Quand l’École polytechnique initie à l’histoire

Quand l’École polytechnique initie à l’histoire

Dossier : HistoireMagazine N°771 Janvier 2022
Par Vincent GUIGUENO (88)

Vin­cent Guigueno (88) mon­tre le rôle du com­pagnon­nage notam­ment poly­tech­ni­cien dans son évo­lu­tion vers l’histoire. Il ren­con­tre véri­ta­ble­ment cette dis­ci­pline à Poly­tech­nique grâce aux his­to­riens pro­fes­sion­nels dont il suit les cours.

Comment es-tu passé de l’X à une pratique professionnelle comme historien ? 

Il s’écoule dix ans entre mon arrivée à Palaiseau, après un an de ser­vice dans la Marine, et la sou­te­nance d’une thèse d’histoire con­sacrée au ser­vice des phares, en décem­bre 1999. L’X a joué un rôle fon­da­men­tal dans ce pas­sage d’un goût pronon­cé pour l’histoire à un poste d’enseignant-chercheur. J’y ren­con­tre pour la pre­mière fois des his­to­riens pro­fes­sion­nels. Le pre­mier d’entre eux est Chris­t­ian Delage, dont je suis le cours d’histoire du temps présent et qui dirige un mémoire HSS, con­sacré à l’émission de Marc Fer­ro, His­toire par­al­lèle. Plus tard, je fais la con­nais­sance d’Amy Dahan, égale­ment enseignante à l’École, d’Antoine Picon de la pro­mo­tion 76 (voir arti­cle p. 36) et de Dominique Pestre, qui pré­par­ent active­ment le col­loque sci­en­tifique du bicen­te­naire, La For­ma­tion poly­tech­ni­ci­enne (1993). J’y donne ma pre­mière com­mu­ni­ca­tion, con­sacrée au statut des élèves juifs pen­dant la Sec­onde Guerre mon­di­ale, sujet auquel je con­sacrais mon temps libre en décou­vrant dans les archives ce qu’est le tra­vail. Un an plus tard, nous présen­tons, avec Chris­t­ian Delage qui en est le réal­isa­teur, un film de fic­tion con­sacré à cette péri­ode, La Petite Patrie. Soulever cette part d’ombre dans l’histoire de l’institution nous parais­sait fon­da­men­tal, à une époque où des anciens tres­saient des lau­ri­ers au « cama­rade » Jean Bich­e­lonne (1923), qui accom­pa­gna Pétain jusqu’à Sig­marin­gen. La péri­ode con­tem­po­raine nous mon­tre que la vérité sur la péri­ode de Vichy est tou­jours un com­bat pour l’histoire. Nous l’avons mené en son temps avec Marc Olivi­er Baruch de la pro­mo­tion 75 (voir arti­cle p. 30) au sein de l’association X Résis­tance, aux côtés de grandes fig­ures telles que Serge Ravanel (39) et Robert Saunal (40), com­pagnons de la Libération.

“L’histoire est assez éloignée au fond du style d’enseignement de l’X.”

Quelles spécificités cette formation t’a‑t-elle apportées dans la pratique de ce métier ? 

Dans le champ de l’histoire des sci­ences et des tech­niques, la for­ma­tion poly­tech­ni­ci­enne con­stitue sans doute un atout pour com­pren­dre les sources, mais égale­ment les acteurs de l’histoire. Tra­vail­lant pour ma thèse sur les ingénieurs du ser­vice des phares, je n’étais pas impres­sion­né par les écrits de Fres­nel (1804) et de ses suc­cesseurs. Mais le méti­er s’apprend surtout par com­pagnon­nage, au con­tact des col­lègues et des maîtres de la dis­ci­pline. Je me sou­viens en par­ti­c­uli­er du sémi­naire de Roger Charti­er, con­sacré à l’histoire du livre et de la lec­ture, que je suiv­ais à l’EHESS alors que j’étudiais rue des Saints-Pères. L’histoire est une for­ma­tion longue, quo­ti­di­enne, par­fois soli­taire, à la manière des arts mar­ti­aux, assez éloignée au fond du style d’enseignement dis­pen­sé à l’X.

Existe-t-il un lien entre tes domaines de spécialisation et ton passage par l’X ?

Je n’aime pas trop l’idée de spé­cial­i­sa­tion, même si, bien sûr, l’historien s’attache à des péri­odes et des objets spé­ci­fiques. Dans cette per­spec­tive, je dois sans doute plus à l’École des ponts, où j’ai effec­tué ma for­ma­tion com­plé­men­taire et pré­paré ma thèse, sous la direc­tion d’Antoine Picon (voir l’article ci-après). Les deux années à l’X ont été déci­sives pour m’engager dans la voie de la recherche, mais c’est aux Ponts que je m’oriente vers l’histoire des tech­niques, l’histoire mar­itime… J’y enseigne tou­jours l’histoire des trans­ports et de la mobil­ité. Mais j’ai con­servé de l’X le pre­mier sujet qui m’avait intéressé, la rela­tion entre l’histoire et le ciné­ma. Sans doute parce que, avec Chris­t­ian Delage, nous avons cul­tivé cette pas­sion com­mune dans plusieurs pub­li­ca­tions, dont un manuel inti­t­ulé L’historien et le film. Un chapitre y est d’ailleurs con­sacré à notre expéri­ence ciné­matographique du bicen­te­naire de l’X. 

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