Quelle énergie pour demain ?

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°555 Mai 2000Par : Pierre BACHER (52)Rédacteur : Roger BALlAN (52)

Les médias regor­gent d’émis­sions et d’ar­ti­cles se rap­por­tant à l’én­ergie, et pour­tant nous sommes extrême­ment mal infor­més, par­fois même dés­in­for­més, sur ces ques­tions d’im­por­tance majeure. Cha­cune des nou­velles qui pleu­vent quo­ti­di­en­nement ne con­cerne qu’un fait par­ti­c­uli­er, alors qu’une per­spec­tive glob­ale est presque tou­jours indis­pens­able pour appréhen­der chaque fait, sa sig­ni­fi­ca­tion et sa portée.

De plus, il est néces­saire dans ce but de dis­pos­er d’un min­i­mum de don­nées économiques, sci­en­tifiques et tech­niques. Mal­heureuse­ment celles-ci sont insuff­isam­ment con­nues du grand pub­lic, des jour­nal­istes et même des décideurs ; en témoignent cer­taines déci­sions poli­tiques récentes en France ou dans le monde.

Par­tant de ce con­stat, l’ou­vrage de Pierre Bach­er passe en revue les aspects les plus var­iés de l’u­til­i­sa­tion de l’én­ergie, afin que le lecteur puisse se for­mer une opin­ion raison­née sur des prob­lèmes qui con­di­tion­nent l’avenir de l’humanité.

Pierre Bach­er était par­ti­c­ulière­ment bien placé pour ce faire. Après avoir, à Saclay, con­tribué auprès de Jules Horowitz (41) à la recherche sur la physique des réac­teurs, il a passé trente ans à la direc­tion de l’Équipement d’EDF où il s’est intéressé de près à toutes les formes d’én­ergie actuelle­ment util­isées pour pro­duire de l’élec­tric­ité et à toutes celles qui sont sus­cep­ti­bles de se dévelop­per. Sa rigueur intel­lectuelle et morale le met à l’abri des posi­tions dog­ma­tiques ou pas­sion­nelles, dans un domaine où les idées reçues sim­plistes sont hélas trop nom­breuses, et il cherche plus à éclair­er son lecteur qu’à lui impos­er ses con­vic­tions personnelles.

Mal­gré sa petite taille (176 pages), ce livre parvient à cern­er les mul­ti­ples facettes du prob­lème de l’ap­pro­vi­sion­nement du monde en énergie : les divers­es formes d’én­ergie et leurs spé­ci­ficités, les besoins face aux ressources, les prob­lèmes indus­triels, économiques, démo­graphiques et géopoli­tiques, les nui­sances envers l’homme et envers l’environnement.

Ayant par­ticipé à titre pro­fes­sion­nel à de nom­breux débats et dis­cus­sions, Pierre Bach­er con­naît bien les ques­tions que se posent les uns ou les autres : ceci lui per­met de met­tre l’ac­cent sur les points où l’in­for­ma­tion est la plus néces­saire ou la plus atten­due, tels que le développe­ment durable chez nous et dans les pays les plus dému­nis, les pol­lu­tions, les déchets, l’ef­fet de serre ou les dan­gers sanitaires.

Il dégage en pas­sant les raisons cul­turelles qui ren­dent si dif­fi­cile l’indis­pens­able dia­logue entre ingénieurs, médecins, jour­nal­istes et citoyens. Ne pou­vant ren­dre compte ici du foi­son­nement des idées, je me borne à cette énuméra­tion de quelques-uns des thèmes étudiés. Je souhaite cepen­dant ajouter ci-dessous quelques com­men­taires per­son­nels inspirés par deux car­ac­téris­tiques de l’ou­vrage, afin de mon­tr­er com­bi­en celui-ci est stimulant.

Je soulign­erai d’abord le souci con­stant d’ap­porter à cha­cune des grandes ques­tions abor­dées plusieurs éclairages com­plé­men­taires, et de peser les avan­tages et incon­vénients des divers choix pos­si­bles. Il importe en effet de pren­dre con­science des risques de chaque déci­sion envis­age­able, y com­pris ceux de l’i­n­ac­tion, et de les hiérar­chis­er. C’est sur de telles com­para­isons que devraient tou­jours repos­er les opin­ions et les décisions.

Je cit­erai à ce sujet la loi Barnier sur l’en­vi­ron­nement. Elle définit le principe de pré­cau­tion comme ” le principe selon lequel l’ab­sence de cer­ti­tudes, compte tenu des con­nais­sances sci­en­tifiques et tech­niques du moment, ne doit pas retarder l’adop­tion de mesures effec­tives et pro­por­tion­nées visant à prévenir un risque de dom­mages graves et irréversibles à l’en­vi­ron­nement à un coût économique­ment accept­able “. Il est remar­quable que le lég­is­la­teur n’ait pas don­né un car­ac­tère absolu à ce principe, mais qu’il ait inclus des réserves : les mesures doivent être pro­por­tion­nées, ce qui sup­pose une éval­u­a­tion com­par­a­tive de leurs con­séquences, et avoir un coût accept­able. Sans ces réserves, sou­vent mécon­nues, le principe de pré­cau­tion peut con­duire à des déci­sions dis­cuta­bles ou même aberrantes.

Le Dane­mark, ayant voulu rejeter le nucléaire, a fourni un effort con­sid­érable pour s’équiper en éoli­ennes ; mais l’én­ergie du vent n’est sus­cep­ti­ble de sub­venir qu’à une part min­ime des besoins, et la pro­duc­tion élec­trique danoise con­tin­ue : à être dom­inée par les cen­trales ther­miques, de sorte que c’est le pays d’Eu­rope (après le Lux­em­bourg) qui émet par habi­tant le plus de gaz car­bonique dans l’at­mo­sphère (12 tonnes par tête et par an, deux fois plus qu’en France). La Hon­grie a lancé lors du pre­mier choc pétroli­er une cam­pagne de calfeu­trage des fenêtres pour économiser l’én­ergie : l’ac­cu­mu­la­tion dans les apparte­ments de radon, gaz radioac­t­if émis par le béton des murs, soumet chaque hiv­er la pop­u­la­tion à un taux d’ir­ra­di­a­tion supérieur à l’ef­fet des retombées de Tchernobyl.

Peser le pour et le con­tre néces­site de s’ap­puy­er sur des nom­bres, Une sec­onde car­ac­téris­tique remar­quable de l’ou­vrage con­siste donc à inclure au fil du texte les ordres de grandeur des divers­es don­nées, sci­en­tifiques, tech­niques ou économiques, qui doivent sous-ten­dre toute réflex­ion. J’il­lus­tr­erai ici l’in­térêt de ce genre d’es­ti­ma­tions en don­nant quelques chiffres qui méri­tent d’être connus.

On com­prend mieux les enjeux mon­di­aux lorsqu’on sait qu’au cours des cinquante dernières années la pop­u­la­tion mon­di­ale est passée de 2.5 à 6 mil­liards tan­dis que la pro­duc­tion d’én­ergie était mul­ti­pliée par plus de 4, lorsqu’on sait aus­si que la puis­sance moyenne con­som­mée est actuelle­ment de 5 kW pour un Européen, de 11 kW pour un Améri­cain du Nord, de 1 kW pour un Chi­nois et moins encore pour un Africain.

En ce qui con­cerne les com­bustibles fos­siles, il n’est pas indif­férent d’ap­pren­dre que le taux de gaz car­bonique dans l’at­mo­sphère a aug­memé de 5% au cours du XIXe siè­cle, de 20% au cours du XXe. En tant que physi­cien, je trou­ve intéres­sant de pren­dre aus­si en con­sid­éra­tion, pour com­par­er les divers­es sources d’én­ergie, cer­taines don­nées issues de la sci­ence. La clas­si­fi­ca­tion des forces micro­scopiques mis­es en jeu pour pro­duire de l’én­ergie per­met de dis­tinguer trois niveaux.

Les éner­gies de type mécanique ou grav­i­ta­tion­nel sont les plus diluées : leur mise en oeu­vre néces­site la manip­u­la­tion d’énormes quan­tités de matière.

Pour libér­er une énergie de 1 kwh, il faut faire chuter 3 tonnes d’eau d’une hau­teur de 100 mètres dans une usine hydraulique, ou manip­uler 10 000 m3 d’air arrivant à 100 km/h dans une éolienne.

Les éner­gies chim­iques et ther­miques font toutes inter­venir à l’échelle atom­ique la même force de Coulomb, ce qui explique qu’elles sont car­ac­térisées par des chiffres com­pa­ra­bles, Elles sont plus con­cen­trées que les précé­dentes, puisque l’on obtient 1 kWh ther­mique en brûlant env­i­ron 0,1 kg de pét­role, de char­bon ou de gaz, en con­den­sant 1,6 kg de vapeur d’eau, ou en cap­tant l’én­ergie solaire sur une sur­face de 1 m2 pen­dant une heure.

Enfin, les éner­gies nucléaires sont plus con­cen­trées encore : utilis­er seule­ment 1 g d’u­ra­ni­um dans une cen­trale nucléaire four­nit une quan­tité de chaleur de 100 kWh ; la fusion de 1 g d’hy­drogène dans le Soleil libère 180 000 kWh de rayonnement.

La sci­ence peut égale­ment nous guider en pré­cisant les con­traintes imposées par les lois naturelles. Ain­si, la physique des matéri­aux lim­ite la capac­ité des accu­mu­la­teurs à une valeur dont nous appro­chons actuelle­ment, ce qui nous empêche de trop rêver au développe­ment des voitures électriques.

Je n’ai pu don­ner qu’une idée vague de l’in­térêt de l’ou­vrage de Pierre Bach­er, dont je voudrais pour con­clure soulign­er les qual­ités. Rédigé avec grande clarté et con­ci­sion, il est vivant, facile à lire et acces­si­ble au plus large pub­lic mal­gré sa pro­fondeur et sa richesse. La vision d’ensem­ble qu’il four­nit sur l’un des enjeux majeurs du prochain siè­cle me parait indis­pens­able à la cul­ture de tout citoyen.

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