­tions d’accompagnement dans plusieurs métrop­o­les mon­di­ales, notam­ment à Chypre et au Brésil.

Qu’est-ce qui vous différencie des autres ?

DB & KC : L’objectif d’Origins.earth est de rac­cour­cir con­sid­érable­ment les délais pour obtenir les don­nées d’émissions de la ville en pas­sant de deux ans (au min­i­mum) à un mois, voire à une semaine. Ce délai est beau­coup plus per­ti­nent pour pilot­er effi­cace­ment notre action et pour respecter l’Accord de Paris. Nous ren­con­trons de nom­breuses col­lec­tiv­ités qui tra­vail­lent tou­jours avec des don­nées d’émissions qui datent de plus de cinq ans. Vous imag­inez, dans cinq ans nous sommes presque en 2030, la date qu’on s’est fixée pour réduire les émis­sions d’au moins 55 % par rap­port à celles de 1990 ! 

Par ailleurs, nous avons établi une col­lab­o­ra­tion avec le groupe GEMM (Glob­al Envi­ron­men­tal Mea­sure­ment and Mon­i­tor­ing), auquel par­ticipent des chercheurs de l’université de Berke­ley et l’université Stan­ford, avec lequel nous avons signé un mem­o­ran­dum of under­stand­ing pour tra­vailler ensem­ble sur la tra­duc­tion de l’innovation sci­en­tifique et tech­nologique en solu­tions pour les décideurs. Dans ce cadre, nous avons été invitées à par­ticiper à un ate­lier organ­isé dans le cadre de la COP26 à Glas­gow, en novem­bre 2021. 

Pourquoi avez-vous rejoint Origins.earth ? Qu’est-ce qui vous plaît dans votre travail ?

DB : En rejoignant Origins.earth, j’ai vu l’occasion de par­ticiper à une démarche sig­ni­fica­tive pour la réduc­tion des GES et per­son­nelle­ment j’avais hâte de com­mencer à réalis­er un objec­tif que je m’étais fixé. Dans ma mis­sion, je con­tribue par mes com­pé­tences tech­niques, sci­en­tifiques et en ges­tion à l’établissement de solu­tions touchant à deux thé­ma­tiques : l’environnement et l’énergie. Dans le cadre de mon tra­vail, je ren­con­tre des per­son­nes issues de milieux pro­fes­sion­nels dif­férents avec des intérêts diver­gents et par­fois pas cen­trés sur la ques­tion cli­ma­tique. Le fait que je parvi­enne à les sen­si­bilis­er à la démarche car­bone et à démys­ti­fi­er cer­tains con­cepts est per­son­nelle­ment grat­i­fi­ant, car par­fois cela requiert beau­coup de dis­ci­pline, de déter­mi­na­tion et d’empathie.

KC : Ce qui m’intéresse dans le départe­ment d’innovation d’une grande entre­prise comme Suez, en par­ti­c­uli­er sur le sujet des gaz à effet de serre, c’est d’être dans la tra­duc­tion des avancées sci­en­tifiques, par­fois com­plex­es et peu acces­si­bles, en out­ils qui se veu­lent sim­ples et opéra­tionnels pour les décideurs. J’ai l’impression d’être au bon endroit, de met­tre mon énergie et mes com­pé­tences sci­en­tifiques, tech­niques et man­agéri­ales au ser­vice de quelque chose d’utile, qui peut faire bouger les lignes. À Origins.earth, nous tra­vail­lons en parte­nar­i­at avec des chercheurs à la pointe, comme ceux du LSCE, ou plus récem­ment avec le pro­fesseur Patri­cia Cri­fo de l’École poly­tech­nique, dans le cadre d’un pro­jet de recherche avec le MSc&T Eco­nom­ics for Smart Cities and Cli­mate Pol­i­cy. Le groupe Suez a pour cœur de méti­er de dévelop­per des solu­tions pour les col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales, c’est donc un endroit idéal pour faire le pont entre le monde de la sci­ence et le monde de la déci­sion publique, pour dévelop­per et met­tre à dis­po­si­tion des out­ils d’aide à la déci­sion. D’ailleurs, nous sommes tou­jours atten­tifs à des per­son­nes intéressées par le développe­ment et l’innovation, en par­ti­c­uli­er autour du développe­ment numérique et de l’analyse de don­nées. Si vous vous recon­nais­sez dans notre mis­sion, con­tactez-nous pour qu’on en discute ! 

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