Réservoir Semi-Mobile d’hydrogène liquide.

Plus de 30 ans d’expertise dans l’hydrogène liquide !

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°780 Décembre 2022
Par Patrick BURDASZEWSKI

Le CNES est un acteur mécon­nu de la fil­ière hydrogène qui, depuis plus de trois décen­nies, a dévelop­pé une expéri­ence et une exper­tise avérées en matière d’hydrogène liq­uide. Patrick Bur­daszews­ki chef de ser­vice Process et Équipements à la Direc­tion du Trans­port Spa­tial, nous en dit plus.

Le CNES dispose d’une expérience de plus de 30 ans dans la mise en œuvre d’hydrogène liquide au profit des lanceurs Ariane 4, Ariane 5 et plus récemment Ariane 6. Pouvez-vous nous en dire plus ? 

Les équipes du CNES ont été assez tôt con­fron­tées aux con­traintes de mise en œuvre de l’hydrogène liq­uide avec le pro­gramme Ari­ane (1er tir Ari­ane 1 le 24 décem­bre 1979) avec le troisième étage équipé du moteur HM7 (LOx/LH2). Puis, à l’occasion de l’essor d’Ariane 4, avec un pre­mier tir le 15 juin 1988, l’expérience cryo­génique du CNES s’est large­ment dévelop­pée et ren­for­cée. Les vol­umes de LH2 impliqués dans le lanceur lourd Ari­ane 5 ont néces­sité la con­struc­tion d’une usine locale de pro­duc­tion dans les années 90. Cette usine située en plein cœur du Cen­tre Spa­tial Guyanais ne pro­duit de l’hydrogène liq­uide que pour le lanceur Ari­ane. Aujourd’hui, l’usine exploitée par Air Liq­uide Spa­tial Guyane a béné­fi­cié d’un plan de traite­ment d’obsolescence financé par l’ESA et est prête à répon­dre aux besoins du lanceur Ari­ane 6.

Ariane 5 sur son pas de tir en Zone de Lancement n°3.
Ari­ane 5 sur son pas de tir en Zone de Lance­ment n°3.

Dans ce cadre, quels sont les expertises et savoir-faire que vous avez développés ? 

Dans les années 90, le CNES a par­ticipé avec Air Liq­uide à la créa­tion de la fil­ière hydrogène au Cen­tre Spa­tial Guyanais. Cette indus­tri­al­i­sa­tion sur le ter­ri­toire guyanais a été très com­plexe pour divers­es raisons (l’absence de ressources gaz­ières, de fortes con­traintes logis­tiques, l’absence de tis­su indus­triel) et a abouti au développe­ment d’une fil­ière dédiée au spatial. 

En par­al­lèle, les vol­umes mis en œuvre durant les chronolo­gies de lance­ment Ari­ane ain­si que le car­ac­tère non-linéaire des cam­pagnes de tirs ont con­duit à con­cevoir une logis­tique LH2 très sin­gulière, basée sur des stock­ages cryo­géniques hors norme. Afin de gér­er une pro­duc­tion indus­trielle con­tin­ue et les impor­tantes con­som­ma­tions des jours de chronolo­gie Ari­ane, le CNES a fait le choix de s’appuyer sur des réser­voirs semi-mobiles (RSM) pour trans­porter le LH2 des usines de pro­duc­tion jusqu’en zone de lance­ment. Ces RSM LH2 peu­vent con­tenir cha­cun jusqu’à 320 m3 utiles de LH2 et font par­tie des plus gros stock­ages cryo­géniques LH2 mobiles au monde. La ges­tion des boil-off, des pertes par flash, de la strat­i­fi­ca­tion ther­mique et des incon­som­ma­bles font par­tie depuis plusieurs années du quo­ti­di­en des équipes de développe­ment et d’essais du CNES. 

La dis­tri­b­u­tion de LH2 représente aus­si un véri­ta­ble chal­lenge, car l’hydrogène liq­uide cumule plusieurs con­traintes, dont bien évidem­ment sa très basse tem­péra­ture (20 Kelvin ou ‑253°C) qui con­traint bien plus sa mise en œuvre que celle des flu­ides cryo­géniques « tra­di­tion­nels » (azote, oxygène, argon ou méthane liq­uides) ; la taille de la molécule d’hydrogène qui durcit de son côté les critères d’étanchéité ; sa forte inflam­ma­bil­ité qui génère une sécu­rité accrue dans les zones voy­ant cir­culer le gaz ; sa faible chaleur latente molaire qui com­plex­i­fie le main­tien en froid des lignes d’avitaillement aux­quelles s’ajoutent des con­traintes liées aux assainisse­ments poussés des cir­cuits avant intro­duc­tion de LH2. L’ensemble de ces prob­lé­ma­tiques est pris en compte par le CNES dans le design des instal­la­tions, le suivi du développe­ment indus­triel, le suivi chantier sur la base spa­tiale et à l’occasion des tests de per­for­mance grandeur réelle menés égale­ment par le CNES. 

Le volet sécu­rité est indis­so­cia­ble du volet opéra­tionnel, notam­ment en ce qui con­cerne le traite­ment des efflu­ents gaz et liq­uides ain­si qu’au niveau des sys­tèmes de détec­tion adap­tés en fonc­tion de la nature du risque et des objec­tifs de mesure. En out­re, le CNES, à tra­vers sa com­posante « Sauve­g­arde du Cen­tre Spa­tial Guyanais », a dévelop­pé une fine exper­tise au ser­vice de l’analyse de risques, l’analyse des zones de dan­ger et les mesures en diminu­tion de risque à apporter. L’utilisation mas­sive d’hydrogène liq­uide lors des chronolo­gies de lance­ment Ari­ane à Kourou et la ges­tion du plus impor­tant stock­age d’Europe con­fèrent ain­si au CNES et plus par­ti­c­ulière­ment aux équipes de la sous-direc­tion Développe­ment Sol une expéri­ence incom­pa­ra­ble dans le cycle com­plet du LH2 (pro­duc­tion, stock­age, distribution).

Ces compétences sont particulièrement recherchées par le secteur portuaire et aéroportuaire. Quels sont les projets qui vous mobilisent dans ce cadre ? 

Aujourd’hui, les infra­struc­tures por­tu­aires et aéro­por­tu­aires souhait­ent acquérir le plus rapi­de­ment pos­si­ble cette expéri­ence. En France, seuls les grands gaziers, le CNES et Ari­ane­Group pos­sè­dent cette expéri­ence indus­trielle. C’est dans cette logique que l’accord de parte­nar­i­at entre le CNES et la CMA CGM a été noué. Essen­tielle­ment axé sur l’utilisation des don­nées spa­tiales, ce parte­nar­i­at inclut égale­ment un volet hydrogène afin d’accompagner le trans­porteur mar­itime français soucieux de verdir son activ­ité. Le CNES est par ailleurs sol­lic­ité pour apporter son exper­tise dans le secteur aéroportuaire. 

En parallèle, avec l’Agence Spatiale Européenne vous avez lancé un projet d’unité pilote de production d’hydrogène vert. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet et son état d’avancement ?

Le pro­jet HYGUANE, HYdrogène GUyanais A Neu­tral­ité Envi­ron­nemen­tale, est né d’une volon­té de l’ESA et du CNES d’embarquer des ergols verts dans le lanceur Ari­ane 6 et de dévelop­per tout un écosys­tème autour de l’hydrogène sur le ter­ri­toire guyanais. C’est un pro­jet hors du com­mun car il réu­nit toutes les com­posantes d’un écosys­tème com­plet ; la pro­duc­tion d’hydrogène vert sera assurée via un élec­trol­y­seur à mem­brane échangeuse de pro­tons (PEM) ali­men­té par une énergie renou­ve­lable issue d’un champ pho­to­voltaïque dédié. Le gaz sera alors épuré et injec­té dans le sys­tème de liqué­fac­tion exis­tant à Kourou pour pour­voir être util­isé par Ari­ane 6. 

L’usage lanceur créera ain­si les con­di­tions favor­ables aux développe­ments de nou­veaux usages d’avenir pour le ter­ri­toire : l’usage sta­tion­naire (Piles A Com­bustible) et la mobil­ité lourde H2 (trans­port de per­son­nes et marchan­dis­es). Pour ce faire, le pro­jet inclut une sta­tion de con­di­tion­nement et de stock­age d’hydrogène gazeux, des moyens de trans­port d’hydrogène gazeux, une sta­tion d’avitaillement ain­si que des véhicules lourds hydrogène (Car, bus VIP et tracteur) et deux Piles à Com­bustibles dont l’une d’entre elles devrait être instal­lée sur le nou­veau pas de tir en cours de con­struc­tion et qui sera dédié aux micro et mini lanceurs. 

Pour finir, de manière à dot­er le ter­ri­toire de nou­veaux savoir-faire pour l’exploitation de ces briques tech­nologiques, un cen­tre de com­pé­tences sur l’hydrogène (HCC) sera con­stru­it et héberg­era des instal­la­tions de main­te­nance pour la mobil­ité et le sta­tion­naire, un cen­tre de for­ma­tion pour cer­ti­fi­er les tech­ni­ciens et opéra­teurs et une plate­forme de R&D pour accueil­lir uni­ver­si­taires et start-up de l’hydrogène.

Spécimen Ariane 6 sous son portique en Zone de Lancement n°4.
Spéci­men Ari­ane 6 sous son por­tique en Zone de Lance­ment n°4.

Alors que la filière autour de l’hydrogène se professionnalise et se développe, comment vous projetez-vous et quels sont vos ambitions ? 

Au-delà de la con­duite de la poli­tique spa­tiale française et les grands pro­jets menés sur les satel­lites, les lanceurs, l’observation de la Terre et le traite­ment des don­nées spa­tiales, le CNES a aus­si pour mis­sion d’accompagner le secteur indus­triel dans son développe­ment. Fort de ses acquis dans la manip­u­la­tion à grande échelle de l’hydrogène, le CNES peut apporter toute son exper­tise et son retour d’expérience aux acteurs français. 

En par­al­lèle, la nou­velle direc­tion du développe­ment durable du CNES œuvre sur tous les fronts pour réduire l’empreinte car­bone de nos activ­ités, en par­ti­c­uli­er celle du Cen­tre Spa­tial Guyanais. La sobriété énergé­tique côtoie les pro­jets de pro­duc­tion d’énergie renou­ve­lable (champ pho­to­voltaïque, cen­trale bio­masse) et verdisse­ment des ergols lanceurs tels que l’hydrogène. Un des objec­tifs du CNES sur cette thé­ma­tique est ain­si de ren­dre l’activité spa­tiale neu­tre du point de vue envi­ron­nemen­tal, tout en pro­mou­vant les ini­tia­tives béné­fi­ciant au ter­ri­toire guyanais. 

Poster un commentaire