À quand des NEMS dans nos smartphones ?

Dossier : Les nanosciencesMagazine N°702 Février 2015
Par Antoine FILIPE (90)

Faisons un rapi­de retour en arrière. En 1959, le physi­cien Richard Feyn­man ouvre l’histoire des nan­otech­nolo­gies avec une con­férence inti­t­ulée There is Plen­ty of Room at the Bot­tom1.

Lors de cette con­férence, il entrevoit un avenir dans lequel l’homme utilis­era des machines de taille nanométrique. Des chercheurs de la Sil­i­con Val­ley ont alors l’idée de détourn­er la tech­nolo­gie de fab­ri­ca­tion des tran­sis­tors pour réalis­er des struc­tures mécaniques de toute petite taille.

REPÈRES

MEMS est l’acronyme anglais de Micro- Electro-Mechanical Systems. Chaque année, 10 milliards de composants MEMS sont vendus à travers le monde au prix moyen de 1 euro. C’est un marché en forte croissance (+ 20 % par an) dominé par deux sociétés européennes : STMicroelectronics et Bosch.
La terminologie NEMS (pour Nano-Electro-Mechanical Systems) a été introduite récemment pour décrire les MEMS de taille nanométrique.

D’un seul coup, il devient pos­si­ble de fab­ri­quer des pièces avec une tolérance de quelques micromètres (10-6 m), soit cent fois mieux que les pièces mécaniques clas­siques de l’époque. Ces pio­nniers ouvrent un champ extra­or­di­naire d’exploration qu’ils appel­lent MEMS pour Micro-Elec­tro- Mechan­i­cal Sys­tems.

CE QUE FONT LES MEMS

MESURER

Mesurer les mouvements pour l’automobile, les smartphones et les manettes de jeu vidéo. Mesurer la pression dans la voiture, les pompes industrielles ou le médical. Mesurer les signaux acoustiques comme la voix dans les téléphones.

CONTRÔLER

Contrôler la lumière dans les vidéoprojecteurs et les réseaux de télécommunication à fibre optique. Contrôler le déplacement de fluide dans les imprimantes à jet d’encre et le diagnostic in vitro.

Comme d’autres révo­lu­tions tech­nologiques, les MEMS inspi­raient à l’époque de l’incrédulité et des sourires amusés, au mieux de la curiosité. Cinquante ans plus tard, les cap­teurs MEMS ont gag­né leur pari et mod­i­fié en pro­fondeur notre inter­ac­tion avec les objets élec­tron­iques. Ils ont ren­du pos­si­ble le déploiement mas­sif des airbags et de l’ESC (con­trôle élec­tron­ique de sta­bil­ité), élé­ments clefs dans la réduc­tion du nom­bre de tués sur les routes.

Et ils sont au cœur des objets con­nec­tés : un smart­phone utilise jusqu’à une dizaine de cap­teurs MEMS pour capter le son, les mou­ve­ments, la pres­sion, etc.

La loi de Moore

La vision ini­tiale de Feyn­man a porté toute la crois­sance de la microélec­tron­ique : la taille des tran­sis­tors est ain­si passée en cinquante années de quelques micromètres (10-6 m) à quelques dizaines de nanomètres (10-8 m), soit une réduc­tion d’un fac­teur cent.

“ Un smartphone utilise jusqu’à une dizaine de capteurs MEMS ”

Grâce à cette réduc­tion con­tin­ue des dimen­sions, le nom­bre de tran­sis­tors par puce dou­ble tous les deux ans : c’est la fameuse loi de Moore. Et c’est la loi de Moore qui con­duit à des processeurs de plus en plus petits au cœur de nos télé­phones portables.

Or cette ten­dance de fond ne s’est pas appliquée aux MEMS. En effet, depuis bien­tôt un demi-siè­cle, la taille car­ac­téris­tique est tou­jours restée égale à quelques micromètres. Le déploiement des MEMS s’est fait via de nom­breuses inno­va­tions, notam­ment en ter­mes d’assemblage, mais sans aucune réduc­tion de cette tolérance mécanique.

Les MEMS seraient-ils inca­pables de devenir des NEMS ou Nano- Elec­tro-Mechan­i­cal Sys­tems ? D’où vient cette limitation ?

Un rappel d’électrostatique

TROIS ATOUTS

COMPACITÉ ET LÉGÈRETÉ

Grâce à leur surface de quelques millimètres carrés, les MEMS se sont imposés dans tous les systèmes miniatures comme les smartphones ou les stimulateurs cardiaques.

ÉCONOMIE

L’utilisation de la technologie MEMS pour les accéléromètres a conduit à une réduction de prix de 90 % en dix ans.

FAIBLE CONSOMMATION

Avec une puissance minimale de quelques microwatts, les MEMS peuvent fonctionner pendant des années sans avoir besoin de recharger la batterie.

Pour mieux com­pren­dre cette lim­i­ta­tion, il est néces­saire d’aller regarder dans les entrailles d’un MEMS. Nous y trou­vons des peignes en sili­ci­um entrelacés et séparés par une dis­tance de quelques micromètres.

Le mou­ve­ment du cap­teur va con­duire au déplace­ment de la par­tie mobile (l’un des deux peignes) et donc à une vari­a­tion de la dis­tance entre ces peignes. Ce mou­ve­ment de la par­tie mobile est directe­ment mesuré grâce à la vari­a­tion de capac­ité entre les deux peignes. Les struc­tures étant très petites, la vari­a­tion de capac­ité va être très faible. Elle se mesure en cen­taines de zep­to-farad (10-19 F) et cor­re­spond à une vari­a­tion de charge de quelques électrons.

Un moyen pour amélior­er la sen­si­bil­ité serait de fab­ri­quer des peignes plus rap­prochés. Mais si l’on dimin­ue la dis­tance entre les peignes, les con­traintes tech­nologiques imposent une réduc­tion de l’épaisseur du peigne. En effet, mal­gré des efforts con­stants pour amélior­er les procédés de fab­ri­ca­tion, les micropeignes ne peu­vent pas avoir un rap­port dis­tance sur épais­seur inférieur à quelques pour cent.

“ S’affranchir du GPS ”

Cela se com­prend bien pour des struc­tures mécaniques clas­siques : on ne sait pas con­stru­ire un bâti­ment extrême­ment fin dont la hau­teur serait supérieure à plusieurs dizaines de fois la largeur de la base.

En défini­tive, la capac­ité étant directe­ment pro­por­tion­nelle à l’épaisseur et inverse­ment pro­por­tion­nelle à la dis­tance, nous allons reper­dre d’un côté ce que nous avons gag­né de l’autre. Grâce à ce rap­pel d’électrostatique, nous com­prenons bien que, con­traire­ment aux tran­sis­tors, la réduc­tion des dimen­sions min­i­males dans les MEMS ne con­duit pas directe­ment à une amélio­ra­tion des performances.

Les composants nano-électro-mécaniques débarquent

Afin de con­tourn­er cette lim­i­ta­tion, de nom­breux lab­o­ra­toires de recherche à tra­vers le monde cherchent à com­bin­er le meilleur des deux mon­des : une struc­ture micrométrique pour la par­tie mécanique et une struc­ture nanométrique pour la par­tie élec­tron­ique de détection.

Dif­férentes tech­nolo­gies sont à l’étude
(ici, dans les lab­o­ra­toires de Tron­ics Microsys­tems)
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Pour cela, dif­férentes tech­nolo­gies sont à l’étude et devraient s’imposer d’ici la fin de la décen­nie. Mais l’enjeu de ces développe­ments va bien au-delà de sim­ples amélio­ra­tions incré­men­tales de dimensions.

En effet, les cen­trales iner­tielles util­isées pour la nav­i­ga­tion des avions de ligne ont actuelle­ment la taille d’une grosse valise et pèsent plusieurs dizaines de kilo­grammes. L’enjeu de la prochaine décen­nie est d’arriver, grâce à l’utilisation des NEMS, à con­serv­er les per­for­mances actuelles (erreur de local­i­sa­tion de quelques mètres sur une heure) tout en réduisant mas­sive­ment la taille de ces cen­trales iner­tielles à celle d’un boîti­er portable.

D’un seul coup, la mesure fine des mou­ve­ments et la local­i­sa­tion pré­cise des per­son­nes à l’intérieur des bâti­ments devien­dront pos­si­bles. Il est ici utile de rap­pel­er que les sig­naux satel­lites du GPS ne peu­vent pas être reçus en intérieur et sont forte­ment per­tur­bés par des réflex­ions par­a­sites sur les bâti­ments dans les grandes villes.

Ces cen­trales iner­tielles de nou­velle généra­tion ouvriront un vaste champ de ser­vices de géolo­cal­i­sa­tion appelés LBS (Loca­tion-Based Services).

Des prémices sont déjà là, comme la local­i­sa­tion des ser­vices de sec­ours en inter­ven­tion (pom­piers notam­ment) ou la sécu­rité du tra­vailleur isolé. Mais les vrais enjeux économiques se situent autour du mar­ket­ing géolo­cal­isé, de la réal­ité aug­men­tée et de nom­breuses autres appli­ca­tions qui restent encore à inventer.

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1. “ Il y a beau­coup de place en bas. ”

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