Quelques applications industrielles de la chimie des radiations

Dossier : Les nanosciencesMagazine N°702 Février 2015
Par Marie-Claude CLOCHARD
Par Travis WADE
Par Jean-Eric WEGROVE

Les défauts créés sous irra­dia­tion dans les poly­mères ini­tient de nou­velles poly­mé­ri­sa­tions. Ce « gref­fage », dit radio-induit ou « radio­gref­fage », de matière poly­mère sur une matière poly­mère exis­tante per­met de cumu­ler les pro­prié­tés de dif­fé­rents matériaux.

REPÈRES

La chimie des radiations est née de la recherche de Marie Curie. Elle continue de nos jours avec de nouvelles sources de rayonnements ionisants de plus en plus intenses (Cyclotron, Synchrotron, Lasers).
Au Laboratoire des solides irradiés (LSI), unité mixte de recherche « CEA-École polytechnique-CNRS », les polymères solides irradiés ont été étudiés pour connaître leur dégradation lors de leur utilisation dans le gainage de fils électriques dans les centrales nucléaires et dans l’empaquetage des déchets nucléaires.
Une nouvelle branche s’attache au cumul des propriétés de différents matériaux afin de répondre à des demandes dans les domaines de l’énergie, de l’environnement, de la santé et plus largement, des nanotechnologies en général.

Le radiogreffage

La recherche dans ce domaine depuis les dix der­nières années a ciblé essen­tiel­le­ment des nanoob­jets (fibres, nano­par­ti­cules) et des objets nano­struc­tu­rés par fais­ceau d’ions lourds accé­lé­rés (films, mem­branes) afin de fabri­quer des élé­ments de petite taille, aug­men­ter des effets connus macro­sco­pi­que­ment par l’accroissement des sur­faces d’échange et appro­fon­dir les connaissances.

Irradiation pour l’automobile

Les radia­tions ioni­santes les plus uti­li­sées sont les élec­trons, les rayons γ ou X. L’énergie est dépo­sée de façon aléa­toire dans le sub­strat poly­mère et les domaines gref­fés sont donc dis­tri­bués de façon homogène.

“ Cumuler les propriétés de différents matériaux ”

Les par­ti­cules ioni­santes telles que les ions pro­duits par irra­dia­tion aux ions lourds rapides induisent le long de leur tra­jec­toire dans le solide un tra­cé conti­nu d’excitations et d’ionisations menant à la for­ma­tion d’une « trace » dite latente.

L’énergie dépo­sée est ultra­lo­ca­li­sée le long du pas­sage de l’ion et un « radio­gref­fage » hété­ro­gène en pré­sence de mono­mère viny­lique a lieu.

PIÉGER LE MERCURE

L’étude menée pour l’amélioration de la sensibilité des capteurs a permis de faire évoluer la technique de radiogreffage.
La méthode conventionnelle souffrait jusque-là d’un défaut : la masse moléculaire et la polydispersité des chaînes de polymères greffées n’étaient pas contrôlées.
Ce problème peut désormais être résolu grâce à la mise au point récente d’une technique de polymérisation appelée Reverse addition-fragmentation transfert (RAFT).
Une application en voie de transfert vers l’industrie est la fabrication de petits capteurs avec des entités capables de piéger spécifiquement le mercure.

Le « radio­gref­fage » ionique est influen­cé par plu­sieurs para­mètres : les condi­tions d’irradiation (flux, tem­pé­ra­ture, atmo­sphère), les condi­tions de poly­mé­ri­sa­tion et la nature du sub­strat poly­mère utilisé.

Une appli­ca­tion bre­ve­tée de ce « radio­gref­fage » dans les « traces latentes » a consis­té à créer des mem­branes poly­mères élec­tro­lytes pour les piles à com­bus­tible (appli­ca­tion auto­mo­bile). De plus, ces mem­branes ont aus­si la pro­prié­té de pou­voir fonc­tion­ner en pile avec des taux d’humidité rela­tive bas, ce qui est un avan­tage pour cette application.

Ultrafiltration pour la nano-électronique

Les traces latentes peuvent être révé­lées et des « pores » de dia­mètres nano­mé­triques cylin­driques, coniques ou bico­niques peuvent être obte­nus. La géo­mé­trie finale des pores dépend du rap­port entre la vitesse d’attaque dans la trace et la vitesse d’attaque radiale dans le sub­strat polymère.

Ces mem­branes nano­po­reuses à traces atta­quées, connues inter­na­tio­na­le­ment sous l’appellation anglaise track-etched mem­branes sont com­mer­cia­le­ment dis­po­nibles pour des appli­ca­tions en filtration.

Elles peuvent être détour­nées de leur appli­ca­tion ini­tiale pour ser­vir de patron ou masque pour faire croître dans les pores des nano­fils métal­liques par électrodéposition.

“ Étudier le vieillissement et la fatigue d’objets sous contrainte ”

Cette tech­nique, dite de tem­plate syn­the­sis, per­met l’étude des pro­prié­tés de trans­port dans des nano­struc­tures. Ces nano­fils (diamètre/longueur : 11 000) trouvent leur appli­ca­tion en élec­tro­nique. Ils peuvent éga­le­ment ser­vir de mémoires magné­tiques logiques pour le sto­ckage de l’information.

Ces appli­ca­tions concrètes en nano­élec­tro­nique impliquent des études fon­da­men­tales afin d’améliorer les pro­blèmes ren­con­trés sur ces petits objets comme leur vieillis­se­ment et leur fatigue sous contrainte.

Les capteurs de métaux toxiques

Démons­tra­teur cap­teur de métaux toxiques.

Le radio­gref­fage peut être ini­tié non seule­ment dans les traces latentes, mais éga­le­ment dans les traces atta­quées. La poly­mé­ri­sa­tion radi­ca­laire est en effet pos­sible dans les petits dia­mètres de pores (< 100 nm) à par­tir des radi­caux rési­duels pré­sents sur les parois.

Cette démons­tra­tion a été faite sur un poly­mère semi-cris­tal­lin. Des études ont éten­du cette pro­prié­té à d’autres poly­mères. Des déve­lop­pe­ments récents ont abou­ti à la réa­li­sa­tion de petits cap­teurs de métaux toxiques pour éva­luer la qua­li­té de l’eau.

Textile et médical

Ne sont ici décrites que les appli­ca­tions sur des films de poly­mères, mais l’irradiation peut bien enten­du s’appliquer à toutes sortes de forme.

Cer­tains objets comme des nano­par­ti­cules radio­gref­fées ont ser­vi de nano­ma­té­riaux bio­com­pa­tibles pour des appli­ca­tions en méde­cine (vec­to­ri­sa­tion d’agents de contraste pour l’imagerie médicale).

D’autres, sous forme de fibres, ont éga­le­ment un poten­tiel dans l’industrie tex­tile et médicale.

LE NANOPORE UNIQUE

Un pore unique dans un solide suscite un grand intérêt pour les études de translocation relatives au séquençage de l’ADN ou du repliement des protéines (industrie pharmaceutique).
En abaissant le flux des ions lors de l’irradiation et en coupant le faisceau au bon moment, des membranes polymères à trace unique sont obtenues.
Des études de transport sont ainsi possibles. Les effets de confinement permettent de stimuler ou freiner les ions qui traversent ce canal suivant leur nature.
Cette étude sur la conductivité dans un nanocanal intéresse les batteries lithium-ion.

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