Poétiques

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°657 Septembre 2010Rédacteur : Jean Salmona (56)

On pour­rait, inver­sant la maxime de Ver­laine, dire que la musique doit être « de la poésie avant toute chose », c’est-à-dire chercher à émou­voir l’auditeur, voire à le trans­porter, sans qu’il puisse con­trôler ses réac­tions, par sa capac­ité à stim­uler son incon­scient, ce que ne pour­rait cer­taine­ment pas réalis­er la seule per­fec­tion de la forme ou son originalité.

Brahms – Schumann

La musique de cham­bre de Schu­mann est peut-être celle qui est, en ce sens, la plus poé­tique. D’ailleurs, Schu­mann avait eu le des­sein, ado­les­cent, de devenir poète et, au fond, il n’a pas changé de voie mais seule­ment de langage.

Un nou­veau cof­fret de « Martha Arg­erich et ses amis »1 qui lui est con­sacré en fait la mag­nifique démon­stra­tion. D’abord, comme tou­jours dans les con­certs organ­isés par Arg­erich, les oeu­vres bien con­nues – ici le Quin­tette avec piano, le Quatuor avec piano op. 47 – côtoient de moins jouées – les deux Sonates pour vio­lon et piano – et des pièces très rares : Andante et vari­a­tions pour deux pianos, Fan­tasi­estücke avec Flügel­horn, Märchen­bilder pour alto et piano, Fan­tasi­estücke avec vio­lon­celle, Fan­tasi­estücke pour piano, vio­lon et vio­lon­celle, Andante et vari­a­tions pour deux pianos, vio­lon­celle et cor.

Ensuite, les amis de Martha Arg­erich ne sont rien de moins que les frères Capuçon, Mis­cha Mais­ki, Natalia Gut­man, Alexan­dre Rabi­novitch, Gabriela Mon­tero, et des musi­ciens moins célèbres qu’elle nous fait décou­vrir comme Lida Chen ou Géza Hosszu-Legocky. Et Arg­erich joue dans toutes ces pièces. En réal­ité elle en est l’âme : il est évi­dent, à l’écoute, que nous sommes audelà de la sym­biose ; elle pos­sède, au sens médié­val, les autres musi­ciens qui jouent avec elle, de telle manière que tout se passe comme si elle tenait en même temps ellemême le pupitre de vio­lon, de vio­lon­celle, etc. Enfin, elle inter­prète seule, ce qui est raris­sime pour elle aujourd’hui, la plus poé­tique sans doute des oeu­vres de Schu­mann, les Scènes d’enfants.

Au total, un enreg­istrement comme on n’en ren­con­tre guère, et qui vous boule­versera. Écoutez l’Andante cantabile du Quatuor avec piano, puis la dernière des Scènes d’enfants, Le Poète par­le, et pleurez – de joie.

Les trois Sonates pour piano et vio­lon de Brahms, sans doute le som­met de sa musique de cham­bre, ont été écrites plus de vingt-cinq ans après celles de Schu­mann, et, si elles sont moins tour­men­tées, plus sere­ines, elles sont de la même eau : elles touchent le cœur sans deman­der au cerveau une analyse préal­able. Elles sont aus­si beau­coup plus jouées que celles de Schu­mann, et on ne compte plus leurs enreg­istrements dont une au moins est une référence, la ver­sion Perlman-Ashkenazy.

Un nou­v­el enreg­istrement réu­nit deux solistes moins con­nus, Geneviève Lau­renceau au vio­lon et Johan Far­jot2. Inter­pré­ta­tion typ­ique­ment française, pour­rait-on dire, toute de mesure et d’équilibre, rafraîchissante, servie par une excel­lente prise de son, et qui rap­pelle la ver­sion Francescat­ti-Casadesus, anci­enne et, mal­heureuse­ment, tech­nique­ment imparfaite.

Impressionnistes

Sous le titre « Nor­mandie et Impres­sion­nisme », Skar­bo, que dirige notre cama­rade J.-P. Fer­ey, pub­lie un ensem­ble de pièces « impres­sion­nistes », de Saint-Saëns (Fan­taisie pour vio­lon et harpe), Debussy (Chan­sons de Bili­tis, Sonate pour flûte, alto et harpe, Syrinx), Satie (3e Gymnopédie), Fau­ré (2e Sonate pour vio­lon et piano), Rous­sel (Séré­nade), Rav­el (Trio), jouées par des solistes qui appar­ti­en­nent pour la plu­part à l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Haute-Nor­mandie, et la réc­i­tante Hélène Vin­cent 3. Les dis­ques sont accom­pa­g­nés d’un petit livret épatant d’érudition et d’humour de Flo­ri­ent Azoulay, illus­tré, comme il se doit, de toiles de Boudin, Pis­sar­ro, Mon­et. Une jolie petite réussite.


Satie écrit en 1917–1918 Socrate, drame sym­phonique en trois par­ties sur des dia­logues de Pla­ton, pour ténor et orchestre de cham­bre, qui plut lors de sa créa­tion à Stravin­s­ki, Poulenc, Picas­so, Braque et quelques autres. Il s’agit d’une pièce austère et dépouil­lée, qui ne manque pas d’émouvoir mal­gré – ou grâce à – une grande économie de moyens. Socrate a été enreg­istré il y a peu par Jean-Paul Fouché­court et l’Ensemble Erwartung dirigé par Bernard Des­grau­pes 4. Une œuvre attachante, tonale et min­i­mal­iste, où Satie s’est claire­ment sou­venu de Pel­léas, créé quinze années aupar­a­vant. Sur le même disque fig­ure une oeu­vre con­tem­po­raine inspirée par une autre con­damna­tion, Sénèque dernier jour, con­cer­to pour réc­i­tant et orchestre, d’Éric Tan­guy, sur un texte de Xavier Cou­ture, par Michel Blanc et l’Orchestre nation­al dirigé par Alain Altinoglu. Superbe texte, superbe­ment dit, avec une par­ti­tion d’orchestre par­faite­ment en sit­u­a­tion, poly­tonale, struc­turée, forte et très bien écrite. Deux grands poèmes, au fond.

1. 3 CD EMI.
2. 1 CD ZIG-ZAG.
3. 2 CD SKARBO.
4. 1 CD VIRGIN.

Poster un commentaire