ParisTech : une ambition revisitée

Dossier : ExpressionsMagazine N°691 Janvier 2014
Par Yves POILANE (79)

Des hauts et des bas
La mar­que Paris­Tech fut une véri­ta­ble trou­vaille pour con­sacr­er en 1999 la coopéra­tion informelle ini­tiée en 1991 entre neuf grandes écoles d’ingénieurs parisi­ennes. Cette puis­sance évo­ca­trice de la mar­que à l’international a soutenu le développe­ment de Paris­Tech, mal­gré des hauts et des bas :

  • un « pic his­torique » en 2006–2007, lorsqu’il a été recon­nu par le min­istère de la Recherche et de l’Enseignement supérieur comme Pôle de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) ;
  • un « creux his­torique » en févri­er 2012 lorsque l’État français a défini­tive­ment con­sacré une organ­i­sa­tion de l’enseignement supérieur autour de cam­pus géographiques.

En 1991, c’est grâce à l’initiative de Jacques Lévy, directeur de « l’École des Mines de Paris » de l’époque et à l’enthousiasme de Pierre-Gilles de Gennes, alors directeur de l’ESPCI, que huit grandes écoles d’ingénieurs se rassem­blent au sein du « Groupe des écoles d’ingénieurs de Paris » pour « col­la­bor­er dans les domaines d’intérêt com­mun et acquérir, grâce à une taille suff­isante, une recon­nais­sance internationale ».

Un développement international

En 1999, l’association prend le nom de « Paris­Tech », plus à même d’accompagner son développe­ment inter­na­tion­al. Ce nom, qui évoque celui de grandes uni­ver­sités tech­nologiques améri­caines, cor­re­spondait bien à l’ambition de devenir un étab­lisse­ment de « stature com­pa­ra­ble aux grandes uni­ver­sités sci­en­tifiques et tech­niques au niveau mondial ».

Con­stru­ire l’habitude de l’action com­mune et de la concertation

Dans cette péri­ode, l’association met sur pied des groupes de tra­vail, con­stru­it l’habitude de l’action com­mune et de la con­cer­ta­tion, antérieure­ment fort rare : les directeurs d’établissement pren­nent par exem­ple l’habitude de se réu­nir en Con­seil d’administration tous les trois mois.

C’est le groupe « for­ma­tion » qui obtient les résul­tats les plus con­crets, avec la créa­tion des semaines européennes, dev­enues par la suite semaines Athens.

Une uni­ver­sité de tech­nolo­gie à Paris
Peu de temps avant le terme de ma prési­dence de Paris­Tech, j’ai fait procéder, avec l’aide d’un jeune poly­tech­ni­cien sta­giaire, à un sondage trot­toir dans le Quarti­er latin sur la notoriété et la puis­sance évo­ca­trice de Paris­Tech, auprès de jeunes étrangers fréquen­tant Paris au mois d’août : seuls 5 sur 40 savaient ce qu’était Paris­Tech, mais pour plus de la moitié des autres ce nom évo­quait une uni­ver­sité de tech­nolo­gie à Paris.

Un MIT à la française ?

En 2006, le Par­lement vote la « loi de pro­gramme pour la recherche », à la fois loi de pro­gram­ma­tion et loi d’orientation, créant notam­ment les Pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES).

Par­mi les vingt-sept pôles, Paris- Tech trou­ve, dès la pre­mière vague en 2007, la recon­nais­sance, à la fois de ses réal­i­sa­tions et de son car­ac­tère struc­turant de l’enseignement supérieur français.

Une entité non local­isée et sans université

Pen­dant qua­tre ans, les dix écoles de Paris­Tech (ENSAE Paris­Tech et l’X avaient rejoint les fon­da­tri­ces en 2007), puis les douze (avec l’arrivée en 2009 d’HEC Paris et d’IOGS), mul­ti­plient les chantiers visant à con­stru­ire le « futur MIT à la française » : chantiers opéra­tionnels, avec de nom­breux pro­jets en matière de for­ma­tion ini­tiale et con­tin­ue, de recherche, d’innovation, de rela­tions inter­na­tionales, de com­mu­ni­ca­tion, de rela­tions avec les entre­pris­es ; chantiers insti­tu­tion­nels, avec des travaux au niveau des directeurs pour imag­in­er les trans­ferts de com­pé­tences et le meilleur statut pour un ensem­ble plus intégré.

Des initiatives concrètes

Si, au plan insti­tu­tion­nel, les avancées se sont révélées laborieuses, le bilan des ini­tia­tives con­crètes a été très impor­tant, grâce à une intense activ­ité col­lec­tive, où toutes les écoles, sans excep­tion, ont joué le jeu de la coopération.

Près de 300 étu­di­ants étrangers sont ain­si recrutés chaque année dans les écoles. L’Institut sino-européen sur les éner­gies pro­pres et renou­ve­lables (ICARE), en coopéra­tion avec l’université HUST en Chine, a été créé et est soutenu finan­cière­ment par l’Union européenne.

Des pro­grammes coopérat­ifs en enseigne­ment et recherche sont menés avec de grandes entre­pris­es français­es pour les aider à relever leurs prin­ci­paux défis industriels.

Avec des parte­naires uni­ver­si­taires, Paris­Tech a créé à la ren­trée 2013 l’Institut Ville­bon Georges Charpak, label­lisé « for­ma­tion inno­vante » au titre des investisse­ments d’avenir et soutenu finan­cière­ment dans ce cadre.

Inauguration ParisTech-Shangaï par le président Hollande
Inau­gu­ra­tion Paris­Tech-Shang­hai Jiao Tong par le Prési­dent François Hol­lande. © PARISTECH, JACQUES BRINGUEZ

Une école fran­co-chi­noise à Shanghai
Pour dépass­er le cadre d’accords de mobil­ités étu­di­antes et de dou­bles diplômes entre la France et la Chine, Paris­Tech avait, dès 2005, imag­iné le pro­jet d’une école fran­co-chi­noise d’ingénieurs à Shang­hai, en parte­nar­i­at avec les trois prin­ci­pales uni­ver­sités de la cap­i­tale économique du pays (Fudan, Tongji et Jiao Tong).
Ce pro­jet s’est révélé trop com­plexe en rai­son du nom­bre de pro­tag­o­nistes, mais les rela­tions de con­fi­ance liées avec Shang­hai Jiao Tong Uni­ver­si­ty (SJTU, l’université du fameux classe­ment de Shang­hai ), ont con­duit dans un délai record à la créa­tion, sur le mod­èle français, d’une école fran­co-chi­noise d’ingénieurs dans les domaines de l’énergie, de la mécanique-matéri­aux et des tech­nolo­gies de l’information.
Paris­Tech (l’ENSTA Paris­Tech étant chef de file, avec l’École poly­tech­nique, Mines Paris­Tech et Télé­com Paris­Tech) a mené à bien ce pro­jet et l’École a ouvert ses portes avec 62 élèves chi­nois à la ren­trée 2012. Elle a été inau­gurée par le Prési­dent Hol­lande le 26 avril 2013 et vient de faire sa deux­ième ren­trée sco­laire avec 90 étu­di­ants. Elle offre un cur­sus en six ans.

Deux obstacles majeurs

L’État avait souhaité, dès 2006, engager des réformes visant à met­tre fin au mor­celle­ment de l’enseignement supérieur et de la recherche français. Paris­Tech s’inscrivait dans cette per­spec­tive, même si, en ne com­prenant que des grandes écoles, sa forme était fort originale.

Cinquante Chi­nois
L’opération la plus spec­tac­u­laire a été la mise en place du pro­gramme « 50 étu­di­ants chi­nois », recrute­ment coor­don­né d’élèves ingénieurs au sein des meilleures uni­ver­sités chinoises.
Ce pro­gramme a diplômé plus de 600 ingénieurs depuis l’origine. Fin 2012, 55 % tra­vail­laient soit dans une entre­prise en France (pour les deux tiers), soit dans une entre­prise française implan­tée en Chine (pour un tiers).
Ces résul­tats con­fir­ment l’impact économique de ce pro­gramme, conçu pour le développe­ment inter­na­tion­al des entre­pris­es françaises.

Le « plan cam­pus », puis le lance­ment du « pro­gramme pour les investisse­ments d’avenir » per­mirent à l’État de met­tre en œuvre sa poli­tique en matière d’enseignement supérieur et de recherche.

Par­mi les opéra­tions lancées, deux vont directe­ment con­cern­er Paris­Tech : l’appel d’offres « ini­tia­tives d’excellence », ou IDEX, visant à dot­er de moyens financiers com­plé­men­taires une dizaine de regroupe­ments d’établissements académiques pou­vant pré­ten­dre être vis­i­bles mon­di­ale­ment ; l’affectation d’un mil­liard d’euros à « l’opération Paris-Saclay », pour con­tribuer au bouclage financier d’une opéra­tion, visant à faire de ce cam­pus clus­ter l’un des dix pre­miers mondiaux.

Paris­Tech, ten­té d’être can­di­dat à l’appel d’offres IDEX, en a été dis­suadé, au dou­ble motif qu’il n’était pas local­isé sur un seul cam­pus, et qu’il ne com­pre­nait aucune uni­ver­sité en son sein.

La fin des ambitions en tant qu’université technologique

En deux vagues, l’appel à pro­jets IDEX con­sacra les pro­jets présen­tés par PSL (Paris Sci­ences et Let­tres), qui con­cer­naient deux, puis trois écoles de Paris­Tech implan­tées intra-muros, puis par Paris-Saclay, qui con­cer­naient sept écoles.

Un col­lec­tif de très grandes écoles d’ingénieurs

Ces suc­cès avaient un revers : ils mar­quaient implicite­ment la fin des ambi­tions de Paris­Tech en ter­mes de vis­i­bil­ité dans les grands classe­ments mondiaux.

En févri­er 2012, à l’annonce du suc­cès de l’IDEX Paris-Saclay, Paris- Tech décide donc d’engager un repo­si­tion­nement stratégique, sur un espace d’action non con­cur­rent, mais com­plé­men­taire des IDEX et autres PRES fran­ciliens. Ce repo­si­tion­nement stratégique s’est effec­tué sur l’année sco­laire 2012–2013, durant mon intérim à la prési­dence de Paris­Tech, et s’est con­clu sym­bol­ique­ment, en sep­tem­bre dernier, par le recrute­ment d’un nou­veau prési­dent sur des bases clar­i­fiées et avec une voil­ure réduite par rap­port aux moyens et ambi­tions de la péri­ode précédente.

Un repositionnement

Tournoi sportif ParisTech 2013.
Tournoi sportif Paris­Tech 2013.  © PARISTECH, JACQUES BRINGUEZ

Sur l’année écoulée, plusieurs con­cer­ta­tions, internes à Paris­Tech, mais égale­ment externes, min­istérielles et ter­ri­to­ri­ales, ont per­mis d’aboutir à l’expression d’un nou­veau pro­jet clair pour Paris­Tech pour les cinq ans à venir, en tant que « col­lec­tif de très grandes écoles d’ingénieurs et de man­age­ment français en île-de-France au ser­vice du développe­ment économique du pays ».

Dans ce pro­jet, son statut juridique devra évoluer avant cinq ans, con­for­mé­ment à la nou­velle loi, mais Paris­Tech con­tin­uera à inve­stir dans les domaines qui font sa force et sa valeur ajoutée : la pro­mo­tion de la for­ma­tion grande école à la française en France (pour plus de diver­sité) et à l’étranger (en sou­tien à l’internationalisation des entre­pris­es) ; le développe­ment de pro­grammes inter­dis­ci­plinaires au ser­vice des besoins des entre­pris­es français­es, en réponse à de grands enjeux indus­triels et socié­taux ; le développe­ment de nou­velles péd­a­go­gies et de nou­veaux enseignements.

L’absence d’université

L’obligation pour Paris­Tech de renon­cer à l’ambition d’être le MIT à la française a bien sûr été la con­séquence des poli­tiques publiques, qui ont tranché, dif­fi­cile­ment et par touch­es suc­ces­sives, con­tre la con­struc­tion d’un insti­tut de sci­ences, tech­nolo­gies et man­age­ment. C’était évidem­ment leur droit en tant « qu’actionnaire majori­taire » de ces écoles, toutes publiques et, sauf rare excep­tion, large­ment financées par l’impôt.

L’absence d’université au sein de Paris­Tech et son éclate­ment fran­cilien ont été deux bonnes raisons pour nous faire renon­cer à notre ambi­tion. Le sou­tien indus­triel, réel, mais mod­este n’a pas per­mis de pro­pos­er un mod­èle alternatif.

Tournoi sportif ParisTech 2013.
Tournoi sportif Paris­Tech 2013. © PARISTECH, JACQUES BRINGUEZ

Travailler à douze

Mais notre échec relatif relève égale­ment de caus­es internes à notre col­lec­tif de douze très grandes écoles. Mul­ti­sécu­laires pour un grand nom­bre d’entre elles, ces très grandes écoles n’ont pas su accepter de per­dre une par­celle d’autonomie ou de vis­i­bil­ité afin d’aller vers une inté­gra­tion, même lim­itée, seule de nature à per­me­t­tre à l’ensemble d’être recon­nu inter­na­tionale­ment comme une université.

Seules les écoles moins anci­ennes et moins pres­tigieuses, moins grandes en somme, s’étaient rapi­de­ment con­va­in­cues que Paris- Tech pou­vait leur per­me­t­tre d’accéder à une vis­i­bil­ité mon­di­ale, qu’isolées, elles n’obtiendront jamais.

Enfin, le fait de devoir tra­vailler à douze a sin­gulière­ment com­pliqué le man­age­ment de cette transformation.

Jean-Philippe VANOT, président de ParisTech

Fédér­er l’ingénierie en Île-de-France ?
Paris­Tech a voca­tion à coopér­er avec les futurs col­lèges d’ingénierie des com­mu­nautés d’universités et d’établissements d’île-de-France. Pour relever cer­tains des plus grands défis économiques et soci­aux du pays, les douze écoles de Paris­Tech peu­vent unir leurs efforts, cha­cune appor­tant le meilleur de son expérience.
Pourquoi Paris­Tech ne jouerait-il pas le rôle fédéra­teur entre toutes les écoles dont l’ingénierie con­stitue le cœur de méti­er ? Sur le ter­rain de l’innovation et du sou­tien à la créa­tion d’entreprise, Paris­Tech dis­pose d’une com­pé­tence exceptionnelle.


Tournoi sportif Paris­Tech 2013. Le nou­veau prési­dent de Paris­Tech, Jean-Philippe VANOT © PARISTECH, JACQUES BRINGUEZ

Les rites et les mythes

Ancien prési­dent de Paris­Tech, et après six années d’un tra­vail acharné pour con­stru­ire « Paris­Tech-MIT », puis pour sauver ce qui devait l’être dans l’intérêt supérieur du pays, je me suis sen­ti autorisé à livr­er ma vision de ce que pour­ra être Paris­Tech dans les années à venir.

En tant que directeur de Télé­com Paris­Tech, futur Col­lège de l’innovation par le numérique de Paris- Saclay, je crois à la ver­tu fon­da­men­tale de ce rap­proche­ment entre grandes écoles pour des raisons d’efficacité col­lec­tive et de puis­sance d’action à l’étranger. De plus, le numérique étant uni­versel, je perçois avec acuité les béné­fices à tir­er du rap­proche­ment d’écoles souhai­tant dévelop­per travaux de recherch­es et for­ma­tions interdisciplinaires.

Con­stru­ire une iden­tité col­lec­tive, recon­nue comme telle à l’extérieur

C’est mû par cette con­vic­tion que j’ai accep­té d’être le prési­dent intéri­maire de Paris­Tech pen­dant une péri­ode dif­fi­cile de son existence.

Je tiens enfin à ren­dre hom­mage à Jacques Lévy, décédé il y a un peu plus d’un an. N’écrivait-il pas, de façon prophétique :

Il est impres­sion­nant de con­stater à quel point des étab­lisse­ments comme les écoles d’ingénieurs si proches à l’origine, puisant leurs élèves dans un « vivi­er » très homogène, ont pu se con­stru­ire, au cours de l’histoire, autour de « rites » et même de « mythes » aus­si dif­férents d’une insti­tu­tion à l’autre : ce n’est pas en quelques années que ces dif­férences pour­ront s’atténuer, si tant est que cela soit souhaitable.

Mais il devrait être pos­si­ble, avec le temps, de con­stru­ire une iden­tité col­lec­tive, recon­nue comme telle à l’extérieur, en par­ti­c­uli­er à l’étranger, et source d’une effi­cac­ité accrue.

Cela reste l’ambition de ParisTech.

2 Commentaires

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ancien de ParisTechrépondre
15 janvier 2014 à 17 h 08 min

com­ment dit-on en fran­cais ?
bull­shit ?
portnawak ?

robert ave­zourépondre
17 janvier 2014 à 13 h 17 min

Jacques Levy

Jacques Levy, l’ini­ti­a­teur de Paris­Tech, je ne le savais pas.

Je voudrais moi aus­si lui ren­dre hom­mage ici en racon­tant notre dernière ren­con­tre, sur le trot­toir devant l’Ecole des Mines, en 2009 ou 2010, je ne sais plus. Il sor­tait d’une opéra­tion lourde con­séc­u­tive à la mal­adie qui devait hélas l’emporter peu de temps après et était vis­i­ble­ment heureux de re-vivre. Presque hilare, il me demandait à brûle-pour­point si je con­nais­sais le syn­drome français. Non, bien sûr, je ne le con­nais­sais pas. Alors il m’ex­pli­quait en quoi cela consistait.

En gros : “Quels que soient le sujet et le lieu d’un col­loque, il y a tou­jours, à un moment don­né, un Français qui se lève, prend la parole, fait un dis­cours éblouis­sant et s’en­gage sur des résul­tats si on lui donne le feu vert pour met­tre en oeu­vre ce qu’il pro­pose de faire.

Se lève alors un autre Français pour dire, de manière aus­si éblouis­sante, que ce que l’on vient d’en­ten­dre n’a aucun sens et qui pro­pose tout autre chose si on lui donne le feu vert, à lui”.

La morale de l’his­toire selon Jacques Levy ? C’est que, “que le feu vert ait été don­né au pre­mier ou au sec­ond Français, six mois plus tard, il ne s’est tou­jours rien passé car aucun des deux Français ne s’est encore manifesté” !

Hilar­ité et humour prob­a­ble­ment liés à une joie de vivre retrou­vée, pas pour bien longtemps, hélas, puisque Jacques Levy devait être emporté par la mal­adie en mars 2012

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