Paul Benoît (95), entrepreneur en hommage à Carnot

Dossier : AtypiXMagazine N°Paul Benoît (95), entrepreneur en hommage à Carnot
Par Paul BENOÎT (95)

Sont-ce son ser­vice mil­i­taire au « 54e rég­i­ment de planche à voile » d’Hyères et sa fréquen­ta­tion assidue du bar des élèves pen­dant son pas­sage sur le Plâ­tal qui ont inspiré à Paul Benoit, X 95, le pro­jet indus­triel dont il a fait son business ?

Peut-être. En tout cas, il a tou­jours eu le virus de la création.

En 2000, fraîche­ment libéré de l’appareil sco­laire, il rejoint des cama­rades dans leur start up de réal­i­sa­tion de sites web pour PME. Fondée au plus fort de l’éclatement de la bulle inter­net, la jeune pousse souf­fre, mais survit. Lui n’y reste pas longtemps.

Mais son retour dans le rang, dans les équipes de recherche et développe­ment de la Société générale, sur le plateau des sim­u­la­teurs de risques, n’est qu’en trompe‑l’œil. Il ne tarde pas à com­pren­dre l’enjeu des data cen­ters, ces grandes usines à cal­culs qui offrent leurs ser­vices aux con­som­ma­teurs boulim­iques de don­nées (sa banque est pro­prié­taire à l’époque d’un des plus gros clus­ters de cal­cul du monde), dont la puis­sance élec­trique con­som­mée, qui dou­ble tous les 5 ans, sera en 2020 en Europe au niveau de celle du chauffage des bâtiments.

Plutôt que de con­sen­tir des investisse­ments énormes pour refroidir ces machines à cal­culs, pourquoi ne pas utilis­er la chaleur pro­duite pour… du chauffage, et tant qu’à faire, du chauffage décen­tral­isé au niveau des par­ti­c­uliers ? A lui qui avait pour « hob­by de geek » de bricol­er à la mai­son des ordi­na­teurs silen­cieux pour pou­voir les laiss­er allumés en per­ma­nence, vient dès 2003 l’idée saugrenue d’utiliser ses pro­pres ordi­na­teurs pour chauf­fer sa cham­bre en y faisant des cal­culs pour son employeur.

L’idée est tem­po­raire­ment remisée dans un coin de sa tête : après tout, la vie de col blanc a ses charmes. Ou avait : depuis les affaires qui ont sec­oué le secteur en 2008, il paraît que l’ambiance est beau­coup plus ten­due dans le monde de la banque…

En 2009, les choses se pré­cip­i­tent. Paul décou­vre que de grandes sociétés comme Ama­zon fac­turent à de gros clients la mise à dis­po­si­tion de ses ordi­na­teurs à des tar­ifs de l’ordre de 1 €/h pour des ordi­na­teurs de 100 W, 100 fois supérieurs au coût de la con­som­ma­tion élec­trique utile. Les ser­vices de cal­cul à dis­tance se dévelop­pant et se décen­tral­isant, il y a sans doute place pour la con­cur­rence. Il ren­con­tre alors un ami lui sug­gérant de dépos­er un brevet sur le dis­posi­tif de radi­a­teur numérique. En avril 2010, il intè­gre l’incubateur de l’École des Télé­coms. En décem­bre, il fonde Qarnot.

Sa société est bap­tisée en hom­mage à Sadi Carnot, l’inventeur de la ther­mo­dy­namique. Son objet est dou­ble : chauf­fer des apparte­ments en inté­grant un micro-ordi­na­teur dans un radi­a­teur, le « Q.rad » ; et louer les capac­ités de cal­cul répar­ties sur de tels ordi­na­teurs à de gros con­som­ma­teurs, tels que son ancien cen­tre de R&D. Chaque Q.rad est relié à inter­net, est régulé par ther­mo­stat selon la tem­péra­ture désirée dans la pièce, et pos­sède son comp­teur élec­trique inté­gré pour rem­bours­er le chauffage.

En été, l’ordinateur con­tin­ue à tourn­er mais en mode basse con­som­ma­tion. Aujourd’hui, l’objectif est égale­ment d’adresser la Smart Home, pro­longe­ment de la domo­tique, grâce à ce radi­a­teur con­nec­té et intelligent.

L’avantage de ce dis­posi­tif est évi­dent : on n’a pas à con­stru­ire de data cen­ter ; on fait l’économie du refroidisse­ment ; on récupère l’électricité con­som­mée sous forme de chaleur ; et avec cette chaleur, on chauffe gra­tu­ite­ment les gens. L’empreinte car­bone du proces­sus se trou­ve ain­si divisée par 4.

Qarnot a con­nu des débuts pru­dents. Aujourd’hui, elle se lance. Depuis cette année, elle traite 5 % des besoins de cal­cul de BNP Paribas. Elle a pour clients la banque, l’animation 3D, la recherche en biotech­nolo­gie… Pour faire face à cette demande crois­sante, Qarnot doit se trou­ver des four­nisseurs de capac­ités de cal­cul et d’hébergement. Avec l’aide de la Ville de Paris et de la Région Ile-de-France, elle a créé des pre­miers sites pilotes. Ses Q.rads n’ont pas encore passé la porte des par­ti­c­uliers en direct : on les trou­ve plutôt chez les bailleurs soci­aux ou dans des écoles… mais la dif­fu­sion ne fait que commencer.

Paul est sat­is­fait de ces allers et retours entre la start-up et la grande entre­prise. « J’ai eu la chance de démar­rer par une start-up. Si j’avais com­mencé dans une grosse boîte, j’aurais sûre­ment eu du mal à en sor­tir. », note-t-il. Il n’en est pas moins sat­is­fait d’avoir quit­té sa tour à la Défense pour sa PME de Mon­trouge. « Même si j’y ai fait des pro­jets pas­sion­nants, les choses ont beau­coup changé dans la banque depuis 2008 et l’affaire Kerviel… »

Mais il s’insurge aus­si con­tre le tout start-up qu’on vend sans dis­cerne­ment aux jeunes diplômés. « Tout le monde n’est pas mûr pour créer son affaire et il ne faut pas compter unique­ment sur les start-up pour sauver la France. Il n’est pas inutile d’être passé par une grosse boîte pour savoir com­ment elle fonc­tionne et si l’on est fait pour elle. »

Il a une cer­taine ten­dresse pour l’X, son anci­enne école. La cul­ture mil­i­taire qu’on y reçoit est unique, on apprend le respect. L’enseignement est de qual­ité (quoique un peu théorique). On peut pren­dre la grosse tête mais les illus­tres anciens, comme Sadi Carnot, appren­nent égale­ment la mod­estie qui sied au sci­en­tifique. Le recrute­ment est l’un des plus répub­li­cains qui soient, car tous ceux qui intè­grent ont tra­vail­lé dur pour pass­er le concours.

Paul est un X heureux.

Poster un commentaire