CD : FRANCK PAR LE QUATUOR ZAÏDE

Quatuors

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°728 Octobre 2017Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Franck avec le Qua­tuor Zaïde, Men­dels­sohn avec le Qua­tuor Arod, Inté­grale Wein­berg par le Qua­tuor Danel. 

Pour­quoi les com­po­si­teurs, de Bee­tho­ven à Chos­ta­ko­vitch, ont-ils mis le meilleur d’eux-mêmes dans leurs qua­tuors à cordes ? Pour­quoi l’auditeur éclai­ré éprou­vet- il à l’écoute d’un qua­tuor un bon­heur incomparable ? 

C’est que le qua­tuor est vrai­sem­bla­ble­ment la forme la plus pure de l’univers musi­cal. Tout d’abord, quatre notes est le chiffre opti­mal pour consti­tuer une har­mo­nie, les jazz­men le savent bien : moins de quatre, l’harmonie est pauvre et incer­taine ; au-delà de quatre, il y a des risques de redondance. 

Ensuite, en écou­tant un qua­tuor, on dis­tingue cha­cun des quatre ins­tru­ments et l’on peut se concen­trer à volon­té sur l’un d’eux ; et, de même, on peut les suivre simul­ta­né­ment tous les quatre. 

Enfin, et sur­tout, il peut y avoir, il y a sou­vent une sorte de phé­no­mène alchi­mique qui se pro­duit entre les quatre musi­ciens ; cha­cun de nous en a fait l’expérience au concert, ému aux larmes par quatre musi­ciens tou­chés par la grâce. 

FRANCK PAR LE QUATUOR ZAÏDE

Franck n’a écrit qu’un qua­tuor, comme Fau­ré, Debus­sy, Ravel, et il est le som­met abso­lu de toute son œuvre, au-des­sus de la Sonate pour vio­lon et pia­no et du Quin­tette avec pia­no.

Pro­fon­dé­ment roman­tique – mais d’un roman­tisme fran­çais – c’est une pièce prous­tienne par excel­lence ; c’est-à-dire qu’elle ne peut que sus­ci­ter chez l’auditeur un sen­ti­ment de nos­tal­gie douce. 

Com­po­sé en 1890, deux ans avant le Qua­tuor de Debus­sy, le Qua­tuor de Franck ne com­porte pas de nova­tion har­mo­nique ou ryth­mique : tout est dans la richesse des thèmes et dans la palette des couleurs. 

Vous ne pour­rez pas écou­ter le Lar­ghet­to sans qu’il fasse remon­ter de votre mémoire des sou­ve­nirs heu­reux embru­més du regret du temps qui passe. 

Encore faut-il que les inter­prètes soient à la hau­teur de cette exi­gence, et qu’ils sachent res­ti­tuer les cou­leurs : chaque mesure a sa valeur propre, et aucune ne peut être jouée de manière linéaire. À cet égard, l’interprétation du Qua­tuor Zaïde1 est exem­plaire, une mer­veille de sen­si­bi­li­té subtile. 

Le Qua­tuor Zaïde, consti­tué de quatre (belles) jeunes filles, est aujourd’hui un des grands qua­tuors européens. 

Sur le même disque figure la déchi­rante Chan­son per­pé­tuelle de Chaus­son, par­fai­te­ment en situa­tion avec le Qua­tuor de Franck, chan­tée par l’excellente sopra­no Karine Deshayes au timbre pur et heu­reu­se­ment dépour­vu de vibra­to, accom­pa­gnée par le Qua­tuor auquel s’est joint Jonas Vitaud au pia­no. Un grand disque. 

MENDELSSOHN PAR LE QUATUOR AROD

Le Qua­tuor Arod, créé il y a quatre ans, vient d’enregistrer son pre­mier disque, consa­cré à Men­dels­sohn2.

CD : MENDELSSOHN PAR LE QUATUOR AROD Le disque com­porte deux qua­tuors : celui en la mineur de l’opus 13, le n° 2 de l’opus 44, et quatre mou­ve­ments indé­pen­dants regrou­pés a pos­te­rio­ri dans l’opus 81. 

Men­dels­sohn est recon­nu aujourd’hui comme le Mozart du XIXe siècle : il en a l’immense science musi­cale et le génie créa­tif, et sa musique pos­sède l’apparente faci­li­té qui séduit le pro­fane dès le pre­mier abord et der­rière laquelle se cache une grande com­plexi­té d’écriture.

Comme pour Franck, les qua­tuors sont le som­met de l’œuvre de Men­dels­sohn. Et les deux plus forts sont le der­nier (opus 80), et le pre­mier, l’opus 13 enre­gis­tré ici, écrit à 18 ans, que les quatre jeunes musi­ciens jouent avec un enga­ge­ment, une fougue et en même temps une rigueur qui emportent l’enthousiasme.

Les Quatre pièces de l’opus 81 méritent la décou­verte, par­ti­cu­liè­re­ment la 4e, une fugue en mi bémol majeur. Un beau lied, Frage (sur un poème de Goethe), chan­té par la mez­zo-sopra­no Marianne Cre­bas­sa, clôt cet autre grand disque. 

LES QUATUORS DE WEINBERG

CD : LES QUATUORS DE WEINBERG par le quatuor DanelMiec­zys­law Wein­berg, né en 1919 à Var­so­vie et mort (dans la misère) à Mos­cou en 1996, a été évo­qué à plu­sieurs reprises dans ces colonnes : avec plus de 500 œuvres, dont 22 sym­pho­nies (et aus­si 65 musiques de film dont Quand passent les cigognes), une créa­ti­vi­té foi­son­nante, une puis­sance et aus­si un style qui n’appartient qu’à lui, Wein­berg est un créa­teur majeur, et l’on se perd en conjec­tures sur la rai­son pour laquelle il n’est pas encore recon­nu et joué comme un des très grands com­po­si­teurs du XXe siècle, au même niveau que Pro­ko­fiev, Chos­ta­ko­vitch, Bar­tok, Mahler. 

L’excellent Qua­tuor Danel (Bel­gique) a enre­gis­tré l’intégrale de ses 17 qua­tuors3. Wein­berg, ami et pro­té­gé de Chos­ta­ko­vitch, a échap­pé suc­ces­si­ve­ment et de peu à la Shoah et aux purges sta­li­niennes, et ses qua­tuors, comme ceux de son ami, sont empreints d’une inquié­tude qui se résout tou­jours, in fine, en sérénité. 

À la limite de l’atonalité mais ne rele­vant d’aucune école, ils sont d’une incroyable richesse thé­ma­tique et har­mo­nique et, sur­tout, sus­citent une pro­fonde émo­tion dès la pre­mière écoute. 

Ils consti­tuent, à l’égal des qua­tuors de Chos­ta­ko­vitch et de Bar­tok, une somme majeure du XXe siècle, un concen­tré, en quelque sorte, de toute son œuvre et qu’il est urgent de découvrir. 

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1. 1 CD NoMadMusic
2. 1 CD ERATO
3. 6 CD WDR 3

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