Quartier des Bosquets : ouvrir des perspectives aux jeunes

Dossier : ExpressionsMagazine N°649 Novembre 2009
Par Jacques DENANTES (49)

Une démarche de l’Institut Montaigne
Cet arti­cle est tiré d’une note ren­dant compte d’une démarche de l’Institut Mon­taigne. Les auteurs en sont Jean-François Rial, PDG de Voyageurs du Monde, Daniel Lau­rent, con­seiller spé­cial de l’Institut Mon­taigne et Mau­rad Cheurf, entre­pre­neur et spé­cial­iste des quartiers sensibles.


Les Bosquets à Mont­fer­meil (Seine-Saint-Denis)


La prob­lé­ma­tique des quartiers, par essence, présente un car­ac­tère sys­témique mar­qué. Un ensem­ble de fac­teurs inter­ag­it : édu­ca­tion, emploi, loge­ment, san­té, trans­ports, reli­gion, etc. Cepen­dant cer­tains de ces fac­teurs sont plus déter­mi­nants que d’autres. C’est la rai­son pour laque­lle le choix a été fait de cibler les mesures pro­posées pour le ter­ri­toire des Bosquets, sur l’école, l’emploi, la san­té et les transports. 

30 % des élèves con­nais­sent de graves difficultés 

D’emblée un con­stat s’impose. L’action sur la jeunesse est à priv­ilégi­er. Il est en effet essen­tiel d’offrir une per­spec­tive aux jeunes des Bosquets, de sorte qu’ils n’envisagent pas exclu­sive­ment leur avenir sur place, dans leur quarti­er. Cela sup­pose de met­tre en œuvre des poli­tiques sus­cep­ti­bles de les dot­er des atouts néces­saires pour leur per­me­t­tre d’évoluer ailleurs, hors de leur « ghet­to ». Con­duites sur la durée, de telles poli­tiques se révéleraient plus effi­caces, en ter­mes d’ouverture et de déghet­toï­sa­tion, que les destruc­tions de bar­res, certes très médi­atisées mais de peu d’effet à moyen et long termes. 

Redonner du sens au principe d’égalité
Pour des raisons ten­ant à la fois à l’Histoire et aux poli­tiques d’éducation et d’urbanisme con­duites depuis un demi-siè­cle ; le principe d’égalité sonne creux à l’oreille de mil­lions de Français qui vivent en ban­lieue. Bien qu’inscrit aux fron­tons de nos mon­u­ments nationaux et gravé dans le mar­bre de notre Con­sti­tu­tion, celui-ci n’est pour eux au quo­ti­di­en qu’une for­mule, non une réal­ité. Relégués sociale­ment et con­cen­trés géo­graphique­ment, ces Français sont les oubliés de l’égalité des chances. Dans ce con­texte et dans le pro­longe­ment des travaux précé­dents de l’Institut Mon­taigne, il est apparu oppor­tun de tra­vailler in con­cre­to et in situ sur l’un des quartiers qui, en France, con­cen­tre le plus de dif­fi­cultés, celui des Bosquets à Mont­fer­meil en Seine-Saint-Denis. L’objectif de cette démarche est sim­ple. Il s’agit de démon­tr­er que sur le ter­rain, par des ini­tia­tives locales, il est pos­si­ble de faire évoluer les choses dans le bon sens. De telles mesures, si elles prou­vent leur effi­cac­ité, pour­raient être dupliquées ailleurs. 

Une priorité : l’école

Les mesures à envis­ager con­cer­nent de mul­ti­ples fac­teurs, mais le plus impor­tant est l’école et c’est celui qui est retenu dans cet article. 

Pour tous, la pri­or­ité des pri­or­ités, c’est l’école qui doit rede­venir un ascenseur social. Aux Bosquets, cinq étab­lisse­ments se trou­vent au cœur de cette prob­lé­ma­tique : trois col­lèges (Jean Jau­rès, Pablo Picas­so et Romain Rol­land) et deux écoles pri­maires (Vic­tor Hugo et Jean-Bap­tiste Clément). 

Col­lège Jean Jaurès

École et égalité
« Dans tous les témoignages et dans toutes les dis­cus­sions, chez les plus âgés des habi­tants comme chez les plus jeunes, l’école occupe la pre­mière place et con­stitue la pre­mière préoc­cu­pa­tion. Elle est très lour­de­ment investie pra­tique­ment et sym­bol­ique­ment. Dans les dis­cus­sions col­lec­tives, elle est le thème qui sus­cite le plus de pas­sion et les débats les plus enflam­més. Plus que le tra­vail, elle est l’institution par excellence.
Fondée sur l’affirmation de l’égalité, elle est à la fois un lien étroit avec la société et une promesse de mobil­ité. » Ce con­stat de Didi­er Lapey­ron­nie est en tout point con­forme aux con­clu­sions qui se déga­gent de nos entre­tiens avec celles et ceux qui habitent ou tra­vail­lent aux Bosquets. 

Une situation de ghetto

Des élé­ments révélateurs
Le taux d’absentéisme des enseignants est élevé (le jour de notre vis­ite au col­lège Romain Rol­land, 10 enseignants sur 60 étaient absents) ; le sou­tien sco­laire pub­lic est sinon inex­is­tant, à tout le moins inef­fi­cace ; des familles musul­manes sont de plus en plus nom­breuses à con­fi­er leurs enfants à des écoles ou à des col­lèges privés catholiques (au cours d’une réu­nion avec des mères musul­manes, cer­taines d’entre elles nous ont demandé des adress­es d’écoles pri­maires privées). 

Il existe peu de mix­ité sociale au col­lège Romain Rol­land : 90% des élèves sont bour­siers. On con­state égale­ment peu de mix­ité eth­nique. Au col­lège Jean Jau­rès, de nom­breuses familles sont orig­i­naires d’Afrique de l’Ouest. Sou­vent le père est absent, les mères tra­vail­lent dur dans les entre­pris­es de net­toy­age de la zone de Rois­sy, avec un temps de trans­port élevé (plusieurs heures par jour), soit autant de temps en moins à con­sacr­er à l’éducation des enfants. Au col­lège Romain Rol­land, une classe est réservée à des élèves (12–15 ans) qui n’ont jamais été sco­lar­isés, par­mi lesquels beau­coup d’origine malienne. 

Dans les col­lèges, dès l’entrée en six­ième, 30 % des élèves con­nais­sent de graves dif­fi­cultés, beau­coup ne maîtrisent d’ailleurs pas le français. 

L’école pri­maire Vic­tor Hugo est un exem­ple typ­ique de ghet­to eth­nique. Elle est majori­taire­ment peu­plée d’enfants issus de l’immigration. Le niveau des class­es se situe net­te­ment en dessous de la moyenne. Celles-ci cumu­lent un ensem­ble de dif­fi­cultés qui ne per­me­t­tent pas aux enseignants de suiv­re le pro­gramme nation­al (dif­fi­cultés d’ordre socioé­conomique, familles mono­parentales, élèves dont le niveau est très dis­parate regroupés au sein d’une même classe, etc.). 

Les enseignants, dans leur majorité, accom­plis­sent un tra­vail remar­quable dans un con­texte très dif­fi­cile, qui n’a rien à voir avec celui des col­lèges et des écoles de cen­tre-ville et de Mont­fer­meil. Le per­son­nel paras­co­laire prend des ini­tia­tives. Ain­si, par exem­ple, le jour de notre ren­con­tre, l’assistante sociale du col­lège Jean Jau­rès avait organ­isé une réu­nion de jeunes enseignants provin­ci­aux affec­tés à ce col­lège de ZEP, afin de leur faire ren­con­tr­er des mem­bres d’associations de quarti­er pour les ras­sur­er et leur fournir aus­si des « codes » non enseignés en IUFM. La plu­part d’entre eux avaient l’impression d’arriver en « zone de guerre » et abor­daient l’année sco­laire avec beau­coup d’appréhension.

Étendre l’action de l’école et lui donner plus d’autonomie

Une action d’envergure sur l’école mater­nelle et l’école pri­maire s’impose, car l’égalité des chances se joue à cet âge-là. La ligne direc­trice d’une telle action devrait être dedonner une totale lib­erté aux équipes enseignantes et à leur direc­tion pour s’adapter au con­texte local. Le but, in fine, est de leur don­ner toutes les chances d’atteindre un objec­tif sim­ple, sur lequel ils seront éval­ués : 90 % des enfants au sor­tir du CM2 doivent maîtris­er les acquis fondamentaux. 

À titre d’exemple, trois mesures devraient être mis­es en œuvre aux Bosquets : ren­dre oblig­a­toire la sco­lar­i­sa­tion dès l’âge de trois ans ; ren­dre oblig­a­toire la par­tic­i­pa­tion aux études encadrées tous les jours dans les plages horaires arrêtées par les enseignants ; organ­is­er, en liai­son avec le Con­ser­va­toire nation­al des arts et métiers, un enseigne­ment d’apprentissage du français pour les mères d’élèves qui maîtrisent peu ou pas la langue française. 

Vers un nou­veau statut
L’Institut Mon­taigne a prôné un change­ment de statut qui per­me­t­trait d’accroître sen­si­ble­ment le degré d’autonomie des écoles. Le Par­lement a repris cette propo­si­tion et l’a incluse dans la loi du 13 août 2004 rel­a­tive aux lib­ertés et aux respon­s­abil­ités locales. Mal­heureuse­ment le décret d’application indis­pens­able à sa mise en œuvre est tou­jours en attente rue de Grenelle. 
Stim­uler les ini­tia­tives privées
S’il se révèle impos­si­ble, à l’expérience, de per­me­t­tre aux écoles pri­maires publiques du quarti­er des Bosquets de béné­fici­er des mesures ici pré­con­isées, il con­vien­dra de sus­citer la créa­tion d’une ou de plusieurs écoles pri­maires privées visant l’excellence, qui reprendraient à leur compte les pré­con­i­sa­tions for­mulées. Cela se pro­duirait soit dans un cadre de con­trat d’association, soit par la créa­tion d’établissements totale­ment privés (finance­ment par fondation). 


En ter­mes de moyens, il faudrait, à titre expéri­men­tal, ériger les écoles pri­maires en étab­lisse­ments publics d’enseignement pri­maire. Les directeurs des écoles (étab­lisse­ments publics) seraient con­fir­més dans leurs fonc­tions et les enseignants actuelle­ment en poste pour­raient, s’ils le souhait­ent, obtenir une muta­tion dans un autre étab­lisse­ment afin que l’ensemble des enseignants s’implique dans ce qui devien­dra leur pro­jet. Les directeurs des écoles seraient chargés du recrute­ment de l’ensemble des per­son­nels, y com­pris le per­son­nel enseignant tit­u­laire, et pour­raient procéder par appel d’offres, région­al ou nation­al, pour con­stituer des équipes volon­taires et motivées qui s’engagent pour une durée de cinq ans. 

Don­ner aux équipes enseignantes la lib­erté de s’adapter au con­texte local 

À cette fin, une sub­ven­tion excep­tion­nelle de 130 % de la masse salar­i­ale actuelle de l’établissement serait allouée par l’État pour soutenir le pro­jet (sur cinq ans), ce qui per­me­t­trait notam­ment de vers­er aux enseignants une prime équiv­a­lente à 100% de leur salaire de base. Enfin, il serait pro­posé aux écoles pri­maires de béné­fici­er du dis­posi­tif « Les Orchestres à l’École » avec mise à dis­po­si­tion du bud­get per­me­t­tant l’investissement nécessaire. 

Pro­duire un tel effort pour l’école mater­nelle et l’école pri­maire, avec l’objectif assigné de 90 % d’enfants maîtrisant les acquis fon­da­men­taux à l’entrée en six­ième, est de nature à amélior­er con­sid­érable­ment la sit­u­a­tion des col­lèges situés à prox­im­ité du quarti­er des Bosquets. Il per­me­t­trait, par ailleurs, de con­cré­tis­er le souhait des pou­voirs publics de voir s’améliorer la sit­u­a­tion des col­lèges situés en zone sensible.

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