De Polytechnique à l’histoire de la monnaie en passant par la banque

Dossier : HistoireMagazine N°771 Janvier 2022
Par Gilles BRANSBOURG (85)

Fils d’un pro­fesseur d’histoire, Gilles Brans­bourg (85) a d’abord fait une car­rière dans la banque avant d’effectuer un retour à l’histoire au sein de l’American Numis­mat­ic Soci­ety via les sci­ences sociales.

Mon intérêt pour l’histoire date de bien avant mon pas­sage par les class­es pré­para­toires puis l’X. Un père ayant enseigné dans ce domaine a été pour beau­coup dans le développe­ment de cette sen­si­bil­ité. J’ai donc atter­ri à l’X un peu par hasard, aboutisse­ment de la fil­ière sci­en­tifique vers laque­lle le sys­tème sco­laire pous­sait. Logique­ment, à l’issue de l’X, un pas­sage par les sci­ences économiques et poli­tiques (Ensae et Sci­ences Po) m’a per­mis de me rap­procher de la dis­ci­pline his­torique. Mais j’ai éprou­vé le besoin d’aller au bout de ma car­rière ban­caire avant de franchir le pas décisif – un doc­tor­at d’histoire effec­tué à l’École des hautes études en sci­ences sociales, avec un sujet de thèse por­tant sur l’économie poli­tique de l’Empire romain. De là, la fer­me­ture du sys­tème uni­ver­si­taire français, ses petits man­dar­i­nats et obsta­cles explicites ou implicites m’ont amené naturelle­ment vers les États-Unis.

Une fondation américaine

Invité en tant que chercheur par NYU, j’ai peu après été recruté par une fon­da­tion spé­cial­isée en his­toire et con­ser­va­tion de la mon­naie, l’American Numis­mat­ic Soci­ety. Vénérable insti­tu­tion fondée en 1858, pub­liant une demi-douzaine d’ouvrages par an, deux péri­odiques sci­en­tifiques, soutenue par une ving­taine de chercheurs et d’administrateurs, des moyens financiers con­sid­érables, très présente sur le cir­cuit des con­férences académiques, proche de plusieurs uni­ver­sités, elle pos­sède une des toutes pre­mières col­lec­tions moné­taires au monde – notam­ment pour l’Antiquité (env­i­ron 700 000 objets moné­taires ou liés à la mon­naie, les plus anciens du deux­ième mil­lé­naire avant Jésus-Christ, dont près de 200 000 mon­naies gré­co-romaines). Elle représente ain­si une plate­forme idéale pour dévelop­per et pub­li­er mes travaux, notam­ment dans la mesure où la recherche y est très libre. Aujourd’hui, j’en assume la direc­tion, cumu­lant donc fonc­tions admin­is­tra­tives et académiques.

“La fermeture du système universitaire français m’a amené vers les États-Unis.”

L’utilité de l’éducation scientifique

Le pas­sage par une édu­ca­tion sci­en­tifique s’est révélé loin d’être inutile, bien au con­traire. D’une part, elle forme un état d’esprit, une manière d’aborder des prob­lèmes, d’aller jusqu’au bout de leur réso­lu­tion quand elle est pos­si­ble. Elle encour­age à for­muler cer­taines ques­tions de manière dif­férente, par­fois oblique, per­me­t­tant à la pen­sée de dévelop­per des solu­tions inat­ten­dues. D’autre part, elle offre l’accès à des out­ils dont les his­to­riens font sou­vent peu usage, notam­ment dans le domaine sta­tis­tique. L’utilisation d’une fonc­tion d’amortissement géométrique et de dis­tri­b­u­tions de Monte-Car­lo m’ont récem­ment per­mis de sug­gér­er la valeur de la masse moné­taire cir­cu­lant au sein de l’Empire romain à son apogée, ce qui offre des per­spec­tives extrême­ment intéres­santes pour en estimer pop­u­la­tion et pro­duc­tion de richesses.

L’École d’autrefois

Con­cer­nant mon pas­sage à l’X, il con­tient un cer­tain degré d’interchangeabilité. Cela aurait pu être Cen­trale, les Mines ou une autre école sci­en­tifique ; l’X ne m’a pas apporté une valeur ajoutée spé­ci­fique. Presque au con­traire, son sys­tème de for­ma­tion rigide, très cen­tré sur un tronc com­mun, avec une part mar­ginale con­sacrée aux human­ités, m’a lais­sé très insat­is­fait. Au fond de moi, j’ai regret­té de ne pas avoir opté pour l’ENS, qui m’aurait lais­sé une bien plus grande liber­té dans mes choix académiques. Mais l’X des années 1980–1990 n’est pas l’X d’aujourd’hui, ce vécu relève donc de l’archéologie pour les jeunes générations.

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